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Au XVIIe siècle, alors que le pavillon de l'Union Jack flotte sur la mer des Caraïbes, Raven, un jeune et impétueux pirate décide de mettre la main sur un prétendu trésor, promis à l'infâme gouverneur de Tortuga qui fait appel à lady Darksee, une redoutable femme pirate, en échange du pardon royal.
Mais Raven, qui assiste à la scène, décide de les devancer et d'agir seul grâce à un plan de l'île où se situerait le trésor.
L'île volcanique, perdue dans les Caraïbes et peuplée par une tribu cannibale, s'avère pourtant dangereuse... Et c'est précisément sur celle-ci que le nouveau gouverneur de Tortuga et sa famille, venus de France, ont échoué après un long voyage...
Après avoir illustré puis coscénarisé « Long John Silver », Matthieu embarque en solitaire dans l’aventure « Raven » qui reprend le thème de la piraterie. Sur la couverture, bleue comme la mer, on voit un homme (Raven) confronté aux éléments, en haut d’un mât, sabre au clair. Elle donne d’emblée les thèmes principaux de l’album : un jeune héros, des dangers, de la bravoure. Paradoxalement elle n’évoque pas le duo féminin qui aura pourtant une grande importance. Mathieu Lauffray est expert ès piraterie et ça se voit ! Il n’a pas à mettre en place un nouvel univers (ce qui prend du temps en amont) et peut ainsi se consacrer à son scénario -l’intégralité de son triptyque est écrite- et à ses personnages.
Si « Long John Silver » coécrit avec Xavier Dorrison était inspiré de « l’Ile au trésor » de Stevenson, on apprend dans la courte préface du tome 1 que Mathieu Lauffray a trouvé son inspiration chez le père de Conan, Robert Howard, cette fois en adaptant très librement une de ses nouvelles : « Black’s Vulmea Vengeance ». On y trouvera donc des personnages qu’affectionne l’auteur américain. Il faut aussi noter que Lauffray avait énormément apprécié sa collaboration avec Wilfrid Lupano sur « Valerian » et que cela semble lui avoir donné envie de davantage de légèreté dans sa nouvelle série. Alors que « Long John Silver » était plutôt crépusculaire et se déroulait lors du déclin de la piraterie, « Raven » se passe en 1666, en pleine apogée du monde de la flibuste.
UN HOMMAGE A LA BD DE GENRE
Nombre de scènes sont attendues dans un récit de pirates (les abordages, la chasse au trésor, la rivalité…) et le héros arrive à se sortir in extremis de bien des périls mais c’est la loi du genre et l’on ne boude pas son plaisir. On sourit souvent des situations dans lesquelles se retrouve plongé le héros poissard. Il y a un côté décalé, « lupanesque ».
Lauffray ajoute avec la famille Montignac un autre classique du récit d’aventures : la Robinsonnade. C’est là que l’histoire fonctionne moins bien : le fort construit en 4 mois est bien trop somptueux et les naufragés trop « frais et dispos ».
Les dialogues sont pittoresques et la narration très facile à suivre puisqu’elle est globalement linéaire : on ne trouve qu’un seul flashback : la scène inaugurale ; l’album est constitué de deux histoires parallèles qui se rejoignent rapidement et d’ellipses facilement identifiables.
L’intérêt principal du scénario tient dans la rencontre « d’individus qui ne se seraient jamais croisés dans un monde ordonné ». Le trio de personnages principaux va donc produire des étincelles dans le triptyque qui va lui être consacré. Les trois personnages principaux paraissent, de prime abord, archétypaux. Ne serait-ce que par leurs noms : Lady « Darksee » (« mer sombre » phonétiquement) et Raven (« le Corbeau », oiseau de mauvais augure, symbole de la mort). Raven est français ce qui est rare dans un récit de piraterie. Il est jeune, bouillonnant, chevaleresque … ce qui le perd souvent. Il a un visage au couteau et des cheveux hirsutes … noir corbeau. C’est une sorte de « Fanfan la Tulipe », un personnage solaire qui vient sans cesse perturber les plans de son ennemie. Lady Darksee, quant à elle, en impose à ses hommes par son autorité malgré sa petite taille. Elle dissimule sous une mèche de cheveux une cicatrice au visage : elle a été marquée au fer rouge d’un cœur et d’initiales (le nom du propriétaire ? la lettre de sa faute ?) et porte un bandeau comme si elle avait été éborgnée. Elle est machiavélique. : une vraie méchante !
On pressent que le héros va balancer entre Lady Darksee et Anne de Montignac. Cette dernière est la jeune ingénue préservée des rudesses de la vie, grande, rousse, brave. Elle est solaire elle aussi. Elle représente tout ce que Darksee déteste (et jalouse peut-être secrètement) et qu’elle va s’évertuer à détruire dans les dernières pages du tome introducteur.
Ce trio m’évoque un autre trio chez Alexandre Dumas : Raven serait d’Artagnan ; Darksee, Milady de Winter et Anne, Constance Bonacieux. En tous cas il promet des relations explosives dans les deux autres tomes à venir qui permettront, je l’espère, de les doter d’une psychologie un peu plus développée. Mathieu Lauffray semble en être conscient puisqu’il envisage déjà de consacrer un diptyque à Darksee une fois la trilogie achevée comme un « préquel » qui permettrait d’en savoir davantage sur son parcours.
Ce tome 1 est un tome introducteur et il pose donc bien les personnages et les enjeux. On regrettera que le format n’ait pas été un peu plus généreux (62p au lieu de 54) pour éviter un côté un peu superficiel peut-être.
UN DESSIN SOMPTUEUX
Lauffray réussit à faire en BD ce que faisaient NC Wyeth ou Pyle dans leurs tableaux de pirates : on a à la fois une acuité historique et beaucoup de dramaturgie. Dans ses personnages il mélange un style réaliste et manga parfois (le marin à la pipe sur le bateau de Black Vane, Tim sur Tortuga). Ses paysages des Tropiques sont somptueux et certaines grandes cases ressemblent à des toiles de Fernand Keller par leurs couleurs et leurs ambiances par exemple le panoramique sur l’Ile de Tortuga (p. 18-19).
Les couleurs participent à la création d'ambiances. J’aime beaucoup le côté aventureux donné par les cadres de récitatifs transformés en parchemin. Lauffray soigne toujours les détails. Il intègre aussi très bien les onomatopées dans ses pages, contribuant ainsi au dynamisme de l’ensemble.
Les scènes d’abordage sont très originales : une double page avec le combat « en fond » sur laquelle sont incrustées quelques vignettes narratives et gros plans. Elles permettent d’exprimer la violence et le chaos tout en faisant progresser la narration. C’est dans les scènes de tempête que l’on apprécie le plus l’encrage puissant du dessinateur : la double page consacrée au naufrage des Montignac est ainsi magnifique. On sent bien la puissance des vagues, le mouvement de l’eau et le danger. Il y a souvent des ruptures de tons après les scènes d’action avec des pages muettes. Le découpage est très cinématographique : Mathieu Lauffray ayant longtemps travaillé pour le cinéma, il en maîtrise parfaitement la grammaire.
En lisant « Raven » on retrouve son âme d’enfant. Ne boudons pas notre plaisir et évadons-nous en ces temps de confinement grâce au talent de conteur et au dessin de Mathieu Lauffray.
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