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«C'est bien de cela qu'il s'agit, de faire vivant.» Après quatre livres composés de nouvelles ou de récits courts, Jean-Claude Leroy propose avec Rien seul son premier roman.
C'est l'histoire de Cédric, «un être silencieux et obéissant qui, pour des raisons pratiques, jamais pour s'épancher ou livrer un sentiment, s'exprime d'une voix douce - sauf s'il est vraiment ivre, alors il lui arrive de redire après Jean-Pierre une opinion sur la valeur d'un téléfilm ou sur la beauté d'une femme.» ; Cédric qui «ne montre jamais d'entrain à réaliser quoi que ce soit, néanmoins personne ne le suppose indifférent» ; qui «peut rester assis près d'un arbre pendant des heures, ne disant rien, sans manquer de rien» ; qui va bientôt se retrouver clochard et alcoolique dans une société qui refuse toute place à ceux qui ne se normalisent pas.
«Cédric est encore un tout jeune homme mais il véhicule toutes les défaites transmises par des générations de perdants, toutes les humiliations qu'il a partagées avec son père quand trop de fatigue et d'abrutissement l'empêchaient de se tenir debout dans le regard de ses enfants. Cédric a hérité d'une force dénuée d'enthousiasme, une force tout juste bonne à supporter un homme et à le faire obéir aux lois diverses de l'exploitation.» Quant à «Auguste, le père toujours saoul, il n'y a que mourir qu'il a su faire, impeccablement.» Cédric semblait pourtant capable de vivre, après son départ - sa fuite ? - avec Jean-Pierre vers ce qui pouvait paraître un avenir, son initiation amoureuse avec Judith, puis sa rencontre avec Annick et la naissance de leur fille Violaine, qu'«il préfère photographier que prendre dans ses bras, il craint de l'abîmer.» Seulement voilà, il n'arrive pas à trouver sa place, vivre lui est douleur. Et la société s'en mêle, évidemment. «C'est comme s'il avait glissé d'une marche et que nul n'avait prévu qu'il pût remonter un jour.» Alors tout bascule peu à peu, irrémédiablement. Il va pourtant rencontrer dans les marges de cette société d'autres solitudes pétries de cette humanité qu'on ne veut plus leur reconnaître : Marco, le clochard, qui ne demande rien, l'accepte comme il est ; la grand-mère aussi, plus tard, qui va lui ouvrir sa porte, l'accueillir maternellement dans le silence de sa mutité - alors «Cédric se découvre un certain goût de vivre, du genre qui survient quand on est amoureux sans le savoir. (...) Par ce qu'il croyait son malheur il avait contracté la honte, l'empêchement. Sa douleur même, il n'osait la faire parler. Surtout pas elle. Maintenant il voit qu'on peut ne rien vouloir, ni vaincre ni mourir.» Mais nos sociétés supportent mal ces êtres-là... Le livre se termine dans une dystopie effrayante. Une perspective effroyable dont les signes avant-coureurs sont bien perceptibles...
«Il faut attendre d'entrevoir sa dernière heure pour éprouver enfin la délivrance, ensuite les minutes peuvent bien durer le temps qu'elles veulent, on est imbattable.» À propos de Comédie du suicide, Bernard Bretonnière écrivait dans Encres de Loire : «Honnêteté, à coup sûr : éthique, littéraire, intellectuelle. Est-ce si commun?» Et à propos du style de Jean-Claude Leroy : «[ce] style souverain [qui] fait gagner l'alchimie permettant à toute littérature digne de ce nom de transmuer en or le plomb noir de ce que l'on appellera, pour dire vite, la mélancolie.» Ces remarques valent pour Rien seul. Avec ce premier roman, Jean-Claude Leroy réalise comme une quintessence de ses livres précédents. Prenant faussement l'aspect de récits de vie, la structure romanesque et l'écriture portent le propos à la dimension d'un livre rare par sa force et l'émotion qu'il suscite, où s'épanouissent les qualités poétiques de l'écriture de l'auteur. Mettant en scène les déshérités, les accidentés de la vie, le monde des gens ordinaires qui survivent à coup de courage et de lâcheté, de désespoir et d'enthousiasme imperceptibles, d'intelligence lucide et muette, Rien seul mérite, c'est notre conviction d'éditeur, la belle reconnaissance de bijou de la littérature.
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