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«Mon dernier frère était comme nous à la différence qu'il parlait mal. Il faut imaginer sa parole comme des fragments abîmés : certains mots sont mal articulés, d'autres sont déformés et parfois incompréhensibles, les derniers sont aussi inutiles que des jouets cassés dans un grenier.»Séverin est le benjamin d'une fratrie de quatre garçons. Il est autiste, mais personne ne prononce ce mot, peu familier dans les années 1980. Ses parents ont fait le choix de ne pas creuser son écart d'avec le monde et toute la famille cherche à appréhender de manière décalée cette expérience étrange de la parole. Ainsi, la langue de Séverin, difficilement compréhensible, devient une langue partagée, un élément de cohésion. C'est à elle que son frère aîné, Matthieu, rend hommage avec ce roman autobiographique.
Grandi dans les années quatre-vingts quand la France parlait et se préoccupait encore très peu de ce trouble neurodéveloppemental, Séverin, le dernier des trois frères de l’auteur, est autiste. Il a son langage à lui, déformé, mal articulé et pas toujours facile à comprendre, mais totalement intégré par sa famille : une langue spécifique qui a suscité chez Matthieu Mével, acteur, écrivain et metteur en scène de théâtre, une réflexion très personnelle sur la parole, qu’il entremêle à ce récit autobiographique, et qui nourrit son travail d’enseignement du métier de comédien.
Même si, comme l’exprime si justement l’auteur, le terme autiste « n’est que l’indication d’une idée bien plus générale », et même s’il faudrait, pour rendre justice à chaque cas, autant de mots différents que les Inuit emploient pour nommer la neige, tous les parents d’une personne atteinte de ce trouble reconnaîtront quelque chose de leur enfant dans Séverin. Sans parler de son parcours, des difficultés à envisager l’autisme en France bien au-delà des années quatre-vingt… Mais, pour ce frère qu’est Matthieu Mével, ce ne sont pas tant ces aléas, brièvement mentionnés, qui importent dans ce récit. Ce qui, à ses yeux, définit le plus le benjamin de sa fratrie, ce qui, lui, l’a le plus marqué et durablement influencé à son contact, c’est l’empêchement de la parole, l’enfermement dans un état de conscience qui, privé de mots, ne parvient ni à comprendre ni à exprimer les émotions, provoquant débordements, violences et troubles du comportement.
Si, en partageant et en sous-titrant ses conversations avec son frère, pour nous comme en une langue étrangère, l’auteur met en avant l’importance des mots pour l’expression et la maîtrise des émotions, c’est aussi réciproquement de la nécessité de l’émotion derrière les mots que ce texte nous fait prendre conscience, par la démonstration directe et évidente du jeu du comédien. Ainsi, pas d’émotion consciente sans parole, mais pas de parole qui vaille sans émotion : un constat qui n’en finit pas d’influencer la vie et le métier de l’auteur, dans ses livres comme au théâtre.
Impossible de ne pas se laisser toucher par l’infrangible affection fraternelle qui imprègne les pages de ce récit : un lien si fort qu’indirectement, il modèle au quotidien les ressentis, les raisonnements et l’enseignement de Matthieu Mével, certainement pas engagé par hasard dans différents métiers de la parole.
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