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bien sûr, cela fait des décennies que la littérature nous annonce l'anéantissement de la race humaine, notre capacité à nous détruire ne se discutant plus.
beaucoup de livres pour un sujet aussi crucial, mais dans le lot peu de chefs-d'oeuvre... quinzinzinzili, ce roman au titre improbable, est pourtant de ceux-là, ses rares lecteurs n'en démordent pas, qui s'étonnent toujours de son ironie visionnaire, de son pessimisme halluciné et de ses trouvailles géniales. publié en 1935, il a été imaginé par régis messac (1893-1945), considéré comme l'un des précurseurs du genre, et nous entraîne après le cataclysme, à la suite du dernier des adultes, témoin stupéfait de la renaissance du genre humain : sous ses yeux désabusés, un groupe d'enfants réinvente une humanité dont l'histoire a disparu.
et messac, qui sait que la civilisation est mortelle, nous offre le spectacle d'une poignée de gosses en train de lui régler son compte... stupéfiant, quinzinzinzili renaît et devrait susciter l'admiration de ceux qui croient davantage aux vertus des lettres qu'à celles de l'homme.
Quinzinzinzili est un écrit en 1935 qui avait déjà compris que Hitler et le Japon, ça ne sentait pas bon pour la planète. Le narrateur, Gérard est un adulte qui enseigne comme précepteur. Au cours d'une visite de grotte, avec un groupe d'enfants, une catastrophe va se produire. Un super gaz a été inventé et utilisé ce qui anéantit toute vie sur Terre. Sauvée par leur présence au fond d'une grotte, l’humanité semble à présent réduite à un adulte et quelques enfants. Si la logique était de prendre la tête du groupe, Gérard prend un autre chemin et se donner le rôle d'observateur. Il va rester complètement à la marge et regarder ce que les enfants vont faire pour survivre, quel type de société ou de mode de fonctionnement ils vont adopté, comment va évoluer leur langage… Il est d'un défaitisme crasse et est persuadé que ce n’est pas avec ces enfants là que l'humanité va se reconstruire et survivre. Il n’arrête pas de répéter qu’il s’en contrefiche, ce donne un ton juste génial.
Juste un petit détail qui a piqué les yeux de la paléontologue que je suis. Un passage annonce un plésiosaure pour dire que non ce n’est pas ça mais un Triceratops avec une description qui ne colle pas avec un tricératops non plus, dommage bien essayé.
En résumé, on est sur une histoire post-apo racontée par un adulte qui n'en a plus rien à faire, qui attend juste la mort, en observant comment les enfants vont grandir en étant livré à eux-mêmes. Le résultat est drôle, hyper accessible niveau lecture et a plutôt bien vieilli pour un texte de 1935. C’est un récit court que je recommande chaudement tant le ton blasé donne un résultat surprenant.
Intemporel, la pierre angulaire d’une littérature hors pair « Quinzinzinzili » est précieux. Régis Messac est un visionnaire, pacifique et révolutionnaire côté ville. Aguerri, le regard perçant sur l’humanité, son récit rayonne de prouesse et de haute intelligence. On ne sort pas indemne d’une telle lecture et c’est tant mieux.
Écrit en 1935, cinq ans avant la deuxième guerre mondiale, post-apocalyptique digne et maître de la collection des « Hypermondes ».
Éric Dussert délivre une préface éclairante et perfectionniste. « Quinzinzinzili « est le chef-d’œuvre inattendu qu’un esprit prospectif seul pouvait engendrer. Si son souhait profond était de changer le monde, on a surtout porté à son crédit une énorme thèse sur les origines du roman policier. Une thèse fondamentale, un point de départ qui le classe au rang de précurseur dans l’étude du polar. Auteur anonyme du « Voyage de Néania » (1926) il poursuit sur la voie de la science-fiction et des utopies, refuge des rêveurs absolus ».
« Moi, Gérard Dumaurier ».
Écoutez voir cet homme qui narre ce qui fût d’un monde fable caustique. Le roman se scinde en deux parties. La première, un peu, beaucoup notre terre. Géopolitique, intuitive, résolument signifiante. La guerre éclate avec ses épreuves et ses folies. Deux nations : Le Japon et l’Allemagne alliées, affrontent les Américains aidés des soviétiques. Les Japonais inventent un gaz hilarant.(On ressent un malaise tant ce texte est résurgence). Les Allemands vont se servir de cette arme destructrice. Effet dominos, « des cyclones d’une vitesse et d’une violence inouïes parcoururent les océans, déterminant des raz de marées égaux en ampleur à ceux des époques géologiques… Il me reste à expliquer par suite de quelle ironie cosmique j’ai survécu, seul en Europe, sans doute, avec un groupe d’enfants. »
« Quinzinzinzili » se resserre. La mise en abîme de l’apocalypse et de toute l’idiosyncrasie psychologique et mentale prend place.
« J’étais précepteur des enfants de Lord Clendennis ». Dumaurier est alors en Lozère avec ces derniers Ratbert et Charles dont l’un est tuberculeux. Ils vont avec un guide et une trentaine d’enfants en convalescence visiter une grotte. « Le jour fameux , le jour de colère », où tout vacille. Vagues intestines, les affres s’abattent sur les rochers, rien ne résiste, noria noire, la civilisation est engloutie. Le néant, le silence oppressant et glaçant. Dumaurier seul résiste, survivance. Avec cette poignée de poulbots jetés en pâture dans cette sauvagerie humaine. Il surpasse cette micro-société, observe ces gosses orphelins , l’autarcie périlleuse, dévorante et irrévocable. Cynique, voire nihiliste, il surveille cette petite fourmilière prendre appui dans l’adversité. Tout change et se déplace. Nous sommes dans le criant d’un avertissement prémonitoire pour notre propre civilisation. Les enfants vont instaurer des codes. Parler avec le nez, sons graves et incompréhensibles. La bestialité de l’an un du jour où l’ère retourne à ses premiers balbutiements. Sauf qu’ici mystérieusement, les enfants n’ont pas de souvenirs. Ils vont se modeler dans cette austérité sans rien d’autre que des taupes grillées, la sauvagerie et les gestuelles agressives et primaires. Un genre humain se réinvente. D’un pessimisme exacerbé, le récit implacable dévore le plausible. Nous sommes dans la décadence. Seul le cycle de la vie semble déjouer les pronostics. Comme si sans aucune civilisation résistait le ciel et la terre. L’épure en quelque sorte. Cette communauté d’enfants qui vont grandir avec une seule fille perdent l’Histoire et ses accroches. L’amour ne sera pas. Les approches sont dans cette sexualité incomprises et à peine assumées. Ils sont pour Dumaurier le symbole de la déchéance. « Ça une civilisation ? Non, j’aime mieux croire que je suis fou. » Le temps s’efface, les années passent. Crescendo, Quinzinzinzili. Quel est ce nom ? Et pourquoi ? Lisez la page 87 attentivement. Ici, le vestige de ce qui aurait pu être le souverain et ce mot incantatoire, totem, ne se dévoile que pour le lecteur qui prend le récit à bras le corps. Retenir de ce Grand livre, la capacité d’un auteur qui bouscule notre civilisation et lance des signaux à la face de notre monde arrogant. Il y a ici des similitudes avec Malevil de Robert Merle (le livre qui m’a fait aimer lire). Des notes d’outre-tombe et cet entre-monde grotte matrice n’est autre que la finitude d’un avant et d’un présent. Nous avons sauté à pieds joints dans ce qui va arriver un jour certain. Pas maintenant, pas tout de suite. Ne craignez pas le crissant, la majestueuse trame est œuvre. Prenez soin du poème des éditeurs en fin de page. Si vous doutez encore, ce livre ne disparaîtra jamais. Il vous attend. Publié par les majeures éditions de l’Arbre Vengeur.
Si ce livre est un OVNI, alors que doit-on penser de Régis Messac ?
Quoi qu’il en soit, ce livre est surtout un cristal. Avec des défauts, certes, mais qui propose un prisme pour regarder notre société sous un autre jour, légèrement déformant, certes, pessimiste, certes, mais aussi tellement actuel.
Le personnage de Gérard Dumaurier est, avant toute chose, profondément agaçant. Seul adulte rescapé, on pourrait s’attendre à ce qu’il prenne les choses en main, ou au moins qu’il essaye. Bref, qu’il soit capable de se montrer responsable. Mais non, pas du tout. Tout au long du livre, il ne quitte pas sa position d’observateur, tout en se permettant de juger les enfants, qu’il décrit de façon très négative, tout juste capables de « pleurnicheries » et de « criailleries », « piaulant » et « geignant ». Visiblement, il déteste radicalement cette « poignée de galopins, ignares, ahuris, vicieux, superstitieux et peureux ». On peut d’ailleurs se demander ce que masque cette agressivité. Ne serait-ce pas de l’envie, celle de pouvoir regarder la vie juste comme elle se présente ?
Gérard Dumaurier semble à la fois incarner le scientifique, qui se met en retrait et observe, prétendant à l’objectivité par sa non-intervention, l’archiviste, qui cherche à rassembler et à préserver – mais pour qui, demande-t-il plusieurs fois – et, en tant que représentant de l’ancienne société – celle dans laquelle vit Régis Messac, celle qui, dans le livre, disparait à l’occasion de la catastrophe -, il montre que l’humanité de 1935 est loin d’être parfaite. Sa position de simple témoin, qu’il revendique pourtant, est difficilement tenable, puisqu’en même temps, Dumaurier est plongé dans la situation, dont il ne peut réellement s’abstraire. Et pourtant, comme tous les pays et leurs populations, en 1935, il regarde son monde courir à sa perte sans réagir ! Enfin, l’attitude de Dumaurier n’est pas sans rappeler la façon dont certains explorateurs regardaient avec dédain des populations considérées comme attardées.
On le comprend rapidement, l’objet du livre n’est pas de nous faire vivre l’aventure de ces survivants. Les descriptions restent sommaires, la psychologie des différents personnages n’est pas approfondie. Le sujet est ailleurs… et d’une modernité redoutable !
En effet, que font ces enfants, dès leur sortie du carcan qui était le leur dans la société ? Ils commencent par inventer une religion, autour d’un dieu, Quinzinzinzili, transcription libre de la deuxième ligne du Notre Père (dans sa version latine) : « Qui es in caelis » (Qui êtes aux cieux). Ainsi, le premier réflexe du groupe, pour se rassurer, est de se rassembler autour d’incantations à destination de forces extérieures, invisibles, et, visiblement, absentes. Plus loin dans le livre, Quinzinzinzili se manifeste au travers de deux miracles qui n’en sont pas : les enfants lui attribuent le déclenchement du fusil qui permet de tuer le loup, et la résurrection de l’un d’entre eux, qui a seulement eu la chance de tomber d’une falaise sur des draps tendus avant la catastrophe, et qui amortissent sa chute.
En parallèle, ils inventent collectivement un langage, par déformation des mots qu’ils entendaient mais ne comprenaient pas, à commencer par leur nom. Et qui dit langage dit groupe, ensemble. Pour survivre, ils doivent faire corps : c’est pour répondre à cette nécessité vitale qu’ils collaborent.
Mais cette cohérence initiale vole rapidement en éclat. Le troisième « objet » social que réinventent ces enfants, c’est la violence, le meurtre et la guerre. Leur subsistance à peine assurée, il est temps de se battre pour prendre le pouvoir. Et c’est ici que l’un des personnages, celui d’Ilayne, la seule fille du groupe, prend toute sa place. Elle comprend très rapidement le pouvoir que lui donne sa rareté. Alors même qu’elle ne mesure pas à quel point la survie de l’humanité dépend d’elle, elle perçoit rapidement à quel point sa sexualité peut devenir un enjeu central pour les membres du groupe, dont elle peut tirer profit… et elle ne s’en prive pas !
Le constat de Régis Messac peut sembler terriblement pessimiste : livrés à eux mêmes, les enfants se rassurent avec la religion, créent une langue, véhicule commun de leurs besoins, mais se déchirent dans la violence, et sont aisément manipulables si l’on joue avec leurs appétits charnels. Mais qui peut dire que ce constat n’est pas d’abord et avant tout terriblement réaliste ? Qui n’y retrouve pas certains épisodes vécus ?
Une lecture au premier degré de ce livre serait sans doute décevante. Mais elle constitue surtout une formidable occasion de réflexion sur des questions universelles, comme, par exemple : qu’est-ce donc qu’être un humain ? On peut également y trouver un contre-point aux réflexions des penseurs du XVIIIe, Rousseau, Montesquieu, Rousseau, Hobbes, Locke… qui s’interrogeaient sur l’existence d’un « état de nature », sur l’importance d’un « contrat social », sur les modes possibles d’organisation sociale…
Enfin, on peut voir dans ce livre une réflexion sur la vanité de l’homme, qui veut toujours croire que ses choix sont importants pour l’humanité, pour la Terre, pour les siècles à venir. Qu’ils soient importants individuellement, c’est évidemment indéniable, mais quelle prétention de vouloir croire que nos décisions ont une quelconque importance au-delà de nous-mêmes ! Et peut-être Gérard Dumaurier porte-t-il ce message que, finalement, rien n’est réellement important. Qu’il agisse ou qu’il n’agisse pas, qu’il se débatte ou ne se débatte pas, quelle importance ? Et on peut alors conclure, avec lui :
« Oh, et puis…
Qu’est-ce que ça peut me faire ?
M’en fous. Quinzinzinzili !
Quinzinzinzili ! »
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