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Une nouvelle maison d'édition et une formidable aventure : "Le Bruit du monde" présenté par sa cofondatrice Marie-Pierre Gracedieu

« J’aimerais que chaque lecteur soit embarqué pour une destination à laquelle il n’était pas préparé »

Une nouvelle maison d'édition et une formidable aventure : "Le Bruit du monde" présenté par sa cofondatrice Marie-Pierre Gracedieu

Si une maison d’édition sait créer l’envie, c’est bien Le Bruit du monde dont on attend les premiers textes depuis des mois.

Marie-Pierre Gracedieu, qui a relancé la Cosmopolite de chez Stock avant de prendre en charge le domaine étranger de Gallimard, est à l’origine de cette formidable aventure que beaucoup s’interdiraient en temps de crise. Mais la crise durant et les éditeurs survivant plutôt pas mal, on ne peut que saluer l’audace, la détermination et la créativité de cette nouvelle maison littéraire, distribuée par le solide groupe Editis, qui a choisi de s’installer à Marseille. Les premiers livres sont là, à l’instar des Choses que nous avons vues de la néerlandaise Hanna Bervoets et sur lequel nous reviendrons bientôt sur lecteurs.com.

 

Rencontre avec Marie-Pierre Gracedieu, cofondatrice de la maison d'édition Le Bruit du monde

- Marie-Pierre, vous nous aviez présenté le projet du Bruit du monde avec Adrien Servières, lors d’un webinaire en partenariat avec Un endroit où aller en avril 2021. Vos premiers livres sont sortis depuis quelques jours. Comment regardez-vous le chemin parcouru ?

Nous sommes enfin posés dans nos locaux, à Marseille ! On a d’abord travaillé entre Paris et Marseille de mars à juillet 2021, période qu’Adrien et moi avons consacrée à la composition d’une équipe éditoriale et commerciale. Nous avons calibré les postes, évalué nos besoins en éditeurs qu’on souhaitait expérimenter pour développer le domaine français. Je n’avais pas osé rêver que nous rejoigne quelqu’un comme Marie Desmeures, un des grands noms d’Actes Sud où elle a travaillé durant 24 ans. Nous avons les mêmes exigences, des sensibilités différentes, mais nous attendons les mêmes choses d’un livre.

Je cherchais aussi l’assistant idéal, j’avais mesuré chez Stock puis chez Gallimard l’importance de ce rôle. J’ai rencontré le fabuleux Benjamin Burguete qui a vécu plusieurs années à l’étranger, et terminait une mission pour une agente. En juillet 2021, juste après l’emménagement à Marseille, j’ai commencé à chercher une attachée de presse capable de se partager entre Marseille et Paris. J’ai appelé Amélie Dor pour lui demander conseil et finalement à la fin de l’été, on comprend qu’on va le faire ensemble. Idem pour Lucas Galian qui enrichit l’équipe pour s’occuper des cessions de droits et des relations avec les libraires. Ensuite, il a fallu établir la « tuyauterie » avec Editis, les services généraux, le juridique etc.

Il y a un an, je n’étais sûre de rien, mais tout ce que j’ai imaginé, souhaité, est arrivé. Le Bruit du monde est constitué de six personnes qui mélangent des personnalités, des générations, et composent désormais une vraie et belle équipe.

 

- Comment tout cela a-t-il commencé ?

Tout a commencé par une rencontre informelle avec le secrétaire général d’Editis, Jean Spiri, en septembre 2020. Il n’y avait aucune envie particulière de ma part à ce moment, mais ce genre d’aventure ne commence jamais sans une vraie rencontre. Au cours de ce déjeuner, je me suis retrouvée à lui confier mon envie de créer ma propre maison. Je sors de ce rendez-vous avec cette idée qui me trotte dans la tête, encouragée à y réfléchir. C’est terriblement excitant et intimidant de créer une maison d’édition. Quelque temps plus tard, à la faveur d’un week-end à Marseille avec Adrien et alors qu’on prend tranquillement un verre sur le vieux port, je comprends que ce projet ne peut se faire qu’avec lui et dans cette ville ouverte sur le monde et multiculturelle. On rentre à Paris le sourire aux lèvres, Michèle Benbunan, directrice générale d’Editis et Jean Spiri accueillent la nouvelle avec enthousiasme, nous sommes en octobre 2020.

Commence la construction du projet, business plan, nombre de livres par an, les écueils, les points forts, la constitution de l’équipe, etc. En janvier 2021, le projet apparaissait clairement et on était tous d’accord pour le réaliser. On a trouvé les locaux en février, et emménagé en juillet : nous sommes installés en plein centre de Marseille, dans un espace de 200 m2, qui permet à chacun d’avoir un bureau ; nous avons une immense salle de réunion où l’on organise déjà des ateliers d’écriture, bientôt, je l’espère, de traduction, et puis, à l’étage, une résidence pour des auteurs, des traducteurs. Nous sommes prêts.

 

- D’où vient le nom de votre maison, Le bruit du monde ?

On savait que le nom s’organiserait autour du mot « monde » mais nous n’étions pas des professionnels du « brainstorming ». Et puis un jour, Adrien est entré dans le bureau en disant « pourquoi pas Le Bruit du monde » ? Je trouvais l’idée du bruit ambiguë, mais c’est aussi un mot qui accueille les nuances et les singularités et donne une unité à l’ensemble par le singulier. Et finalement, ce nom, Le Bruit du monde, c’est aussi complètement Marseille. D’où le logo avec les caisses de résonances.

 

- Vous avez fait le choix de vous installer à Marseille, ce qui n’est pas une démarche évidente ni attendue quand on vient de l’édition parisienne…

Avec Adrien on aime cette ville depuis très longtemps, c’est un point de connivence partagé entre nous qui sommes tous deux clermontois. Le choix de Marseille a été plus qu’un choix géographique. J’ai grandi en Auvergne, mais pour mes études et ma carrière, j’ai dû choisir entre Marseille et Paris. J’ai choisi Paris. Aujourd’hui je peux faire ce choix de Marseille par élection et par ambition. J’y retrouve le monde entier en une seule ville. J’entends plein de langues étrangères, de l’arabe, de l’allemand au chinois, et une population très jeune, ce qui est très enrichissant, et vivant.

 

- Vous aviez déjà participé à l’aventure de la création d’une maison d’édition, les Éditions Alvik, en 2001 avant de rejoindre les équipes de Stock et d’y prendre en main la Cosmopolite. Y avait-il chez vous l’envie, l’élan de créer votre structure ?

Je ne pourrais pas répondre oui. Rétrospectivement, tout semble converger en un projet cohérent. Moi qui ai fait une école de commerce sans aucun goût pour cela, peut-être avais-je une veine entrepreneuriale à laquelle je n’ai pas cru pendant longtemps. C’est drôle en effet, j’ai commencé dans l’édition avec cette aventure qu’était Alvik. C’était une chance phénoménale, à 22 ans, de bâtir un catalogue d’essais pour un grand public éclairé, ainsi qu’une collection de polars. Avant cela, j’avais passé deux ans à New York dans une agence littéraire. J’ai quitté les éditions Alvik pour rejoindre Jean-Marc Roberts aux éditions Stock.

 

- Vous créez une nouvelle maison d’édition, mais pour quelle littérature, pour quel sillon littéraire nouveau ?

Le Bruit du monde porte bien son nom, dans le sens où la maison veut accueillir le monde dans ce qu’il a de pluriel, nuancé, complexe et inattendu. Nous faisons le pari de la complexité appréhendée par les armes de la narration. Nous souhaitons que d’emblée, une intensité s’installe, par la densité des personnages, la tension dramatique. Il y aura des écrivains expérimentaux, et des écrivains plus romanesques : en moi il y a l’âme de l’enfant qui veut être embarqué et émerveillé et parfois qu’un auteur chamboule tout. J’aimais la possibilité de publier des livres de genres différents, sans rien m’interdire : Je crois plus que jamais à la fiction pour appréhender des points de vue qui ne sont pas les nôtres, mais j’ai aussi envie de publier des récits, des polars et des essais narratifs.

 

- Que permet une « petite » maison qu’une grande a plus de mal à accomplir ?

Une petite maison est généraliste, elle ne fonctionne pas par collection. Le fait d’être une « nouvelle » petite maison ouvre une page blanche qui va se remplir sans les contraintes imposées par les catalogues de maisons plus installées. Avec la possibilité de tordre les genres…

 

- C’est-à-dire ?

J’aimerais que chaque lecteur soit embarqué pour une destination à laquelle il n’était pas préparé et en sorte transformé. La traduction offre déjà une ouverture formidable vers l’inattendu, grâce à des livres qui ne racontent pas forcément ce qu’on a déjà lu. Nous savons que des auteurs de langue française peuvent aussi tenir cette promesse. Si la littérature ne transforme pas comme un essai, lire c’est accepter de voir le monde en plusieurs dimensions. Le pari de Marseille c’est de se permettre aussi un pas de côté, avec une maison assez curieuse et ambitieuse pour chercher des auteurs qui ne seront pas forcément parisiens.

 

- Vous travaillez avec votre conjoint, c’est un risque ou un plaisir ?

Nous travaillions tous les deux dans l’édition avant de monter cette maison. Cela prenait donc déjà une part importante de nos vies et de nos discussions. Mais désormais, on fabrique quelque chose ensemble. On s’est partagé les choses, en totale complémentarité. Adrien a été libraire et diffuseur, il assure toute la partie commerciale du Bruit du monde, le pôle stratégique du fonctionnement d’une maison d’édition. Pendant 15 ans, je m’étais efforcée, dans chaque grande maison où j’ai travaillé, de convaincre pour chacun des livres que je publiais, ce qui prend une énergie importante. Avec Adrien on n’est pas d’accord sur tout mais on parvient toujours à un accord.

Adrien sait faire la différence entre son goût et celui du libraire à qui il s’adresse, ce qui est une qualité précieuse. C’est drôle car on pensait se connaître parfaitement mais le fait de travailler ensemble nous permet de découvrir des choses l’un de l’autre, ce qui permet aussi de mieux se connaître soi ! Adrien m’aide à rire de moi-même. Je n’aurais jamais pu y arriver sans lui, c’est une évidence : il fallait que ce soit lui. On invente chaque jour une forme de co-direction qui nous semble parfaitement naturelle et évidente.

 

- Vous êtes une maison d’édition mais aussi un lieu d’accueil…

Nous organisons des ateliers d’écriture depuis novembre, une fois par mois. Je voulais garder des liens avec des auteurs que j’estime et que j’apprécie, comme Véronique Ovaldé, Agnès Desarthe, Alice Kaplan, etc. Une communauté se forme autour de ces ateliers, beaucoup de Marseillais mais aussi des gens qui viennent de partout, dans un mélange de générations et de points de vue. Par chance, nous n’avons pas de Rubempré qui se prendrait très au sérieux, comme l’on peut en croiser à Paris plus facilement. Ce qui anime nos stagiaires est davantage le plaisir de réfléchir à la façon dont ils écrivent.

 

- Les projets du Bruit du monde ?

Nous allons publier neuf livres en 2022, et avons déjà plusieurs projets signés pour 2023. Nous publierons un premier essai en mai sur le thème du vin, Château-Pékin, de Boris Pétric, un anthropologue qui a travaillé avec Marie. Le premier auteur français, Christian Astolfi, sera publié en avril. Son roman, De notre monde emporté, raconte les quinze dernières années d’existence des chantiers navals de la Seyne-sur-mer, à hauteur d’êtres humains, avec puissance, et subtilité.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

 

Site officiel Le Bruit du monde

Photo Marie-Pierre Gracedieu et Adrien Servières ©Geoffroy Mathieu/opale.photo/Editions Le Bruit du Monde

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