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« Miroir, mon beau miroir. », petite phrase qui a bercé nos enfances. Mais les miroirs sont-ils beaux ? À force de réfléchir le monde et ses turpitudes, n'ont-ils pas développé des réflexions particulières ? N'ont-ils pas, témoins muets de nos intimités, appris à voir ce que nous cherchons à cacher ?
Dans Tous nos petits morceaux Emmanuelle Urien donne la parole à ces objets du quotidien. Miroirs de poche ou grande psyché, chacun a une histoire à nous raconter, un aspect de nous-même que ces témoins silencieux reflètent à l'envie.
Emmanuelle Urien a développé au fil du temps une écriture précise, incisive, sauvage parfois. Son talent, que ses lecteurs connaissent, a été reconnu en particulier lors de la sortie en 2007 de La Collecte des monstres chez Gallimard. On retrouve dans les douze nouvelles de Tous nos petits morceaux cet univers particulier, à la fois normal et étrange, ou la part d'humanité de chacun des personnages est décrite, parfois mise à mal, par ces objets inertes que sont les miroirs.
Ce qui lie dans l'ensemble de ces nouvelles c'est que les narrateurs sont des miroirs ; la première nouvelle intitulée Eclats de miroir recense ce qui se fait en terme de miroirs, ceux que l'on retrouvera ensuite dans les différentes histoires.
Les deux nouvelles suivantes sont un peu fades, voire anecdotiques : le vie d'un miroir de médecin, celui qui recueille le dernier souffle et celle d'un miroir d'une belle femme qui se convertit à la vie monastique. Si l'idée de départ est plaisante, le propos est une peu convenu, attendu et superficiel. Par contre, les autres remontent très nettement le niveau. Emmanuelle Urien alterne les nouvelles fortes, violentes, crues parfois, plus légères voire même poétique pour l'une d'entre elle. Toujours le miroir raconte, mais il y met parfois de l'émotion, il ne reste pas froid et terne : il vit ce qui se déroule sous ses yeux, si je puis utiliser ce terme pour une glace.
La nouvelle est parfois à chute, mais parfois non. Ce qui est bien dans ce livre c'est qu'à chaque fois, on est surpris par l'angle de l'auteure, par son langage, par les personnages vus à l'envers. Et puis l'écriture change d'une nouvelle à l'autre. Parmi mes préférées, je note trois histoires dures et violentes dont je vous donne les premières phrases :
Témoin spéculaire : "Il l'embrasse. D'accord, elle le laisse, elle répond comme il faut, elle met la langue elle aussi, la baudruche de l'orgueil, elle s'applique, elle se demande sans doute si elle embrasse assez bien pour lui, un beau mec comme ça, plus âgé qu'elle, c'est sûrement un honneur." (p.83)
Gentille alouette : "Nous avons peur du noir, tous nos petits morceaux. Il est l'heure : Maman va fermer les volets. le bébé crie, nous frémissons." (p.91)
Le signe du miroir : "Planté devant la glace, il crache. Sur qui ? Sur lui qui me regarde, ou sur moi qui le dévisage ? Lequel de nous deux vient de cracher, d'un grand jet jaune, sur l'image de l'autre ?" (p.105)
Mais il y en a aussi de plus douces, plus légères :
Le jour où la neige a recouvert la plage : "Je me souviens de vous, mademoiselle. Cette large tache bleue que vous aviez sur le menton. Couleur myrtille, indélébile. Je n'avais jamais de bleu si noir, de noir si bleu, une teinte contradictoire et mal placée." (p127) Dans ce début, l'auteure réussit à placer le nom de la maison d'édition, pas mal !
Tentative réussie d'approche de l'infini : "- Tiens, regarde : les revoilà. C'est la troisième fois, ce mois-ci. Ces deux-là, ils ne se rendent pas compte : la foule du Café des Sports un dimanche matin avant les résultats du PMU, ça n'a jamais étouffé l'amour." (p.143)
Tous ces petits extraits pour vous donner envie d'aller au-delà du miroir -oui, je sais, elle est un peu facile, mais de temps en temps, les références ou allusions évidentes méritent d'être dites sous peine qu'elles manquent aux lecteurs. Après votre lecture, peut-être vous surprendrez-vous à entamer la conversation avec vos miroirs, glaces, psychés. En tous les cas, vous ne vous regarderez plus dedans de la même manière, sachant qu'ils vous observent. Quant à moi, je ne vous remercie pas Emmanuelle Urien, parce que déjà, j'avais l'habitude de parler aux différents automates (pompes essence -encore hier, j'ai répondu à l'une d'elle qui me brusquait, que j'avais mon temps et qu'elle se répétait en vain-, distributeurs de billets et autres appareils parlants), maintenant, je vais en plus m'entretenir avec mes miroirs : je crains la camisole, l'internement ou au minimum, l'interrogation de mes proches... Encore que, je crois qu'ils sont habitués à mes bizarreries. Finalement c'est peut-être leur non-étonnement qui m'effraiera le plus...
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