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Elle est la Reine des Glaces. Sous l'Arctique qui fond, elle va chercher du pétrole, des diamants, du gaz. Elle manipule les Inuits, elle se rit des États, bouscule les écologistes et élimine ses concurrentes. Saisie par la fièvre des pionniers du grand Nord, elle s'invente un personnage légendaire, vêtu de fourrure, dévorant du phoque et remontant le passage du Nord-Ouest. Elle a compris que le réchauffement climatique, loin d'être une malédiction, ouvre des perspectives commerciales inouïes. Mais sur la route de la fortune se dresse bientôt une jeune et redoutable rivale.
Deux femmes, chacune à la tête d'un fonds d'investissement, s'affrontent jusqu'à la mort. À l'instar des prédatrices de Philippe Vasset, ils sont nombreux aujourd'hui à convoiter avec voracité le Grand Nord, qui s'offre, comme l'Afrique des grands lacs il y a plus d'un siècle, aux capitalistes du monde entier. Reprenant le principe à l'oeuvre dans Journal intime d'un marchand de canons, mêlant étroitement fiction et enquête, Philippe Vasset révèle les manoeuvres en cours aujourd'hui autour du Pôle Nord, bien loin des voeux pieux énoncés à Copenhague.
Rédacteur en chef d'Intelligence online, Philippe Vasset est journaliste et romancier. Il a notamment publié chez Fayard Un livre blanc (2007) et Journal intime d'un marchand de canons (2009).
Journal intime d'une prédatrice : de qui sommes-nous la proie ?
Sur le même principe que Journal intime d'un marchand de canons, son précédent titre, Philippe Vasset clame son intention de s'appuyer sur le réel pour mieux le dénoncer. Le but de ce nouveau récit est à nouveau de "décrire la folie de l'économie mondialisée" en "précipitant fiction et réalité", comme il le déclare en avertissement. A part faire son effet, on se demande un peu, à lire le livre, à quoi sert cette annonce, tant au final elle n'est pas réellement exploitée pour en faire autre que ce qu'en font déjà des milliers d'auteurs. Un roman comme un autre.
Dans le Journal intime d'une prédatrice, Philippe Vasset trace un portrait au vitriol d'une conquérante d'aujourd'hui, une femme d'affaires, une manipulatrice de haut vol, une "prédatrice" oui, prête à tout pour arriver à ses fins. Celle-ci brasse des millions pour tirer profit du "changement climatique" comme elle s'applique à dire, investissant dans tout ce qui permet de gagner de l'argent sur le dos de cet Arctique qui disparaît : technologies de forage, flottes de pêches qui vont bénéficier de la transformation du biotope, art autochtone...
"ICECAP est un placement spéculatif : les dividendes peuvent être très élevés, mais ne sont pas garantis. La seule chose que je peux vous assurer, c'est que d'ici cinq ans le réchauffement sera devenu irréversible et que toute la communauté financière, faisant le raisonnement que j'ai développé devant vous ce soir, voudra investir au pôle Nord. Mais il sera trop tard : ICECAP aura déjà saisi les meilleures opportunités."
Nous voilà donc dans un roman d'affaires, cherchant à démonter les rouages de l'économie d'aujourd'hui en secouant sous nos yeux ceux qui sont censés la contrôler. Mais comme souvent, quand la fiction s'attaque au monde de l'entreprise, elle l'a caricature, comme si la caricature permettait de la rendre plus compréhensible. Etrange écueil, que la littérature sociale a depuis longtemps dépassé, mais que la plupart des romans sur le monde de l'entreprise n'arrivent pas à dépasser. Et le livre de Philippe Vasset ne fait pas exception. La caricature de l'entreprise rejoint vite celle de la prédatrice en question ("Sa jubilation devient visible à mesure qu'Elle parle : Elle joue à armes égales avec des Etats, manipule avec désinvolture leurs intérêts et ourdit des machinations planétaires."). Tant et si bien qu'on finit par s'ennuyer dans cet amas d'extravagances outrancières, coincés entre des descriptions insupportables d'un monde trop riche pour avoir encore le moindre intérêt. L'exagération cède le pas au réalisme. Le discours marketing devient un discours robotique, le management est traité par le mépris et le harcèlement, le fait de faire des affaires par le cynisme le plus intégral. Nous ne sommes pas là dans la finesse.
Bien sûr, comme dans tout ouvrage sur les ambitieux, on n'échappe pas non plus à la montée puis à la chute du personnage principal... A croire que l'ambition ne peut pas se traiter autrement que sur un mode moral.
Le livre de Philippe Vasset serait donc parfaitement ennuyeux s'il n'avait du style. Si cette description clinique de cette prédatrice de magazines, n'était accomplie via le regard de son homme de main, silencieux comme une tombe, obéissant comme un chien, désabusé comme quelqu'un qui a perdu toute volonté ("abandonner tout désir et toute volonté, se laisser couler jusqu'au fond, disparaître. N'être plus qu'une présence diffuse dans le ciel et l'eau, un spectre mouvant comme une aurore boréale. Observer, sans relâche et sans but. Frôler la vie comme on effleure, dans le métro, la chevelure d'une inconnue"). C'est la sécheresse de ce regard descriptif qui donne une humanité à cette économie mondialisée fantoche qui s'agite sous nos yeux comme un cadavre dans ses derniers soubresauts.
"Elle observe à distance le travail de ses troupes, les encourage de la main. Pendant qu'on s'active, Elle se fait photographier le pied sur des cadavres de phoques, puis debout sur le glacier Jakobshavn, et enfin adossée à la cheminée, où, en 1993, une équipe de climatologues a foré deux kilomètres de glace, révélant pour la première fois l'ampleur du réchauffement climatique. A cet endroit, il n'y a plus aujourd'hui qu'un tube noir émergeant de la glace comme un périscope. Sur tous ses portraits, le ciel est intensément bleu et la neige éclatante (si ce n'est pas le cas, Elle les fait retoucher). Elle fuit le gris polaire, ce gris lourd qui semble exsuder des roches arctiques comme une huile, un gris tellement humide qu'il est plus matière que couleur.
C'est le style et les tournures de Vasset qui nous intéressent encore. Mais qui peut lui dire qu'il devrait passer à un autre sujet ? Que cette caricature de ce monde-là n'a pas beaucoup plus d'intérêt qu'un téléfilm. Et il n'est pas un auteur de téléfilms.
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