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Trois générations de femmes, une guérilla populaire, des forêts reculées. Elle a survécu à la guerre, abandonné les armes, mais conservé le vertige, maintenant que sa lutte est de protéger ses filles dans une après-guerre où la paix, la justice et la dignité sont plus que relatives.
Pas de noms propres, on est la mère ou la fille, de la première à la cinquième, ou la mère de la mère, ou la tante, ou celle qui... À travers ces femmes sans nom, avec une écriture brute, précise et élégante, c'est le point de vue de celles qu'on entend rarement, femmes du peuple qui se sont retrouvées propulsées dans l'Histoire et doivent ensuite retrouver la vie «?normale?» : le patriarcat, le harcèlement, le ménage. Des destins précis, une portée universelle.
Si le monde était bien fait, c'est à ce premier roman puissant que ressemblerait le meilleur de la littérature féminine : l'histoire des femmes, depuis toujours gardiennes et garantes de la famille, de la transmission, depuis toujours flouées et reléguées dans l'obscurité de leurs cuisines, même quand elles ont pris part aux durs combats des hommes.
Défricher, couper, brûler : une manière de survivre quand tout est à reconstruire.
D'abord il y a "elle", ancienne combattante, ex-guerillera dans les montagnes d'un pays d'Amérique centrale. Rendue à la vie civile après des accords de paix et le passage par un camp de réinsertion, elle retrouve une vie "normale" de femme veuve dans un système patriarcal, dans un contexte post-guerre civile, dans des conditions économiques précaires, à la merci des hommes qui ne respectent pas les femmes, même celles qui se sont montrées aussi braves qu'eux à la guerre.
Il y a "elle" aussi, sa mère qui l'a regardée partir à la guerre avec son père adoré et ses frères, avec fierté, fatalisme et la peur de ne jamais les revoir. Il aura fallu longtemps, après la signature des accords de paix, pour qu'elle arrive enfin à croire que la guerre était bel et bien terminée, et que les accords n'étaient pas une ruse, un faux-semblant pour mieux écraser les perdants.
Il y a encore "elle", cinq fois, les filles de la guerillera. L'aînée, qui lui a été enlevée à la naissance, retrouvée au bout du monde 20 ans après ; la deuxième qui fait ce qu'on attend d'elle dans ce pays : se marier, faire le ménage et des enfants ; la troisième, qui se rêve médecin et s'inscrit à l'université en raclant le moindre centime dans les fonds de poche et de tiroir ; la quatrième, ingrate, qui se révolte parce que privée de tout à cause de sa soeur ; la cinquième, la plus jeune, qui n'a pas connu la guerre, qui danse et qui rit sa joie de vivre comme la petite fille qu'elle est.
Et il y a enfin toutes les autres "elle", tante, ex-camarade de combat, mère adoptive, membre d'association, tutrice à l'université, celle qui aide, qui accueille, conseille, tend la main, qui écoute, qui sauve.
Toutes ces "elles" sont anonymes, elles n'ont pas de prénom, aucun nom propre dans ces 300 pages, sauf celui de la ville de Paris. Des femmes anonymes, mais pas invisibles, pas insipides, pas passives, quoi qu'en pensent certains hommes. Elles se battent pour assurer le présent, se protègent pour construire l'avenir, se transmettent ou pas leur courage et leur ténacité. Elles ont fort à faire, tant les prédateurs sont nombreux, qui en veulent à leur argent, leur terre, leur corps, leur vie. Elles veulent être indépendantes, dignes, libres sans rien devoir à personne, sans négocier ni se soumettre, quitte à serrer les dents et la ceinture.
Cette anonymisation rend parfois la lecture un peu laborieuse, par moments on ne sait plus trop de qui on parle, mais elle fait toucher à l'universel au travers de ces destins particuliers. "Elle" ou une autre, c'est la même solidarité, la même lutte pour la famille, l'avenir.
Avec son écriture brute et puissante, sans pathos, "Défriche coupe brûle" est un bel hommage à ces femmes, combatives envers et contre tout.
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