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Mars 1864.
Dexter et Bell Hood, deux esclaves en fuite pendant la guerre de sécession. Bell Hood a été marquée au fer rouge sur le visage lorsqu'elle était toute petite, pour punir son père qui était un fugitif récidiviste.
Alors qu'elle est pleine de l'envie de marcher la tête haute et de ne plus jamais courber l'échine, Dexter vit dans sa peur de l'homme blanc, instillée en lui depuis son premier jour, et ploie constamment sous le poids de sa couardise. Puis apparaît June, esclave en fuite comme eux.
Au contact de ces trois personnages on découvre peu à peu l'horreur qu'ils ont subi de la part de l'homme blanc.
On ignore l'âge de Bell Hood mais on se rend compte rapidement qu'elle est beaucoup plus mûre que les seize ans qu'elle prétend avoir.
Son repère pour atteindre la liberté est Le cercueil de Job, un groupe d'étoiles sur la sphère céleste.
Avril 1862.
Jeremiah Hoke, fait d'une enfance douloureuse, de souvenirs amers et de remords obsédants, soldat sudiste, juste avant, pendant et après la bataille de Shiloh, cette immonde boucherie au cours de laquelle il restera mutilé.
On comprend que les routes de Bell Hood et de Jeremiah Hoke vont converger et se télescoper, qu'ils sont destinés à se trouver.
Avant cela, d'autres personnages traversent ce roman, tous avec un passé terrible, martyrisés, une vie de douleur dans leur sillage, le cœur plein de cicatrices, la tête emplie de cauchemars. On lit avec effroi le pouvoir de nuisance de beaucoup d'êtres humains.
L'auteur alterne les chapitres entre les protagonistes et les années 1864 et 1862 pendant lesquelles on découvre ce qu'ont été leurs vies, jusqu'à arriver tout doucement au point de rencontre. C'est une histoire qui se passe en deux temps, et personnellement j'adore ça.
Tout le long, ce récit pose la question du respect et du droit qu'on s'est inventé pour légitimer l'asservissement d'une partie de l'humanité. En quoi l'esclavage est-il pertinent et digne, comment des gens qui se revendiquent croyants peuvent-ils perpétrer une abomination pareille !?... Ce sont les questions en filigrane de ce roman, mais il y a bien d'autres sujets, notamment l'absurdité de la guerre, le désir de rédemption, le prix à payer pour ses lâchetés, le poids des remords. Il y a pourtant de l'espérance. Malgré la noirceur ambiante, il y a de la bienveillance parfois qui vient mettre un peu de baume au cœur. Cependant, Lance Weller pousse le réalisme jusqu'à évoquer les bruits et les odeurs infectes de crasse et de matières organiques émanant de tous les orifices, y compris pendant l'agonie, on s'y croirait. C'est répugnant mais tellement immersif.
La construction de l'Amérique, thème de prédilection de Lance Weller, avec tout ce qu'elle a entraîné de désolation et de cruautés nous est racontée une nouvelle fois avec son immense talent. Il nous communique la douleur des personnages ainsi que cet effarant sentiment d'horreur et de malheur qui accompagnaient le commun des mortels en ces temps difficiles. Et toujours avec une écriture qui confine au sublime. J'ai pourtant un peu moins aimé que ses deux précédents romans, comme s'il m'avait manqué un petit quelque chose pour m'attraper totalement par le cœur. Alors qu'il y a tant de vrais beaux personnages.
L'histoire débute en 1965 avec Jane Dao-ming Poole, seule dans sa chambre d'une maison de retraite. On entrevoit ses souffrances passées…
Elle remonte dans ses souvenirs et, en 1899, dans la vie d'Abel Truman, son deuxième père.
On plonge là dans des abîmes de noirceur où il n'est question que de souvenirs de guerre, de peur, de mort, de souffrance, de douleurs, de chagrins, de blessures mal guéries et de solitude.
On fait des allers-retours entre 1899, quand Abel est vieux, malade et seul avec son chien, et 1864, sur les champs de bataille de la guerre de sécession avec ses compagnons d'arme, face à l'ennemi.
On s'attache à eux, David, Ned, dont on sait qu'ils vont mourir alors qu'ils sont si jeunes. L'absurdité est omniprésente, tant d'entre eux sont morts dans une folie sans nom durant cette guerre et ici plus précisément pendant la bataille de la Wilderness. On ressent la terrible atmosphère de violence et de terreur sur tous ces champs de batailles qui se sont gorgés du sang de ces soldats, de leurs chairs déchiquetées, de leurs rêves anéantis avec eux. C'est d'une tristesse sans nom. Tous ces massacres sont une abomination.
Les descriptions de certaines atrocités m'ont fait dresser les cheveux sur la tête.
Un jour, des hommes laissent Abel pour mort sur le rivage, et lui volent son vieux chien. Sauvé et remis sur pied par des indiens, au bout d'une vie de tant de drames, il part en quête de son ami, son compagnon, son chien, pour le sauver d'un destin funeste.
Ces pages d'histoire de l'Amérique m'ont terriblement donné le sentiment que pour beaucoup, la vie n'est qu'une vallée de larmes, car l'homme est d'une cruauté sans limites.
J'ai été totalement bouleversée par ce roman plein de bruit et de fureur qui nous relate, entre autre, la boucherie qu'a été la guerre de sécession et je me suis demandé pourquoi certaines personnes doivent ainsi souffrir du début à la fin de leur existence. Lance Weller nous immerge totalement dans cette histoire dont le réalisme est parfois glaçant. Il parvient à mettre de la poésie dans ses descriptions de moments pourtant tragiques et macabres, comme dans un ralenti où on s'attend à être touché par la grâce alors qu'on est en pleine tragédie. Rien n'est manichéen ici. Beaucoup de noirceur, contrebalancée par un peu de lumière et de chaleur. J'ai trouvé cette histoire d'une beauté déchirante.
Qu’est-ce que je me suis sentie bien dans ce roman !
J’ai tout aimé : la construction, les personnages, l’écriture, les paysages, le côté historique.
Nous sommes entre 1815 et 1846, dans une Amérique en construction, on se dispute les territoires. La violence régit les rapports entre les hommes, on tue, on scalpe, on viole, on n’épargne personne.
« Tom prit alors la parole et leur dit que ce n’était encore rien d’autre que des marches frontières, rien d’autre qu’un territoire sauvage situé entre deux pays, où les hommes pouvaient aller mais où la loi ne les suivait pas. Il leur dit que c’était par le fer, le feu et le sang, qu’on ferait de ce pays autre chose que des marches sauvages, mais qu’on pouvait compter sur les hommes pour cela, parce que c’était ce qu’ils faisaient toujours : partout où ils allaient, les hommes apportaient avec eux, le fer, le feu et le sang. »
Tom, Pigsmeat et Flora : trois personnages, une rencontre improbable. Ces trois personnages sont très différents mais ils ont un point commun : leur vie n’a pas été un long fleuve tranquille jusqu’à ce que l’auteur les réunisse. J’ai beaucoup aimé cette manière de passer d’une époque à une autre. Nous ne comprenons pas les personnages en un chapitre mais en plusieurs, avec des allers et retours qui apportent vie et dynamisme à l’ensemble et qui éclairent au fur et à mesure les situations.
Roman de l’errance, le lecteur arpente les États-Unis, ou plutôt ce que deviendront les États-Unis, au gré des pérégrinations des uns et des autres. C’est remarquablement bien écrit, bien décrit. On suit leurs histoires respectives en apnée, pour ensuite, parcourir avec eux trois, quelques centaines de kilomètres vers le Mexique. Peu importe la raison qui les pousse à se rendre dans ce pays qui vient d’entrer en guerre avec les États-Unis, ce qui est important dans ce roman, c’est le voyage en lui-même, les rencontres, les souffrances, les paysages, les ciels étoilés, les rivières traversées, la poussière des chemins balayée. La crasse, l’alcool, la sueur, les maladies, non pas l’Amérique des beaux cow-boys séduisants, mais plutôt celle de la rudesse, il n’y avait pas beaucoup d’endroits pour se laver et se faire beau !
C’est un roman foisonnant et dense dont on relit certains passages avec délectation ou alors pour s’en imprégner davantage ou pour confirmer qu’on n’avait pas totalement oublié ce qui avait été dit de tel ou tel personnage ou de tel ou tel événement.
Quand je lis de tels textes, je me dis que décidément, certains auteurs américains ont vraiment du talent… Et Lance Weller tout particulièrement !
Une goutte de sang suffit, cette phrase ignoble justifiait le racisme ordinaire de cette époque.
J'ai pensé dès le début que le rêve américain prenait une grosse claque dans ces lignes. Une grosse gifle qui sent la sueur, la pisse, la merde, le vomi et le sang. C'est une époque où une certaine partie de ce monde ne veut pas des États-Unis, qui ne sont pas encore l'Amérique telle qu'on la connait. C'est une époque qui ne fait pas rêver, où la majeure partie des gens sont crasseux, malodorants, primaires, dans la survie et où la violence extrême est omniprésente. C'est l'époque de la construction de ce pays aux étendues immenses, où la vie était d'une dureté effroyable, où on tue, on viole, on scalpe, on tabasse à mort. Il y a tant d'angoisses et de douleurs dans l'histoire de ces gens pour qui trop souvent la vie se résume à "marche ou crève", sans désirs, sans rêves ou alors envolés dans l'âpreté d'un quotidien terrible.
Trois personnages, Tom, Pigsmeat et Flora, trois écorchés qui vont cheminer ensemble, que j'ai infiniment aimés tous les trois.
Tom, bébé silencieux que sa mère brutalisait rien que pour entendre le son de sa voix.
Pigsmeat dont la mère est morte en le mettant au monde et dont le père inconsolable l'a toujours rendu responsable.
Flora, métisse d'une telle beauté qu'elle devint esclave sexuelle. Elle a un dessein, une vengeance à accomplir. Ils vont l'accompagner car ils n'ont aucun but dans la vie et tant besoin d'en avoir un et parce que d'une certaine manière ils se sont tous trois reconnus.
L'auteur nous fait faire des allers-retours entre passé, présent et les différents personnages et j'ai adoré parce que ça maintient la tension, la curiosité et le désir d'avancer dans la découverte des protagonistes et de leurs histoires respectives.
On est loin des clichés des westerns hollywoodiens et on se rend bien compte que la réalité, c'était ce que raconte ce roman et non pas des cowboys à la dentition parfaite et des paysans relativement propres sur eux. Cette nation qui se dit la plus grande du monde, s'est construite dans la fureur et le sang, l'éradication et le pillage, la destruction et l'anéantissement, la spoliation et la barbarie.
J'ai trouvé cette histoire incroyablement dure et pourtant extrêmement belle. La narration y est pour beaucoup tant elle est imagée et poétique. Décrire les turpitudes d'un monde si violent et d'une telle puanteur avec autant de lyrisme et d'inspiration confine à la perfection.
C'est un énorme coup de cœur. Je suis tombée en adoration pour la prose sublime de cet auteur.
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