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« Soudain, on avait frappé à une lourde porte métallique derrière le procureur, et il était entre. Menotte. Cela faisait deux ans qu'elle ne l'avait pas vu. À cet instant, un grand frisson lui avait traversé le corps et elle avait tremblé comme une feuille, mais s'était acharnée à ne rien montrer. Pourvu que la juge ne s'adresse pas à elle ! Tout mais pas ça ! Elle avait esquissé un regard timide en direction de son père. Il avait pleuré et elle avait eu honte. Tandis qu'on s'était affaire´autour de lui pour lui ôter les menottes, il avait tente´ de croiser le regard de sa fille, mais en vain... »
Il est bizarrement des ouvrages qui passent sous mes radars. C’est le cas du premier roman de Thierry Werts, "Demain n’existe pas encore", publié il y a déjà plus de trois ans et que je viens de terminer. C’est une très belle découverte qui montre encore une fois que la qualité d’un écrit ne dépend nullement du nombre de pages.
Ce petit texte comporte, en effet, à peine cent pages et pourtant, tout est là. Rien de trop ni de pas assez. Chaque mot semble pesé et posé exactement à l’endroit où il faut…"Aurore aimait écrire. Elle était juste différente… Seul le rythme de ses phrases portait sa plume et l’emmenait bien au-delà des murs de l’école." Aurore a douze ans et c’est son histoire qui nous est contée, de l’enfance à l’âge adulte. Une enfance chahutée, une enfance placée dans une institution, une enfance à hanter les parloirs de prison, et les salles d’audience du tribunal, une enfance sans les repères d’une famille stable, une enfance marquée par un drame…"Aurore entra la première dans la salle d’audience, avec son éducatrice. Pour la première fois. Elle venait d’avoir douze ans et sa présence était désormais obligatoire, une fois par an. C’est la loi."
Cette histoire est aussi celle d’une résilience, d’un retour vers la lumière, de retrouvailles, d’explications. Les personnages de ce roman sont attachants à la fois par leurs forces mais aussi leurs faiblesses. L’auteur les décrit par le menu, à l’aide de jolies phrases, ciselées, travaillées et pourtant d’une grande simplicité, la simplicité des grands. Il me fut important de me glisser dans le récit sans rien connaître de ce qu’il me dévoilerait.
Il semble évident que l’auteur y a mis beaucoup de sa vie de magistrat, spécialisé dans la protection de la jeunesse, les homicides et le droit humanitaire. Il connaît bien l’âme humaine et, avec une grande pudeur et beaucoup de poésie, sans jamais une once de pathos, il laisse le lecteur découvrir petit à petit le drame qui a baigné la vie d’Aurore et de ses parents. C’est pourquoi, je n’en dirai pas plus.
Ce "petit" roman par le nombre de pages est infiniment "grand" par la portée et la beauté de ses mots. Une beauté annoncée par la superbe couverture.
Un moment de lecture hors du temps.
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Pas dans la neige de l’adversité, poignant, tragique, sans pathos, « Demain n’existe pas encore » est digne, altier. Lanterne dans la main dans une nuit sombre et glacée. La narration est douce. Pragmatique, réfléchie, on sent le calme qui s’élève entre les lignes. Thierry Werts plonge son regard dans l’après. Il laisse de côté les jugements rapides d’un premier degré foudroyant. Couvre de laine son histoire plausible, la protège pour mieux donner à entendre la profondeur de ton. Cette maîtrise est la beauté même de ce récit. L’incipit : « Victoire marchait d’un pas décidé. Cette fois c’en était trop. » drames prévisibles, tuiles arrachées, tsunami familial. Aurore, la fille de Victoire est le bouc-émissaire d’une maman en déroute, qui ne sait plus aimer. Qui confond les nuances à étreindre. Sa fille devient son propre reflet fissuré, le rocher de Sisyphe, l’écho d’une solitude insoutenable. Que va-t-il se passer ? Thierry Werts est juge côté ville. Ce qui renforce le récit d’une justesse aboutie. D’une voyance évènementielle extrême, dans un lâcher-prise qui sera le levier de ce huis-clos hors pair. Dire où se trouve le père de cette fillette serait chercher trop vite la clef de voûte de cet édifice littéraire. Restons dans ce temps présent où l’enfant grandissante porte sur ses épaules les affres d’une enfance aux ailes arrachées. Ce temps qui advient. Une résilience à quatre mains. Concerto familial qui s’élève dans l’orée du juste qui sait. Ce récit est une bouffée d’oxygène. Le dire est un chapelet de velours. Les blessures humaines ne sont jamais vaines, incertaines, floues. Il se passe toujours ce quelque chose qui retient le lecteur en haleine. Elles sont le liant de ce que l’on retient dans la douleur chape de plomb. Renaissant en vertus de courage et de rédemption. Un langage vierge de tous les non-dits possibles. Cette volonté franche et pure de réapprendre l’alphabet des cœurs. « Demain n’existe pas encore » est méritant. C’est un récit qui fait du bien. Une leçon de vie qui s’épelle en franchissant les murailles des doutes. Thierry Werts est un hédoniste, un guide. Son récit, une preuve à étreindre. Publié par les majeures Editions La Trace.
Dans la préface Alain Cadéo a parfaitement raison de dire « qu’en peu de pages, l’auteur sait donner aux personnages le poids total en charge de leurs âmes blessées. »
Akemi, Victoire et Aurore formaient jusqu’en 2004, une famille.
Mais Victoire pensait et c’était plus fort qu’elle, que : « Aurore l’empêchait de vivre. »
Akemi purge une peine de prison pour avoir tué Victoire, sa femme.
Aurore est placée au Coin Bleu, pensionnat de la banlieue namuroise.
En 2006, Aurore revoit son père au tribunal, elle ne le regarde pas, lui cherche son regard avant de fondre en larmes.
Un drame banal ? Pas si sûr.
Thierry Werts sait distiller son histoire et amener ses lecteurs à voir au-delà des apparences.
Son expérience de juge, alliée à une plume poétique et déliée nous porte inexorablement à distinguer l’être du paraître.
Toute la complexité des relations familiales sont analysées avec finesse.
Quand enfin vient le temps de la résilience, la seule question qui vaille la peine d’être résolue n’est-ce pas celle-ci :
— « C’est quoi aimer ?
— Probablement le fait d’accepter l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. »
Peut-être pourrait-on compléter par « s’accepter tel que l’on est et non tel que l’on se rêve. »
En conclusion, vivre sa vie.
Une histoire courte qui en dit long.
A lire.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 25 octobre 2019.
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