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Quelle drôle et formidable idée que de faire mener une enquête sur un tueur en série, dans la France occupée, puis à Sigmaringen, enclave française en Allemagne pendant plusieurs mois, par un flic obéissant à tous les ordres même lorsque ceux-ci lui font faire le pire. A la base, Laborieux n'est pas un mauvais bougre, ce sont les circonstances, son aveuglement et surtout son inébranlable respect des consignes données en haut lieu qui vont le perdre. Il n'est pas dupe pour autant, notamment pendant son procès : "Le procureur, un vieillard chenu et catarrheux à la voix grave et cassée de gros fumeur, qui a dû en son temps jurer fidélité au maréchal Pétain comme la quasi-totalité de la magistrature française, s'est levé difficilement pour un bref discours dont la conclusion ne laissait aucune place à l'équivoque..." (p. 16) En effet, comment croire que ceux qui demandaient et obtenaient la tête d'autres n'avaient pas eux-mêmes des casseroles ? En fait, Laborieux s'en moque, son seul espoir est de pouvoir démasquer le tueur qu'il cherche depuis des années. Son séjour à Sigmaringen ne le fera pas dévier de sa mission. Sigmaringen : "Ainsi, vue de l'extérieur, Sigmaringen pouvait apparaître comme la capitale d'une certaine France en exil, avec son gouvernement, ses ministères, ses délégués, ses bureaux, ses combinazione, quand ce n'était en réalité qu'un théâtre d'ombres où se jouait une bien mauvaise farce, une fiction ridicule dont le grotesque cachait mal l'arrière-plan tragique, puisque, sans pouvoir se l'avouer, nul n'ignorait que tout ceci finirait vraisemblablement dans la honte, le déshonneur et le sang." (p. 72/73) La majorité du roman se déroule dans cette ville, on y croise ceux qui paradaient à Parsi quelques semaines auparavant : Doriot, Déat, Rebatet, Luchaire, Céline, ... L'auteur, fort bien documenté raconte le quotidien dans cette enclave, les haines, les jalousies, les coups en douce, les trahisons, car la fin approchant chacun tente de sauver sa peau. Il écrit avec grâce et élégance, tout en finesse, c'est vraiment un très beau texte : un roman policier littéraire. A aucun moment, on ne s'y ennuie même lorsque Émile Brami relate des anecdotes sur l'un des personnages connus et réels de la communauté de Sigmaringen. Il faut parfois se faire violence pour ne pas réagir aux propos des antisémites et fascistes de l'époque. Seul Céline semble lucide et traîne sa carcasse mal fagotée et son franc-parler.
L'intrigue policière qui tient du début à la fin permet au romancier de partir dans ces apartés aisément et de revenir sans perdre le lecteur, au contraire. C'est un vrai plaisir que de suivre l'enquête de Joseph Laborieux et de tenter de comprendre comment un homme simple peut se laisser entraîner dans des actes terribles. Car c'est aussi cela ce roman, tous les Français n'ont pas été des résistants -ni des collaborateurs. Emile Brami ne juge pas Laborieux ni ne le défend, chacun se fera son idée. Pour ma part, je reste sur celle du non-jugement, qui peut être certain de ce qu'il aurait fait dans de telles circonstances ? Et surtout, je reste sur l'impression d'avoir lu un excellent roman de ceux qui restent en mémoire tant pour l'histoire que pour les personnages.
Un roman assez inégal pour moi, écrit en deux grosses parties et deux plus petites. La première est celle de la rencontre, intitulée Moi, Émile Brami. Elle n'est point sous-titrée "roman" et laisse donc penser à une certaine réalité. C'est celle qui raconte comment Émile et Azed se rencontrent, comment Émile en est venu à fréquenter cette famille qu'il fuyait auparavant. Pas mal, mais un peu longue et pas toujours captivante, sans doute parce qu'alourdie par des détails inutiles et des conversations qui auraient méritées d'être raccourcies.
La deuxième partie, intitulée Lui, Abraham Zeitoun, dit Azed, et sous-titrée "roman" et nettement plus vive, plus émouvante. C'est Azed qui raconte sa vie dans une famille soumise au père tout puissant et repliée sur elle-même. C'est le ton dont use Émile Brami qui la rend plus attrayante : il n'y a plus de dialogues ou peu et débute par cette phrase que j'aime beaucoup : "Je ne t'apprendrai pas, Émile, que l'histoire des fils commence bien avant eux, avec celle de leur père." (p.107). Émile va au plus profond de son personnage, Azed, et nous lecteurs de nous demander ce qui est de la fiction et de la réalité et de s'en moquer ensuite, puisque le récit drôlement bien mené suffit à nous emballer et que le plus important n'est pas de savoir ce qui est né de l'imagination du romancier ou ce qui est de son expérience personnelle, les deux s'entremêlant sans doute très fortement.
Suivent une courte troisième et une très courte quatrième parties, dans lesquelles Émile Brami brouille encore plus les pistes sur la réalité et la fiction et s'amuse avec ses lecteurs, même si le propos n'est pas à la rigolade.
Je sors de ce roman un peu mitigé sur la première partie, mais comme les suivantes m'ont bien plu, j'oublie assez vite les réserves des premières pages pour ne garder que le meilleur de ce roman, le premier d'Émile Brami que je lis qui en a pourtant écrit plusieurs ainsi que du théâtre et des essais et une biographie de Louis-Ferdinand Céline.
Bien troussé, agréable à lire, "Editeur!" est une jolie friandise qui saura vous détendre entre deux romans plus plombants.
J’ai lu ce petit roman au rythme enlevé et à l'humour cinglant avec beaucoup de plaisir.
On y suit, le sourire aux lèvres les tribulations d’Emile Benarous, écrivain et galeriste la soixantaine bien frappée, aux prises avec Bernard Cisse, un entrepreneur mégalo assez imbu de lui-même pour parvenir à croire que dans l’édition comme dans la boucherie (son ”core business” ou coeur de metier comme on dirait dans le jargon de l’entreprise) tout ce qu’il entreprend est voué au succès.
Et pourtant Elie n’avait rien demandé. C’est tout juste s’il avait laissé, par courtoisie pour ses lecteurs son adresse mail dans son dernier ouvrage. Mais c’est compter sans Bernard Cisse, découvreur de talents qui rapidement avec son bagou et en y mettant les moyens - d’abord des cadeaux sans raison, un déjeuner gargantuesque, une familiarité imposée, puis la grosse artillerie financière-, va convaincre Elie que celui-ci est l’homme de la situation pour gérer la maison d’édition qu’il entend fonder. On pense tout de suite au film “Harry, un ami qui vous veut du bien”, dans lequel Sergi Lopez resurgit dans la vie d’un ancien ami d’enfance, décrète vouloir tout faire pour son bien coûte que coûte, victimes collatérales comprises… tout cela sans qu’on ne lui ait rien demandé.
Même schéma ici, et l’on s’amuse des abondantes descriptions pleines d’humour et d’ironie de cet archétype du parvenu ignare qui parvient à se convaincre lui-même puis son entourage qu’avec un gros paquet de fric et un sens du commerce aigu on parvient toujours à ses fins. Après le personnage d’Harry, c’est le mot d’Audiard qui s’impose rapidement à l’esprit: “Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.” Le roman puise sa dynamique de l’opposition entre les deux personnages : d’un côté, Elie, l’auteur et galeriste sans histoire, dont l’intégrité morale et l’honnêteté artistique sont garanties par son désintérêt le plus total pour les affaires. A l’autre bout du spectre, Bernard Cisse, incarnation de l’entrepreneur-arnaqueur, dont l’arrivisme se justifie par le poncif du “self-made man”, qui se pique d’un intérêt pour les belles lettres et ponctue chaque phrase d’une citation latine ou d’une digression étymologique… mais confondra au bout d’une centaine de pages Tabbuchi avec les “ennuyeux” auteurs japonais.
Emile Brami remonte la chaîne de l’édition et dresse des portraits au vitriol de tous les acteurs intermédiaires: auteurs de tout poil, éditeurs, distributeurs, diffuseurs, critiques littéraires etc…
Coups de griffe, style grinçant et rebondissements rocambolesques, j’ai beaucoup aimé cette lecture !
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