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Saufs Riverains est la deuxième partie, après Ligne & Fils, d'une « Trilogie des rives » interrogeant la relation de l'eau et de l'homme, du naturel et du bâti, la violence des flux et celle des rives qui les contraignent.
Ligne & Fils se penchait sur les rivières et les moulinages à leur bord, en empruntant deux vallées ardéchoises et en remontant sur le plateau d'où elles dévalent, pour écrire une histoire de famille en deux rivières.
Dans ce deuxième volume, Emmanuelle Pagano s'est intéressée à l'ennoyage, par un lac de barrage, d'une vallée géologiquement riche et marquée, la vallée du Salagou, où son grand-père paternel possédait deux petites vignes, aujourd'hui sous l'eau, dont elle n'a connu qu'une image :
La photo des dernières vendanges. Cette photo a été prise par sa mère, dans le ventre rond de laquelle elle était alors prête à naître. Les vannes du barrage étaient déjà fermées. Au moment de sa naissance, de la perte des eaux de sa mère, les vignes du père de son père étaient noyées.
Dans ce livre comme dans les deux autres volumes de la trilogie, elle a eu le même souci de mettre en mots, pour mémoire, ce qui disparaît ou va disparaître, avec cette différence que celui-ci relate des éléments en grande partie autobiographiques.
En remontant les âges néanmoins, elle s'est intéressée à d'autres habitants de cette vallée :
Paul Vigné d'Octon, les Lauzières de Thémines et François Bedos de Celles, entre autres noms que l'Histoire et les arts ont retenus, sans oublier, sous prétexte de ne pouvoir les nommer, les premiers paysans des hauteurs de la vallée, occupant, au néolithique, les petits Causses de leurs préoccupations pastorales et, déjà, narratives.
Emmanuelle Pagano pensait se cantonner à ce côté-là de sa famille, la rive paternelle, en explorant tout ce monde passé et noyé, sans franchir le pas de l'Escalette qui permet de passer sur les hauteurs d'où vient sa mère, essentiellement des pâturages pour les moutons.
Mais en cours d'écriture, un oncle dont elle était très proche lui a révélé, près d'un autre lac de barrage, un secret de famille portant sur un autre lieu disparu, dans sa famille maternelle, une famille d'éleveurs.
Elle est donc à nouveau montée sur un plateau d'altitude, comme dans le premier tome, en essayant de redessiner les cartes complexes de ces endroits d'elle perdus : des terres familiales qu'elle n'a jamais connues. Elle s'est alors progressivement rendue compte de tous les liens entre le bas et le haut : des circulations d'hommes, de bêtes, de sel, de lait et d'eau, dont elle a voulu tracer les chemins sur ses cartes.
Les cartes sont son matériau principal d'écriture, elle les plie et déplie, elles l'aident à structurer le récit, mais elles la perdent aussi. Ce livre est ainsi rempli de digressions.
Les barrages sont une tentative de l'homme pour canaliser quelque chose qui le dépasse, ici un petit ruisseau, souvent à sec, dont les débordements sont impressionnants. Avant le barrage, des canaux, appelés béals dans ces lieux arides, guidaient l'eau rare jusque dans les jardins.
La présence de l'eau, sa force obsédante, ont aussi à voir avec la manière même dont l'acte d'écrire peut être vécu : si les mots coulent hors de soi, l'écriture est peut-être une tentative pour contrôler cet écoulement comme les barrages, digues, béals, canaux, écluses.
Le contrôle de l'écriture, qui s'est poursuivi dans ce livre avec l'aide de l'oncle de l'auteur, gardien de la mémoire familiale et ancien infirmier à l'hôpital psychiatrique, nous permet de découvrir la saveur narrative des terres, des terroirs, des traditions, de l'orgueil, de l'atavisme et de la folie.
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