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Un petit garçon mutique au comportement inhabituel ? Une comparaison avec l’excellent Bizarre incident du chien pendant la nuit ? Mon radar-détecteur de livres sur l’autisme s’est aussitôt mis à clignoter à toute vitesse, et c’est avec un soulagement infini que j’ai reçu le mail positif de Babelio suite à la Masse critique de janvier ! Ceux qui me suivent le savent, c’est un sujet qui m’intéresse tout particulièrement, et je suis toujours à l’affut de romans abordant cette thématique. J’étais d’autant plus impatiente de découvrir Shtum qu’il allait également me permettre de découvrir les éditions Stéphane Marsan, dont la ligne éditoriale (« une littérature […] dont les sujets et la sensibilité trouvent un écho dans la vie de chacun d’entre nous, […] qui s’inscrivent dans les moments forts de la grande histoire et les enjeux de la société, et les reflètent, les éclairent ou les contestent ») m’intriguait au plus haut point !
Du haut de ses dix ans, Jonah a tout du grand bébé : il ne prononce pas un mot mais hurle quand quelque chose ne va pas, porte encore des couches, ne s’habille pas tout seul et mange avec ses doigts. Le petit garçon souffre d’un autisme sévère, et tous les spécialistes s’accordent pour affirmer à ses parents que ses chances d’évolution sont infinitésimales. Epuisés, convaincus qu’ils ne sont pas capables d’offrir un environnement serein et enrichissant à leur enfant, Ben et Emma décident de tout mettre en œuvre afin de le faire admettre dans un établissement spécialisé … Commence alors une longue et éprouvante bataille juridique avec la municipalité, qui s’efforce quant à elle de ne pas avoir à payer ces frais de scolarité en proposant une prise en charge moins couteuse, mais également moins adaptée aux besoins spécifiques de Jonah. Affirmant qu’ils auront plus de chance s’ils prétendent être séparés, Emma demande à son mari d’aller s’installer chez son père avec Jonah … Commence alors une cohabitation des plus étranges, surprenant mélange de silences et de révélations …
Le premier aspect de ce roman, celui qui m’a attiré en premier lieu, c’est donc le combat de ce père pour offrir un avenir à son fils, atteint d’un autisme profond. Nous le suivons dans ce quotidien éprouvant, où « le seul élément prévisible, c’est l’imprévisibilité » de Jonah : hurlements et accès de violence brisent soudainement le calme et les rires de ce petit garçon qui n’a jamais prononcé que trois mots avant de se taire définitivement. Rassuré par les rituels et la routine, Jonah se tape la tête et se mord la main dès qu’un petit détail diverge de l’ordinaire pour le plonger dans une terreur indicible. Ben n’a rien du « père-courage » que présentent d’ordinaire les récits de ce genre : dépassé par la situation, épuisé, perdu, déprimé, il n’y a que pour le rituel du bain qu’il se sent véritablement à la hauteur … Ben n’a rien du « père-héroïque » que l’on s’attend à trouver dans un roman : alcoolique notoire, chef d’entreprise irresponsable, couvert de dettes, il n’a rien pour attirer la sympathie … et pourtant, on s’attache à lui, car il est profondément humain, faillible, banal. Tant bien que mal, il se plonge à corps perdu dans cet éprouvant combat juridique, et j’ai littéralement versé toutes les larmes de mon corps lors de son intervention au tribunal, dont je vous donne les premiers mots : « Jonah n’a pas de voix, il ne peut dire à personne à quoi ressemble la vie pour lui. Alors je me dois d’être sa voix. ». Désemparé comme le sont bien des parents d’enfants autistes, Ben découvre qu’il est le mieux placé pour être son porte-parole …
Car ce livre met bien l’accent sur la « cruauté administrative » à laquelle doivent faire face ces parents déjà émotionnellement éprouvés : comme partout dans notre monde, tout est question d’argent … Pourquoi la municipalité dépenserait-elle des fortunes pour l’école d’un gosse déficient ? Et croyez-moi, j’exagère à peine en utilisant cette formulation volontairement inhumaine : les services sociaux n’ont qu’un seul objectif, trouver la prise en charge la moins couteuse, sans songer un seul instant à l’avenir de cet enfant différent, et toutes les excuses, même les plus absurdes, sont bonnes pour légitimer le refus de subvention. Ce sont des gens qui ne connaissent pas Jonah, qui ne le comprennent pas, qui vont décider de son existence … Ben s’insurge : il sait bien, lui, ce dont a besoin son enfant. Il sait ce qui génère ses crises d’angoisse, il sait comment les apaiser – même si cela ne marche pas toujours. Ben aime son garçon, même s’il ne sait pas le lui montrer, même s’il n’est jamais certain que la réciproque soit vraie. Même si, parfois, il n’en peut plus et s’énerve et déclare qu’il préférerait qu’il ne soit pas né, pour aussitôt regretter ses paroles.
Une certitude s’impose en effet à Ben : il craint les mots, « plus que tout ». Il est fort paradoxal de constater que les mots occupent une place centrale dans ce livre dont le titre est un mot issu du yiddish et qui signifie « silencieux, muet, sans parole ». Jonah ne parle pas, Ben et son père Georg ne se parlent plus, et Georg – atteint d’un cancer incurable de la gorge qui va prochainement lui ôter la parole – raconte longuement sa vie à son petit-fils, attirant la jalousie de Ben qui n’a jamais rien su de l’histoire familiale. Bien plus que l’autisme, finalement, ce sont les relations pères-fils qui représentent le fil rouge de ce roman … Ben est à la fois l’un et l’autre, et il a le sentiment d’avoir échoué des deux côtés : malgré ses efforts, il n’a été qu’une déception pour son père, et malgré ses efforts, il n’a pas été à la hauteur pour son fils. La culpabilité le ronge, et pour éviter de sombrer sous ses vagues, il se noie dans l’alcool. Son mariage lui-même va à vau l’eau : Emma n’en peux plus d’être « la mère de son mari » … et être la mère de son fils est également devenu un fardeau bien trop lourd à porter. Emma, on la plaint et on la déteste en même temps : tantôt on comprend son besoin de s’éloigner de ce quotidien mortifère, tantôt on lui en veut de laisser Ben seul aux commandes, lui qui semble déjà avoir du mal à s’assumer seul. Ben, Emma, Georg, tout trois ne savent finalement pas comment exprimer ce qu’ils ressentent, et cela entraine malentendus et disputes à répétition. Ils sont liés les uns aux autres par le seul qui se contrefichent totalement des mots pour se concentrer sur l’essentiel : Jonah, ce petit garçon qui semble tantôt terriblement lointain, tantôt étrangement lucide …
En bref, c’est une véritable pépite que nous offre Jem Lester, lui-même papa d’un petit garçon autiste qui, je le devine, lui a inspiré le comportement du petit Jonah. Mais surtout, il le dit lui-même, ce roman « traite de l’autisme, et en même temps, de bien d’autres choses » … et ces autres choses sont tout aussi intéressantes, bien qu’inattendues ! Shtum, c’est ce que j’appelle un livre « brut » : la narration va à l’essentiel, elle raconte sans détour, sans pudeur, sans fioritures ni filtres. Les phrases sont courtes, percutantes. Les dialogues sont brefs, frappants. Pas de longues envolées lyriques destinées à faire pleurer dans les chaumières, bien au contraire. Et, paradoxalement, cela ne rend le récit que bien plus troublant … Shtum, c’est un roman surprenant, mais surtout, c’est un roman bouleversant, qui ouvre une véritable réflexion sur le langage, à travers le récit singulier de ces trois générations réunies pour la première et dernière fois sous le même toit … Indiscutablement un livre à découvrir et à faire découvrir !
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2019/02/shtum-jem-lester.html
Jonah, 11 ans, est sévèrement autiste. Incontinent, mutique depuis l’âge de trois ans et ayant un comportement imprévisible, le quotidien est très éprouvant pour Ben et Emma. Le couple au bord du gouffre n’a qu’un seul objectif, que leur fils puisse intégrer un établissement spécialisé qui lui permettrait de s’épanouir pleinement. Mais cette solution a un coût. S’engage alors une bataille juridique de longue haleine. Et, afin de faire avancer les choses, Ben part vivre avec Jonah chez son père Georg.
Dans cette fiction particulièrement réaliste, Jem Lester, lui-même père d’un enfant autiste, s’inspire de son vécu pour nous conter cette histoire que l’on suit à travers les yeux de Ben. Une lecture bouleversante, dotée aussi de touches d’humour que l’auteur égrène judicieusement tout au long du livre. J’ai particulièrement aimé la dernière partie du récit, riche en émotion et inattendue, qui donne une toute autre dimension au roman.
Si l’un des sujets principaux de ce livre est l’autisme, la relation père-fils est également mise en exergue. Il y a celui qui a choisi de taire son passé et rompre ainsi le lien qui l’unit à son fils. Et il y a celui qui noie ses problèmes dans l’alcool et fuit ses responsabilités. Un père imparfait mais déterminé, qui se battra par amour pour son enfant.
Georg, le grand-père de Jonah, est un personnage vraiment attachant et la relation pleine de tendresse qui le lie à son petit-fils m’a beaucoup touchée. Shtum signifie « silencieux, muet » en yiddish, mot qui résume à lui seul parfaitement cette histoire de non-dits.
La lutte acharnée d’une famille qui met tout en oeuvre pour donner le meilleur à leur fils. Mais, Shtum n’est pas seulement un récit sur l’autisme. C’est également l’histoire de trois générations d’hommes liés par une même incapacité à communiquer entre eux. Entre rire et larmes, j’ai dévoré ce roman surprenant, poignant et rempli d’amour.
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