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«Je m'étais habitué à la mort de Tournier plus facilement qu'à celle de Michel. Contrairement à lui, j'étais plus sensible à l'intime qu'à l'extime. Sa condition me ramenait toujours à celle des Solitaires qui ne dédaignaient pas la fréquentation du monde. Ces réflexions furent ravivées au moment je fus approché par France Culture : appel téléphonique féminin, puis courriel. La Compagnie des Auteurs France Culture, par l'intermédiaire de Corinne Amar, m'informait de la programmation d'une semaine d'émissions consacrée à Michel Tournier du 27 février au 2 mars 2017. Je serais reçu à la Maison de la radio le mercredi 1er mars de 15h à 16h pour parler de l'oeuvre de Michel Tournier, et notamment de mon essai, Michel Tournier ou le choix du roman, paru en 2005. Emission en direct. « Vous serez notre seul invité en plateau. » Double joie : me retrouver dans un studio de France Culture, où j'avais exercé le métier annexe de critique littéraire ;
évoquer librement la figure et l'oeuvre de mon ami disparu. Cette séance, où je me savais écouté, où je me saurais écouté par un public disparate, comme cet homme qui jouait au tennis de table dans la même salle où je le croisais chaque jeudi et qui, à mon entrée, accourut pour me dire qu'il m'avait entendu l'autre fois, cette séance de direct, j'eus l'impression de la traverser comme en état second, dans un complet aplanissement de la maladie. Je planais, accomplissant, en une sorte de transfert métaphorique, ce Merveilleux Voyage de Nils Holgerssohn qui assurait la survie de Selma Lagerlöf, auteur de ce « livre fétiche », dont Michel Tournier écrit dans Les vertes lectures ( 2006 ) qu'il ne l'a « jamais quitté ». Je répondais aux questions du journaliste, je remettais des choses en place, je dialoguais avec Tournier impassible dans sa tombe janséniste, je ne doutais pas que la mort eût triomphé de son génie, son génie survivait à la mort, comme j'espérais qu'à travers le son assourdi de ma voix inexorablement voilée un souffle bercerait un météore fait de l'invention de Tournier et de l'amour de la reine de mes années.»
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