Les meilleurs albums, romans, documentaires, BD à offrir aux petits et aux plus grands
Après avoir, dans Chronique d'hiver (Babel n° 1274), revisité son passé sous le signe des mutations du corps, Paul Auster s'attache à la reconstitution de la formation de son esprit. Parallèlement à son parcours initiatique individuel, le romancier donne à comprendre l'environnement socioculturel de l'Amérique au sein de laquelle il a vécu ses années de jeunesse, dont plus de cent illustrations viennent incarner les diverses figures tutélaires, tout comme les temps forts dont la planète fut le théâtre au xxe siècle.
Avant d'entamer la lecture d'un roman, chaque lecteur a ses petites manies, ses rites immuables. Les miennes ne changent jamais d'un iota. Je commence immanquablement par feuilleter le livre, vérifie le nombre de pages, attrape, au vol quelques phrases au hasard avant de m'attarder sur la maquette qui m'aidera à évaluer le confort de lecture. Je bifurque ensuite vers la quatrième de couverture dont je lis chaque mot avec attention. Vient ensuite la première de couverture que je contemple longuement afin de découvrir quelques indices sur l'histoire puis j'ouvre l'objet pour de bon. C'est au tour alors du titre en version originale s'il s'agit d'un auteur étranger puis de la bibliographie afin d'évaluer le nombre de romans lus et ceux qu'il me reste à lire. Enfin, la lecture peut commencer.
Avec "Excursions dans la zone intérieure", ce petit cheminement s'est heurté à mon insatiable curiosité lorsque j'ai découvert que le roman s'achevait par un album constitué d'illustrations sous lesquelles apparaissait du texte. Je suis bien vite passé à l'étape suivante lorsque je me suis retrouvé face à ces images, mais tout au long de la lecture, je mourais d'impatience de découvrir le sens qu'elles revêtaient. Je n'ai heureusement pas cédé au "choc des images" et me suis dit qu'il valait mieux se concentrer sur le "poids des mots". Ai-je eu raison ? La réponse à la fin de ce billet.
"Excursions dans la zone intérieure" n'est pas, comme son titre le laisse penser, un livre de voyages - c'est pourtant dans cette partie de la médiathèque que je l'ai déniché - mais une sorte d'autobiographie dans laquelle Paul Auster convoque ses souvenirs à l'aide d'objets, de personnages historiques ou fictifs, de romans, de films qui ont marqué son enfance ainsi que son adolescence et ont fomenté cet homme complexe, cet écrivain talentueux, tiraillé dans sa prime jeunesse par des questions existentielles, des interrogations à n'en plus finir qui ne l'ont plus jamais quitté.
Disons-le d'emblée, ce n'est pas une autobiographie au sens classique du terme. Comme l'explique Paul Auster au début du roman, ses souvenirs sont fragmentés, emplis d'ellipses, de zones d'ombre. Cette sensation de flou, d'incertitude se ressent dans le mode narratif choisi par l'auteur. A bonne distance, il nous promène dans les souvenirs marquants de son enfance par le biais du tutoiement, un tutoiement non envers le lecteur mais envers lui-même comme s'il s'adressait à l'enfant qu'il était en lui offrant le recul nécessaire, l'expérience et les clefs pour comprendre certaines de ses réactions, certains de ses agissements.
"Excursions dans la zone intérieure" avance de manière chronologique, mais repose avant tout sur une succession de thématiques nourrie par des détails plus intimes sur la vie de Paul Auster. Ainsi, de petites victoires en déceptions, de désillusions en exaltations, l'écrivain nous parle de sa passion pour le baseball, des personnages historiques (Edison, Washington) qu'il admirait, du rock'n'roll sans oublier bien entendu les oeuvres littéraires qui ont jalonné son parcours de lecteur, un parcours que l'on pourrait qualifier d'initiatique tant chaque lecture semble avoir oeuvré à l'élaboration de cette plume qui n'appartient qu'à lui. Ces petites scènettes qu'il nous dépeint sortent parfois du lot commun à l'image des films qu'il nous raconte de A à Z - "L'homme qui rétrécit", "Je suis un évadé" - par le biais de ses souvenirs de jeune spectateur, un exercice périlleux sur la papier et pourtant on finit par se prendre au jeu, Paul Auster réussissant à nous donner l'illusion que l'on se trouve assis à ses côtés dans cette salle.
Absorbé par cette lecture assez singulière d'une vie qui dévoile en filigrane un profil d'écrivain qu'il partage avec tant d'autres - une enfance malheureuse, une solitude perpétuelle, des difficultés d'intégration, un regard sur le monde différent, une empathie exacerbée -, on ne se rend pas compte immédiatement que Paul Auster a quitté l'enfance et que nous sommes en 1966, l'année de sa première année à l'université de Columbia.
Est-ce pour montrer combien l'entrée dans l'âge adulte est douloureuse que l'écriture se fait soudain moins lumineuse, moins exaltante ? Quoiqu'il en soit, l'enchantement ressenti durant les 190 premières pages commence à s'évaporer, lentement, mais sûrement. Qu'il soit de l'autre côté de l'Atlantique ou étudiant dans nos chères contrées, Paul Auster perd pied dans le fil de sa narration, prend un chemin trop intime, moins distancié pour nous offrir des extraits des lettres qu'il envoyait à sa première femme sans nous donner en contrepartie les réponses qu'elle lui faisait. En découle une formule insoluble, noyé par les ellipses et les fulgurances absurdes qui démontrent, si besoin était, que l'auteur est un grand admirateur de Beckett. Parfois, l'intérêt pour l'histoire ressurgit, mais elle ne se maintient jamais pleinement. Le lecteur avance ainsi cahin-caha, clopin-clopant jusqu'au dénouement final décevant.
Et ces fameuses illustrations me direz-vous ? Avant de refermer ce roman empli de promesses partiellement tenues, j'arrive enfin à cet album qui propose plusieurs extraits du roman illustrés par l'affiche d'un film, d'images d'archives lorsque l'auteur évoque la guerre et la menace de son incorporation ou de peintures lorsqu'il est question de la crainte que lui inspire Dieu. Le bilan final s'équilibre alors quelque peu même si je ne saurais trop conseiller à ceux qui souhaitent tenter l'aventure de faire cohabiter le "poids des mots et le choc des photos" pour reprendre la formule d'un célèbre magazine.
Paul Auster est-il un auteur indispensable ? Il semble bien qu'au fil de son oeuvre la réponse s'impose en toute sérénité. L'auteur de "La musique du hasard" nous rend visite de façon très régulière et nous devenons fidèles à sa voix comme on peut l'être à un paysage, une musique, une femme...Dans le sens où nous sommes rassurés de son existence et du fait que l'on puisse la retrouver et l'entendre autant que de besoin.
Dans le prolongement de "Conte d'hiver", Paul Auster nous parle, comme on aimerait que l'on nous parle la plupart du temps, avec douceur, application et une honnêteté sans faille.
Au beau milieu de son livre, il nous raconte sur une quinzaine de pages sa vision du film "L'homme qui rétrécit" alors qu'il a douze ans. Et l'on se surprend à revoir ce film que nous avons vu et revu, comme si en fait nous ne l'avions jamais vu ou tout au moins sans les sensations internes qui sont liés à la portée de son message chez un enfant pré-adolescent. C'est sans conteste un moment magique de littérature.
Paul Auster est-il un auteur qui écrit ce que nous saurions ressentir mais pas exprimer ? Paul Auster est donc bien un auteur indispensable !
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
Les meilleurs albums, romans, documentaires, BD à offrir aux petits et aux plus grands
Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
L’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy poursuit l’exploration fantasmagorique de sa mémoire familiale...