Javier Cercas répond à sa manière à cette question dans Le monarque des ombres.
Ceux qui connaissent Cercas n’ont pas besoin de lire cet article : Le monarque des ombres, son nouveau livre, vient de sortir. Courez en librairie ! Les autres doivent savoir que Javier Cercas est l’un des plus grands auteurs catalans vivants, qu’il est traduit en 30 langues, et qu’à l’instar de Jaume Cabre son compatriote, vous ne sortirez pas indemne de la lecture de ses livres. Un auteur à considérer dans le mouvement de son œuvre et pas seulement à travers un roman ou deux.
Dans Le Monarque des ombres (Actes Sud), il continue sa réflexion sur le héros, engagée en 2015 avec L'imposteur, Enric Marco, une idole antifranquiste. Son personnage principal est une légende familiale, Manuel Mana, qui aurait pu être un héros s’il ne s’était pas trompé de camp. Ce grand-oncle maternel est mort lors de la bataille de l’Ebre en 1938 à l’âge de 19 ans pendant la guerre civile espagnole. Il reste de lui une photo, celle d’un beau militaire au regard passé, tourné déjà vers quelque chose qui n’existe plus et que la guerre a mangé en lui. Il a été l’objet d’une telle adoration par la propre mère de Cercas, qu’on raconte qu’elle n’aurait plus jamais été capable de pleurer après avoir versé toutes ses larmes pour Manuel.
Javier Cercas a grandi dans l’ombre de cette légende, de ce beau garçon tragique qui s’est sacrifié au nom d’un idéal phalangiste. Mais l’histoire lui a donné tort. Alors Cercas enquête. Il se dédouble dans le livre, enquêteur qui remonte les sources documentaires et rencontre les survivants ; écrivain qui tente de répondre à des questions lancinantes : qui est le vrai héros, Achille ou Ulysse ? Le jeune homme flamboyant à la courte vie glorieuse, ou l’homme rusé mais laborieux, qui finit par rentrer chez lui, sans gloire mais en paix ? Quelle vie choisir ? Mais aussi, et de façon plus douloureuse pour tous les vivants : peut-on être un héros noble et lutter pour une mauvaise cause ? Où se trouve la vertu, dans l’homme du combat ou dans l’historien qui raconte l’événement ?
Pour répondre à ces questions, Cercas replonge dans l’histoire de la guerre civile espagnole, les années 30, l’émergence du franquisme. Il raconte aussi la façon dont les populations ont ensuite dû vivre ensemble, républicains et franquistes mélangés dans les mêmes villages, et la manière dont les haines se domptent ou se répriment. La fameuse tabula rasa, pratiquée en Amérique du Sud après les dictatures, qui a tant ressemblé à la poussière qu’on camoufle sous les tapis.
L’auteur l’avoue lui-même : 80 ans après les faits, les questions sont plus éloquentes que les réponses, l’enquête avance mais se dérobe aussi sous les pas de l’auteur. Le Monarque des ombres est une passionnante plongée dans l’histoire et ses enjeux, mais aussi dans la question du sacré de la filiation. Si l’auteur parvient à rassembler tous les fils, ils ne le conduiront pas à une vérité objective, mais à la certitude d’un sentiment d’immortalité, celui que la reconnaissance des racines, à condition qu’on s’en émancipe, peut conférer au vivant lucide.
Merci Karine pour ce bel hommage rendu à Javier Cercas, un écrivain talentueux et exceptionnel édité chez Actes Sud mais pourtant pas suffisamment connu en France.
Je ne connais pas cet auteur catalan… certains de ses livres ont été apparemment adaptés au cinéma… Ce livre a l'air fort et intime.