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Par l'attribution du prix Goncourt, le grand public va connaître le nom de Marcel Proust (...). Depuis la fondation de l'Académie, en 1903, nous n'avons pas, à mon avis, couronné un ouvrage aussi vigoureux, aussi neuf, aussi plein de richesses - dont quelques-unes entièrement originales - que cet A l'ombre des jeunes filles en fleurs. (...) L'auteur n'est ni pressé ni cursif (...). C'est un jeu de flânerie et de sagacité, où s'ouvrent tout à coup, sur vous, sur nous, sur eux, des perspectives étonnantes, et telles qu'on en découvre dans nos meilleurs moralistes et annalistes du coeur humain (...). Chose rare (...), il possède la faculté comique (...). L'outrecuidance, l'indifférence, la sauvagerie, la sottise d'autrui (...) l'amusent, et il les décrit à la façon du bon botaniste.
Suite de l'aventure Marcel Proust avec la lecture de ce deuxième tome de À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs.
Déjà, je peux dire que ce tome m'a plus plu que le précédent.
Notre héros est maintenant un adolescent/jeune adulte maladif, pétri de contradictions, dans les jupons de sa grand-mère, à défaut d'être dans ceux de sa mère.
Alors là, dit comme ça, évidemment, je ne vous donne pas très envie.
Mais il a toujours cette fabuleuse manière d'exprimer des sentiments complexes, comme s'il avait mis les mots sur des impressions et sensations que je connais et reconnais.
Ses émois amoureux et d'amitié sont disséqués avec une grande poésie.
Ce qui m'a marquée aussi dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, c'est que j'ai franchement ri à plusieurs reprises, ce à quoi je ne m'attendais pas du tout en débutant ma découverte de Marcel Proust.
Et last but not least, j'ai enfin rencontré Albertine, dont le nom est cité plus de 2.000 fois dans A la recherche du Temps Perdu !
Dans ce deuxième opus de La recherche, Marcel est un ado avide de relations avec des jeunes filles. Il est plus amoureux de l’amour que des jeunes personnes en question, à un tel point que quelque soit la demoiselle entrevue, elle devient l’objet exclusif d’un désir envahissant et incontrôlable. Gilberte Swan, la fille de Swann et d’Odette de Crécy est la première à ouvrir le bal. Malgré sa conduite peu amène envers le jeune homme qui est un peu collant dans son insistance à croiser son chemin et à manigancer pour se retrouver en tête à tête avec l’élue de son coeur, Marcel persiste et signe. Et cette passion l’entraîne dans des stratagèmes complexes, y compris fréquenter plus que la convenance ne l’exige les parents de Gilberte. D’autant que ceux-ci connaissent l’écrivain à succès Bergotte, bénéfice secondaire non négligeable pour un aspirant écrivain. Au cours de cette première partie, Marcel assise pour la première fois à une pièce théâtre dans laquelle joue la Berma. Et Proust décrit à merveille le désarroi de Marcel, qui voudrait à l’unisson de ceux qui sont sensé connaître les codes, admirer ce qui ne lui inspire que peu d’émoi. Comment sait-on que ce que l’on voit est admirable ? Quel sont les critères pour décider de la valeur d’une artiste ?
Peu à peu Marcel se désintéresse de Gilberte et le départ vers Balbec signera la fin de cet amour.
Mais Balbec sera le lieu d’autres passions : l’amitié de Saint-loup, les échanges avec le peintre célèbre Elstir, puis la rencontre d’Albertine.
Marcel observe, avec avec finesse, le comportement de ses contemporains afin d’en comprendre les règles qu’il ne manque pas de s’approprier, tout en étant conscient de son inexpérience.
Proust analyse avec une grande acuité le comportement de son narrateur, qui trouve dans la es situations les plus banales l’occasion de décortiquer les processus psychiques en cause.
Même si cela reste une lecture complexe, du fait du style, de ces longues phrases à tiroir, il n’en reste pas moins que la lecture est passionnante.
Grand cru ! Oublions un instant les accortes piquettes garnissant les devantures de nos libraires, ces « formidables romans, ces fabuleux écrivains » du moment qui ne laissent dans nos mémoires, tous comptes faits, que l’empreinte fugitive d’un agréable moment de lecture, d’une intrigue bien construite, d’un personnage attachant ou d’un contexte larmoyant destiné par l’air du temps à nous faire crier au génie. Qu’en restera-t-il dans notre mémoire d’ici deux ou trois automnes ou d’ici deux ou trois décennies dans les choix des nouveaux lecteurs ? Hum…Alors, pour une fois soyons assez audacieux pour délaisser les vins de pays et déboucher comme un flacon rarissime et hors de prix, ce Goncourt 1919. Goûtons-le et tachons de savoir s’il valait sa distinction et vérifions si l’usure de cent ans ne l’aurait pas madérisé.
Ah ! La note florale est indéniable, elle est dans le titre et court dans tout le texte. Sa dominante est, comme vous préférez, lilas, mauve (la toilette de Mme Swann), violette (comme la princesse de Parme ou les fleurs du même nom au corsage de Mme S) et son parfum épouse les senteurs marines, salines et ensoleillées de l’été, en bord de plage au temps de la prime jeunesse. Sa fraîcheur est celle de ces jeunes filles à l’ombre desquelles il était, il est et il sera toujours bien agréable de se réfugier. Non dépourvues de l’acidité de leur jeunesse qui en fait un de leurs nombreux charmes (et qui permet à un grand vin de bien vieillir), elles ne parviennent cependant pas à surpasser le plaisir puissant et capiteux que distille la magnifique Madame Swann. A tel point qu’on finit par se demander si le scénariste du Lauréat (1968 Anne Bancroft & D. Hoffman) n’aurait pas puisé son inspiration dans les fantasmes non exprimés mais, me semble-t-il bien présents, du jeune Marcel qui, charmé par les Jeunes Filles et abrité sous leur ombre, n’en regardait pas moins vers la superbe cocotte dont l’aura ne manquait pas de faire de l’ombre aux jeunes filles, sa fille Gilberte, comprise.
Le style est souvent déroutant avec des phrases qui sont des paragraphes et des verbes placés à l’allemande en fin de phrase de telle sorte que l’étourdi ou le dilettante dont l’attention n’est pas constante puisse être assez rapidement découragé. La qualité supérieure se mérite mais quel régal. Tour à tour léger, voire futile pour devenir sans crier gare d’une profondeur remarquable, le récit ne cesse de proposer des moments d’anthologie, des phrases sublimes, des descriptions picturales dont l’impressionnisme vous donne envie de foncer à Marmottan, des passages dont l’humour et l’ironie, jamais malveillante, enchantent (le directeur de l’hôtel, Françoise la cuisinière, la propre procrastination de l’auteur), des formules parfois lapidaires (oui, on en trouve aussi), des scènes touchantes, d’autres à la limite du vaudeville (finissez ou je sonne) et certaines qui sont de pures et brillantes scènes de cinéma.
La plupart du temps, le récit touche le lecteur, rappelle des sensations, ressuscite des souvenirs ou des rêves, ravive des regrets et quand ce n’est pas le cas, le texte d’une originalité et d’une élégance sans pareil suffit à son plaisir, comme lorsqu’il décrit la table vide d’une fin de repas au restaurant avec le talent d’un peintre de nature morte ou lorsqu’il fait un sort à cet Oscar dont il assure :«Car il ne pouvait jamais « rester sans rien faire », quoi qu’il ne fît d’ailleurs jamais rien. »
Mais jamais bien loin, présent en filigrane, le thème principal reprend ses droits et nous rappelle que le Temps Perdu ne se rattrapant jamais, il faut profiter de l’instant :
« Comme sur un plant où les fleurs mûrissent à des époques différentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu’importait ? En ce moment, c’était la saison des fleurs. »
Oui, le grand cru de 1919 a bien vieilli, il est toujours sublime et il faudrait être fou pour ne pas s’essayer à le goûter.
Et pour vous en convaincre, à présent que le nectar m’enivre et juste avant qu’il ne m’égare, osons en extraire un bref passage que vous n’apprécierez que si, alors que la bienséance des mœurs actuelles ne vous autorise en société qu’à lui effleurer les joues, deux fois en une soirée, vous brûlez de tenir la main d’une femme un peu plus, beaucoup plus, que pour une poignée de mains :
« Elle était de ces femmes à qui c’est un si grand plaisir de serrer la main qu’on est reconnaissant à la civilisation d’avoir fait du shake-hand un acte permis entre jeunes gens et jeunes filles qui s’abordent. Si les habitudes arbitraires de la politesse avaient remplacé la poignée de mains par un autre geste, j’eusse tous les jours regardé les mains intangibles d’Albertine avec une curiosité de connaître leur contact aussi ardente qu’était celle de savoir la saveur de ses joues. Mais dans le plaisir de tenir longtemps ses mains entre les miennes, si j’avais été son voisin au furet, je n’envisageais pas que ce plaisir même : que d’aveux, que de déclarations tus jusqu’ici par timidité j’aurais pu confier à certaines pressions de mains… »
J’adore me faire embarquer par ce grand conteur soliloquant dans un cadre de peinture impressionniste.
Au-delà d’avoir laissé une empreinte de son époque et de la société dans laquelle il a vécu, j’apprécie aussi ses points de vue sur le voyage, le dépaysement, l’amour dans tous ses états, la littérature, l’écriture, les livres et leurs écrivains. Les descriptions de ce qui l’entoure est une quasi filmographie.
Il a ce don d’inviter le lecteur à ses côtés et l’accompagner dans sa vie au fil de ses pensées. Il touche l’âme des gens parce que tout le monde a vécu des coups de foudre, des amours déçus, des joies et des cruautés, tout le monde a pris le train, investi une chambre d’hôtel, un restaurant, rencontré des inconnus, lié des amitiés, fait face à la famille, a eu un avis sur l’art, etc., mais personne d’autre que Marcel Proust a su comme lui se servir d’une plume pour en aussi bien livrer le ressenti avec cette justesse des mots et cette précision d’un regard acéré, habité d’une analyse caustique, ce qui sans nul doute fait de « A la recherche du temps perdu » une œuvre remarquable où tout le monde s’y retrouve d’une façon ou d’une autre.
Qui n’a pas voulu en savoir plus sur une brève rencontre éveillant une émotion, qui n’a pas attendu un coup de fil ou un SMS ou une rencontre fortuite avec l’inconnu pour en savoir plus, qui n’a pas espéré l’amour, qui n’a pas eu peur de l’habitude, qui n’a pas été déçu et s’en est voulu d’avoir consacré trop d’attention à l’imaginaire, qui n’a pas rêvassé devant le cadre d’une fenêtre offrant des paysages nouveaux ou anciens, ou admiré la nature qui s’y affiche, qui n’a jamais été déçu par la rencontre d’un auteur dont on a apprécié les écrits ou au contraire en devenir un fan absolu ?
On peut parler de ce livre à l’infini puisqu’il s’agit du reflet de l’âme humaine, éternelle. Inchangée.
A la fin de ce deuxième tome, comme au premier, j’ai la surprise d’aimer cet auteur comme un proche ami qui s’en va à la dernière page et la voix qui se tait soudainement, laisse un vide. Quelle joie de savoir que le troisième tome m’attend dans la bibliothèque et que je vais retrouver la voix perdue car au-delà de m’ennuyer comme je l’avais cru, il est arrivé ce temps où je m’ennuie sans lui.
Lecture hypnotique…
On retrouve, dans la première partie et la moitié de la seconde, Gilberte et ses parents, sa mère tenant salon. Mais le narrateur n’est plus si amoureux de Gilberte et s’en détache peu à peu.
Dans la seconde partie, lorsque le narrateur part avec sa grand-mère à Balbec, celle-ci ne manque pas d’emmener Mme de Sévigné dans ses bagages, et y fait régulièrement référence.
Où il est question de la « petite bande » de filles : Albertine, Rosemonde, Andrée, les trois plus importantes.
Il est toujours fait référence aux cathédrales et aux églises, première visite du narrateur à Balbec : son église.
Les leitmotivs chers à l’auteur sont encore et toujours présents : la nature, la couleur, les salons et les préséances, mais aussi et surtout l’Amour. Il me semble que ce thème-ci est aussi important, dans le roman, que celui du Temps.
L’image que je retiendrai :
Celle de la bande de filles passant en vélo et habillées de polos noirs devant la plage, ce qui intrigue beaucoup le narrateur.
Quelques citations :
« ….leur amitié avec Bergotte, laquelle avait été à l’origine du charme que je leur avais trouvé… »
« Nous sommes tous obligés, pour rendre la réalité supportable, d’entretenir en nous quelques petites folies. »
« Il y avait toujours près du fauteuil de Mme Swann une immense coupe de cristal remplie entièrement de violettes de Parme. »
« Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique ; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent et l’habitude le remplit. »
« Elle était entourée de sa toilette comme l’appareil délicat et spiritualisé d’une civilisation. »
« On devient moral dès qu’on est malheureux. »
« Je me rendais compte à Balbec que c’est de la même façon que lui qu’elle nous présente les choses, dans l’ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d’abord par leurs causes. »
« Cela fait penser à cette chambre du château de Blois où le gardien qui le faisait visiter me dit : « C’est ici que Marie Stuart faisait sa prière ; et c’est là maintenant où ce que je mets mes balais. »
« Je m’efforce de tout comprendre et je me garde de rien condamner. »
« …et je m’étais rendu mieux compte depuis qu’en étant amoureux d’une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme. »
« Une hygiène qui n’est peut-être pas très recommandable, mis elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et suis – comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous vous teint le meilleur, et que le meilleur n’était pas grand’chose – et pour nous résigner à la mort. »
http://alexmotamots.fr/?p=2404
trop long
Magique...
Intéressant !
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Excellent, c'est tout à fait ça !