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Traduction inédite du grand essai de Hilaire Belloc qui mêle histoire, économie et philosophie pour proposer une économie distributiste, décentralisée et à hauteur d'homme.
« Vous ne posséderez rien et vous serez heureux ». Cette phrase, prononcée à l'occasion d'une conférence du « Forum de Davos » (World Economic Forum ou WEF) est perçue comme une déclaration explicite de la volonté des puissants à déposséder les peuples. Mais disparition de la propriété privée rime-telle vraiment avec promesse de bonheur? Pourrait-on garder sa dignité et son honneur dans un monde où rien ne nous appartiendrait ?
Hilaire Belloc a tranché cette question par la négative dans ce texte écrit déjà en 1912, intitulé sobrement L'Etat servile. George Orwell écrivait en 1940 que « dans ce livre Belloc avait anticipé avec une étonnante précision tout ce qui se passe maintenant. » (Time and Tide, Londres, 6 avril 1940) On peut lire 1984 d'Orwell comme l'illustration romanesque des idées de Belloc.
La géniale perspective orwellienne, selon laquelle « celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur », a aussi son origine chez Belloc. Notre auteur, historien formé à Oxford, homme politique et un des écrivains anglais les plus importants de la première moitié du XXe siècle, avait remarqué que le pouvoir politique avait opéré une immense réécriture de l'histoire anglaise. Pour asseoir son autorité « anglicane », l'oligarchie libérale avait gommé l'importance écrasante du catholicisme dans la genèse de la Grande Bretagne. La corruption de la mémoire historique comme méthode de manipulation politique - thèse qu'Orwell explique au grand jour, et qui a fait la fortune de sa dystopie, vient de ce petit ouvrage de Belloc.
Révolutionnaire pour son époque, cet essai a été aussi une inspiration majeure du prix Nobel d'économie F. von Hayek, auteur de La route de la servitude (1944).
La polysémie du mot « Etat » permet à Belloc de traiter à la fois de la condition humaine et des gouvernements où l'esclavage est pratiquement rétabli, que ce soit au profit de grands monopoles capitalistes ou de la centralisation bureautique collectiviste.
Le diagnostic de Hilaire Belloc, c'est que le capitalisme est fondamentalement instable, ce qui l'entraîne vers la concentration des moyens de production et l'asservissement des masses, auxquelles il garantit en échange une certaine satisfaction et une certaine sécurité: en bref, les puissants achètent la paix sociale avec la Sécurité sociale. En France, cette sécurité sociale est désormais légalement obligatoire, avec des TAXES qui atteignent 50% des revenus. C'est cela un des traits de l'Etat servile : les dominés sont obligé de financer leur domination, par peur de la précarité.
Plus encore, Belloc ferraille contre l'Etat tutélaire et « redistributeur des richesses » parce que ces prélèvements obligatoires empêchent l'individu économe, frugal et travailleur d'accumuler de l'épargne. Ces économies, les « richesses mises en réserve pour les besoins de la production future et non pour la consommation immédiate, (...) portent le nom de capital », rappelle Belloc. Or, en étant taxé d'une façon indécente par un Etat monstrueux, jamais un salarié ne peut devenir petit propriétaire autonome, en se constituant un capital propre.
Les mathématiques sont impitoyables, et chacun peut refaire le calcul pour montrer la justesse des analyses de Belloc : en 2023, un travailleur en CDI au SMIC est contraint de cotiser, selon les chiffres officiels, 653 euros par mois pour la retraite et l'assurance maladie, ce qui fait 7836 euros par an. S'il disposait librement de cet argent et qu'il le plaçait chaque année, même à seulement 5% par an, à supposer même que son salaire n'augmente pas, avec les intérêts composés, en 43 ans il obtiendrait 1 120 495 euros. En faisant l'hypothèse qu'il vive encore 35 ans, même en mangeant simplement le capital épargné, il aurait une retraite mensuelle de 2667 euros. Certes, on devrait prendre en compte l'inflation et divers accidents de la vie, mais on a aussi présupposé que son salaire n'allait pas non plus augmenter en 43 ans, alors qu'il suivrait certainement la hausse des prix. Comparez cela avec le montant que quelqu'un qui a travaillé toute sa vie au Smic touche actuellement : 961 euros ! C'est là que se trouve la raison profonde pour laquelle Belloc attaque « la loi sur les assurances », entrée en vigueur en Grande-Bretagne l'année de la parution de l'Etat servile. Belloc y voit un de ses signes annonciateurs, non pas parce qu'avec sa santé de fer, il aurait été indifférent au sort des indigents, mais parce qu'il s'était aperçu que ces prélèvements obligatoires étaient le début d'un engrenage qui menait à l'appauvrissement de tous.
Pour échapper à cette dérive liberticide, Belloc fait de la petite propriété privée et de la décentralisation la seule alternative viable. Le dernier bastion de liberté individuelle tombera le jour où « l'on ne possédera rien ». Celui qui s'opposera à la machine étatique rentrera dans le rang ou mourra de faim.
L'originalité de Belloc par rapport aux critiques de « gauche », c'est de mettre l'accent sur le partage, non pas des richesses produites, mais des moyens d'en produire. Pour échapper au capitalisme actuel, c'est le nombre des capitalistes qui devrait augmenter, comme le disait l'ami de Belloc, G. K. Chesterton. Tel est le sens du distributivisme, qu'ils ont développé à quatre mains: non pas mieux répartir les fruits d'une production massifiée et aliénée, mais mieux répartir la propriété des moyens de production. L'horizon est l'avènement d'une société de propriétaires responsables et travailleurs, à l'opposé à la fois du communisme étatiste et du capitalisme de l'Etat-Providence, immenses machines asservissantes.
Ce livre devrait intéresser particulièrement ceux qui s'intéressent à la doctrine sociale de l'Eglise, et les lecteurs de Frédéric Hayek, Jacques Ellul, Leopold Kohr, Ivan Illich, Olivier Rey, Guy Debord et G. K. Chesterton, c'est-à-dire tous ceux qui aiment encore la liberté, et méditent sur les conditions concrètes de son expression politique.
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