Vous avez plébiscité les romans de la rentrée littéraire de septembre 2022 et nous vous avons proposé d'en remporter des exemplaires.
Les avis ont été publiés et aujourd'hui, nous avons le plaisir de partager avec vous la chronique de Serial Lecteur Nyctalope qui donne très envie de découvrir cet ouvrage...
L'avis de Serial Lecteur Nyctalope sur le livre Tu mérites un pays de Leila Bouherrafa (éd. Allary)
"Ce roman aborde des thématiques humaines essentielles de manière habile, drôle et subtile au détour d'une fausse candeur. Ce roman c'est un peu le miel qui viendrait s'enrouler autour du bonbon tout en ayant un coeur coulant. Je ne vais pas vous en toucher un mot mais plusieurs car oui « en France on peut toucher les mots ». Elle s'appelle Layla et va obtenir la nationalité française. Tel un totem, une carapace dorée qu'on pourrait ériger en talisman. Pourtant, être français relève pour certains du fantasme, pour d'autres une honte. Au détour de personnages secondaires singuliers et possédés sous la plume corrosive de Leïla Bouherrafa, la narratrice avance à pas feutrés avec cette voix qui tourne dans sa tête, sacrée anguille.
Moi aussi "j'ai senti ma peau se sillonner, se craqueler, se fissurer, doucement » à sa lecture. Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman subjuguant qui frôle avec affront les délices de thématiques sociétales parfois taboues. Nul doute que quiconque lira cet ouvrage ne restera pas indifférent à ce langage, à ce souffle nouveau dans une littérature parfois trop raisonnable. Tu mérites un pays. Tu mérites aussi des lecteurs car tu rayonnes par ta fougue et ton absence de filtre. Fais l'anguille Leyla, continue de faire jaillir l'électricité qui est en toi.
Elle loge dans l'hôtel social Dorothy où l'on met les gens pas encore français qui ne pouvaient aller nulle part. Elle nettoie les toilettes du café de Madame Cheng qui évite aux gens de déféquer dans la rue, croise Momo au regard tendre et à la longue barbe vilipendée par la mairie de Paris mais aussi la Dune qui vend des fleurs d'une grande mocheté, alors que son immeuble vient de s'effondrer. Cette galerie de destins de vie m'émeut pendant que j'écris cette humble chronique. Sans tomber dans un marasme criant de bons sentiments, sans jamais faire pleurer dans les chaumières, Leïla Bouherrafa écrit vrai et juste. J'ai beaucoup souligné, entouré, encoeuré dirais-je même, un peu comme dans un classique qu'on redécouvre des années après. Car oui j'ai pensé à Romain Gary, Boualem Sansal ou Albert Camus à la lecture de ces phrases répétitives entrant dans la tête comme dans le cœur.
Chacun d'entre nous connait sa « déformation professionnelle », celle des hommes est particulièrement mise à mal, on sent ainsi une immense déception dans la langue de Layla. Avec des anaphores sur chaque titre de chapitre comme s'il s'agissait d'un traité, le personnage principal vient vous accrocher au cou et ne vous lâchera plus. Contrairement à l'administration française qui ne connait « ni poésie ni sentiment », Layla est une poète malgré elle tant ses punchlines viennent percuter nos mirettes. À la fois décisif et incisif sur l'identité et ce qu'elle devient au moment d'une naturalisation, de ce passé que l'on doit enfouir sans en perdre l'essence, ce roman revêt toutes les qualités d'un livre qu'on ne peut oublier.
Quand je vous disais que j'avais beaucoup souligné et vous n'aurez que le bout de l'iceberg mais je ne peux m'empêcher d'en partager une dernière avant de vous quitter. Tout en parlant du langage et de sa transmission, de cette faculté à mettre un mot sur un animal entre le serpent et le poisson, au doux nom d'anguille, de la difficulté d'entrer en contact avec autrui lorsque les codes d'apprentissage sont brisés. Vous allez penser que j'exagère. Même pas car ce roman est aussi celui d'une critique sociétale, d'une satire de certains préjugés de l'étranger, tout du moins de celui qui ne nous ressemble pas. Celui qui doit connaitre les ministres de son gouvernement ou devenir français uniquement par un dictionnaire en abandonnant l'humanité et la culture qui est la sienne. Ne lisez pas Renaud Camus, lisez Leïla Bouherrafa."
Merci à Serial Lecteur Nyctalope !
Bonsoir, merci pour cet avis sur ce roman, satire,, justesse, transmission...le sujet ! Tout me plaît !