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Deux paroles se croisent.
Celle d'Emile (et de sa famille) qui se bat pour la France. Il quitte sa femme et ses enfants pour les tranchées et devient une arme redoutable de la Guerre.
Et celle d'un obus. L'adoration et la crainte, c'est ce que les hommes ressentent durant ces quatre longues années pour lui. Cet objet prend la parole, il vit dans ce livre pour devenir un personnage à part entière. Son destin, il l'accepte avec fierté : celui de tuer, de tout démolir.
Leurs histoires vont se rencontrer inévitablement et vont se lier entre elles. L'un rêve de tuer, l'autre tue. Mais lequel de ces deux personnages ?
C'est plus qu'un livre, c'est une œuvre.
Je n'ai eu que trois coups de cœur dans ma vie (dont un qui se positionne avec encore des hésitations) et Le Bel obus de Guillaume de Fonclare fait partie de ces rares privilégiés qui y accèdent. Original et d'une écriture de qualité. J'ignore pourquoi ce titre n'est pas plus connu ou médiatisé !
J'aime Harry Potter, Phobos ou encore Hunger Games, mais aucun d'eux n'a réussi à me sensibiliser aussi bien que Guillaume de Fonclare avec cette fiction.
Le principe même de la collection "La vie rêvée des choses" des éditions Cours toujours est intéressante. Une chose emblématique du Nord revisitée sous la plume et l'imaginaire des écrivains… Et elle réussit à faire rêver de ces choses.
Je n'aurais jamais pensé dire ça dans ma vie mais… Guillaume de Fonclare m'a fait rêver de cet obus. Incroyable, n'est-ce pas ?
Guillaume souffre d’une maladie génétique chronique aussi douloureuse qu’handicapante. Après avoir reçu une éducation religieuse catholique puis protestante, adulte, il a tout rejeté et se déclare maintenant « athée pratiquant ». Charmant oxymore. Cependant, il tient à garder l’esprit ouvert et à se maintenir dans une certaine quête du Divin. Comme il a besoin de silence et de recueillement pour mener à bien cette recherche, il parvient à se faire accepter pendant deux mois dans une résidence d’écrivains, sur les hauteurs des Causses du Quercy, non loin du petit village de Calvignac. Mais peu avant son départ, sa compagne doit être prise en charge pour un cancer du sein. Guillaume décide de ramener son séjour à cinq semaines au lieu de huit. Trouvera-t-il Dieu entre Conques et Saint-Circq la Popie ?
« Ce nom qu’à Dieu ils donnent » se présente comme un témoignage d’une totale authenticité et d’une absolue sincérité, ce qui est bien agréable. L’auteur a vraiment séjourné dans le lieu qu’il évoque. Il raconte quelques épisodes dramatiques de sa vie comme le décès de son père dans un accident d’hélicoptère alors qu’il était très jeune. Il nous parle de sa femme, de ses amis, des gens qu’il rencontre. Nous ne sommes donc pas dans l’autofiction mais dans un récit de petites tranches de vie qui aident à comprendre le cheminement d’un intellectuel, ancien directeur de l’Historial de la bataille de la Somme, devenu écrivain. Un pèlerinage immobile en quelque sorte. La force et l’intérêt de la narration vient plus de tout ce kaléidoscope de saynètes jetées au fil de la plume que de l’accumulation de questions existentielles (Pourquoi Dieu permet-il le mal ? Pourquoi dois-je autant souffrir ? Pourquoi Dieu autorise-t-il la douleur des hommes en général et la souffrance voire la mort des petits enfants en particulier ?). Bien entendu, ce séjour, s’il ne lui apporte guère de réponse à ce genre de questions, lui permettra néanmoins de repartir plus serein, plus heureux et avec une foi retrouvée. Un livre intéressant, agréable et facile à lire en dépit d’une légère propension de l’auteur à une certaine amplitude des phrases.
C'est une région où pendant longtemps les labours moissonnaient des obus qui eux-mêmes avaient auparavant fauché les hommes. Les douilles ainsi récoltées (quand le soc de la charrue ne les faisait pas éclater à retardement) fleurissaient sur le marbre des cheminées, sur les étagères, entre cendres et poussières. Dans les cimetières, aussi, où elles ramassaient quelques fleurs in memoriam. Parfois des bleuets... Objets manufacturés par les hommes pour pulvériser d'autres hommes, les arbres, maisons, monuments, villes et campagnes et qui, pour certains, échouaient sur la tombe même de ceux qu'ils avaient contribué à tuer. Drôle d'ouroboros !
Conçu, préparé, choyé, convoyé, envoyé pour exploser et ravager, notre bel obus a raté sa mission. Pouf, "enfoncé dans la glaise" ! Autant dire qu'il a "fait long feu"... ce qui ne l'empêche pas de conserver son caractère martial et son âme de tueur, même lorsqu'il sauve, bien involontairement, la vie d'Emile. Désamorcé mais pas désarmé, le voilà parmi les hommes, dans la tranchée. Devenu pour Emile, le Poilu, une sorte de talisman infernal, il lui transmet sa faim de sang et d'entrailles déchirées, remplissant ainsi son rôle, par procuration en quelque sorte. Mais est-ce bien l'obus qui transforme l'homme en impitoyable machine à tuer ? Ou bien est-ce l'homme qui, en fabriquant l'obus, répand la guerre, la mort et les représailles sanglantes ? Pas drôle, l'ouroboros !
Mais les générations se suivent et les hommes capables de façonner les obus sont aussi ceux qui savent déminer la terre. L'ogive nettoyée, débarrassée de sa puissance mortelle, redevient matériau et support de rêves déployés en feuilles d'acanthe, en frises gravées de dentelles. Emile, le tueur, allié à l'obus maléfique, "a su conserver suffisamment de sensibilité pour faire de l'art ; ces sillons enchâssés dans le métal proclament que l'espoir n'est pas mort à Verdun, dans la Somme ou sur le Chemin des Dames, et que le regard d'un seul, l'habileté de ses mains, sa capacité créatrice peuvent sauver le monde."
En moins de cent pages, Guillaume de Fonclare condense, d'une manière subtile et vivante, l'un des paradoxes les plus complexes de la condition humaine : cette imbrication irréductible entre bien et mal au sein de tout être. A la fois acteur, instrument et symbole, l'obus est aussi le témoin de cette dualité et, en tant que tel, parvient au statut de passeur de mémoire. Sa personnification est une trouvaille épatante qui ouvre un large horizon d'interprétations et de résonances conceptuelles et sensibles. Il y a quelque chose de tragi-comique dans les mésaventures de cet obus obtus et obsessionnel et ce mélange inventif de drame, de suspense et d'ironie, relayé par la vivacité de l'écriture, reflète aussi l'alliage de beauté, de bonté et de férocité qui compose une part de l'âme humaine.
Bref c'est un condensé d'humanité et d'émotion que nous offre ici Guillaume de Fonclare avec ce roman petit en quantité de pages mais d'une immense profondeur. Avec son carnet de curiosités en fin d'ouvrage, ce "bel obus" prend une place de choix dans la superbe collection "La vie rêvée des choses", qui décidément continue de me surprendre et de m'enchanter à chaque nouvelle parution !
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