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Dès le prologue, l'héroïne et narratrice, Lily, est l'objet d'un phénomène surnaturel. Un matin, devant l'étal d'un poissonnier, la voilà soudain en osmose avec le commerçant, à tel point qu'il lui semble tout connaître de son existence. Désormais, elle devra faire avec ce don télépathique, la possibilité d'entrer par effraction dans l'esprit de n'importe qui. Expérience vertigineuse qui va bientôt l'obliger à juguler les effets pervers de son étrange pouvoir en limitant les interactions avec ses semblables.
Suite à cette première révélation, l'auteure saute une quinzaine d'années pour soumettre son héroïne à d'autres aléas déstabilisants, ceux d'une dystopie urbanistique. Lily habite à présent une zone érigée de tours et traversée de voies rapides. Pour échapper à ce cadre de vie déshumanisant, elle est entrée en contact avec un petit groupe d'activistes clandestins qui essayent de contrer par des coups d'éclat symboliques les diktats imposant couvre-feu et régulation des déplacements. En tout, huit hommes et femmes : Sturm, Macha, Clarisse, Fox, Gell, Filasse, Full et Oscar.
Jusqu'au jour où une imprudence de Macha ayant failli très mal tourner, les conspirateurs se réunissent pour mieux se coordonner. Mais leur débat prend un détour inattendu : Fox lâche un début de confidence puis, assailli de questions, se voit contraint de narrer par le menu les rencontres avortées avec son père. Une autre nuit, l'ex-junkie Macha va dévider le fil d'un destin où les manques familiaux épousent d'autres sevrages. Et ainsi de suite. Ce rituel, loin de détourner le groupe de sa visée militante, noue entre ses membres des liens d'intimité mutuelle.
Éloge des bâtards est une vaste chambre d'échos, d'histoires croisées, de biographies plurielles.
Au diapason de neuf voix se stimulant les unes les autres, ce roman, s'il témoigne des legs écrasants de la bâtardise et de l'atomisation de nos solitudes urbaines, raconte avant tout comment des enfants abandonnés, marginalisés, ont su bricoler des solutions provisoires avec leurs manques.
La narratrice a la malchance d’entrer dans la vie des gens, de connaître leur histoire sans aucun échange ; elle l’a vérifié avec le poissonnier qui la sert. Elle doit absolument se protéger pour ne pas être dévorée par la vie des autres. Déjouant les tours de garde des vigiles, elle erre dans ce qui reste de verdure, de bois, non plutôt des taillis, des friches où elle retrouve d’autres insoumis comme elle « Nous sommes unis par des actions clandestines destinées à empêcher la disparition complète de notre ville. » Des affinités se créent et une petite troupe émerge Les résistants, les zadistes, les insoumis, enfin bref, eux qui ne veulent pas de cet avenir où la nature disparaît, où les gens habitent des tours et se surveillent les uns les autres, où des milices vous espionnent.
La bande se réunit chez les uns, les autres, enfin ceux qui ont un toit pour discuter, fourailler, décider des actions à mener. Ils savent que leur combat est déjà perdu, mais ils veulent garder, sauvegarder le peu d’espaces verts qui reste, replantent, écrivent, peignent… Ils veulent un peu de désordre dans l’ordre obligatoire, un peu de sauvage dans la cité trop tenue.
Olivia Rosenthal ne permet pas que l’on reste tranquille au fil des pages du livre. En début, Lily entre, sans le vouloir, dans l’inconscient des passants. Changement de cap direction des « zadistes » et une dystopie où des groupes sabotent, retardent les travaux en cours. Mais, ce ne sont pas des ados retardés ou pas, non, ce sont des adultes, même une grand-mère, et cela change l’optique. « En nous restreignant à être seulement ce que nous faisons de concret, nous nous épargnons tout le reste », car personne ne pose de questions sur personne, pas de confidence. Nouveau virage. Un soir Sturm le puissant, Macha la frisée, Clarisse la candide, Fox le nerveux, Gell le sauvage, Filasse le berger, Full le taciturne, Oscar le dandy et elle, Lily la secrète se réunissent chez elle.
« Cet état dure tant que nous sommes voués à l’action et unis par une conviction et un but commun. Mais un jour les choses s’enrayent. » Fox, en réponse à une question de Strurm, raconte sa vie , puis ce sera le tour des autres. Chacun raconte sa bâtardise, ses origines incertaines, ses ruptures.
L’enfance régit l’adulte ; les coups, le non-amour, la disparition, l’inconnu, le secret, l’amour, la tendresse… font ce que nous devenons et que les personnages sont devenus, avec les bidouillages de la vie, la force de s’en sortir avec le paquetage arrimé au dos.
Et si le roman était encore autre chose. Oui, pourquoi ceux-là se sont-ils agrégés le uns aux autres sans rien savoir de l’autre ?Qu’est-ce qui pousse des individualités à se regrouper ? Et que le groupe ne peut survivre sans une connaissance de l’autre. Vu de l’orée de mon bois, cette ville est très inhumaine dans sa verticalité. Plus de maisons individuelles, mais des appartements, des boîtes dans lesquels on vous place et vous surveille.
Un livre à tiroirs, à virages très intéressant grâce à la plume de l’auteur.
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