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Vingt-cinq ans après avoir écrit un roman d'amour, un commis aux écritures revient sur ce traumatisme ancien et démarre une sorte de journal, à la recherche de ces innombrables écrivains négatifs qui emplissent de leur assourdissant silence l'histoire de l'écriture.
Livres inachevés ou inachevables, échecs éditoriaux, succès posthumes, auteurs d'un seul livre, confession tardives d'une vocation inaboutie, maniaque du pseudonyme, incapables majeurs, désespérés a priori, partisans de la brièveté humaine jusqu'à choisir la vie contre les lettres ou jusqu'à se l'ôter par dépit, militants de l'ineffable, ou nègres consentants, tous ces petits-cousins de bartleby forment une constellation d'oú, à n'en pas douter, sont sortis les meilleurs, quand ils n'y sont pas tout simplement restés.
Dans ces labyrinthiques notes en bas de page destinées à commenter un texte invisible, en quête de tous ces livres qui demeurent en suspension dans la littérature mondiale, vila-matas montre que cette crise nous plonge au coeur même du projet d'écrire, qu'elle touche à l'essentiel de ce projet. voilà qui a de quoi alimenter l'espoir : comme les précédentes, la littérature à venir sera celle du refus ou ne sera pas.
Ce roman est une drôle de liste. Le narrateur est un auteur en sommeil, bossu, fonctionnaire rongé par l’ennui et animé par l’idée de se sentir moins seul. Habité par cette envie d’écrire mais constatant un manque en lui, il veut comprendre et par la rencontre avec les Écrivains Négatifs, expression magnifique, Marcelo rentre en dialogue avec lui-même. Le roman tient à cela. Enrique Vila-Matas fait des allers-retours entre les notes prises par son personnage et l’histoire même de son personnage. Quand Marcelo nous parle de ses propres tentatives, alors s’ouvrent des interstices intimes touchantes et cela amène une certaine dynamique dans la lecture, notamment son court weekend à New-York.
Ce roman fait partie de mes lectures difficiles, celles où il faut que j’investisse beaucoup d’attention et de connaissances (il faut avoir bien en tête le personnage de Bartleby et . Mais celle-ci est récompensée par la générosité de l’auteur et son sens de l’anecdote. On découvre une multitude de parcours littéraires, de ces auteurs (ce sont principalement des hommes), parfois connus (Arthur Rimbaud, Paul Valéry, Salinger et autres) et d’autres vraiment oubliés. Il ne s’agit pas des mêmes pays ni des mêmes époques. Chaque histoire est racontée avec vigueur, avec humour et une profonde tendresse, qui apporte des tonalités mélancoliques à l’ensemble du texte. Le fil rouge de ce roman est vraiment la littérature, autant aimée que détestée. Ce point de départ est vraiment passionnant car Enrique Vila-Matas réunit les fantasmes de cet art, le regard des êtres sur le poids des mots, sur les silences et sur la parole même. Dans cet inventaire étonnant, on constate encore plus les singularités de chaque créateur, porté par un désir de littérature impressionnant (la palme revenant à Simenon) ou détruit par la perte d’un proche, d’un amour ou du goût de la langue. Chaque détail prend dans ces courts portraits un sens tragique et miraculeux, prolongeant le mystère de la création. Ce livre n’explique jamais, observe toute la part intime et l’investissement, conscient ou non, de ces artistes dans leur œuvre.
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