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C'est une étoffe tissée d'histoires et de paradoxes. Depuis le XVe siècle, la dentelle est symbole de beauté, de luxe et de pouvoir.
Ce tissu est la matière préférée des femmes dont elle orne les atours.
De Gwyneth Paltrow à Sophie Marceau, de Michelle Obama à Carla Bruni, elles sont les ambassadrices de la dentelle. Robes, lingerie, corseterie pour magnifier le corps ; mantille pour purifier l'esprit.
Copie de la dentelle faite à la main, la dentelle mécanique Leavers est issue de la technique universelle du tissage : des fils croisés perpendiculairement avec d'autres fils. L'invention du métier Leavers - véritable monstre de fonte entremêlant jusqu'à 20 000 fils - accompagne la révolution industrielle textile européenne. Un ingénieux système de mouvements d'une centaine de barres et de milliers de chariots-bobines guide les fils, permettant d'obtenir un tissu ajouré. Les possibilités esthétiques qui en découlent prennent leur source à Nottingham, puis à Calais en 1816 qui marque la première délocalisation du Leavers.
Avant de tisser la dentelle sur le métier, il faut concevoir le motif. C'est le rôle de l'esquisseur dont le crayonné est utilisé par le dessinateur. Celui- ci agrandit l'esquisse. Cela s'appelle la mise en carte. Cette opération précède la réalisation d'un carton percé, grille de lecture de la commande mécanique du métier qu'on appelle Jacquard. Les fils s'entrelacent au coeur de la machine en suivant le mouvement des chariots-bobines et des barres.
La dentelle passe plusieurs stades de finition (effilage, raccommodage, etc.) avant d'être teinte. Cette étape finale s'appelle l'ennoblissement.
Bien que sa conception remonte au début du XIXe siècle, le Leavers est toujours le métier produisant l'étoffe la plus fine et la plus transparente au monde. Incarnation de l'orgueil de l'industrie dentellière, le paon est devenu l'emblème de la dentelle « made in Calais ». Hélas, ce label dentelle de Calais - l'appellation vaut aussi pour Caudry - n'a pas protégé les fabricants de la concurrence.
Alors que le dernier constructeur de métiers Leavers fermait ses portes, dans les années 1960, les marques de lingerie s'orientaient vers la dentelle mécanique tricotée. Plus simple, cette technique, où un même fil se noue à la manière du tricot, s'est développée avec l'avènement des métiers Raschel du constructeur allemand Karl Mayer. Calais s'est alors équipé de ces machines plus modernes. Mais les Chinois aussi. Dans une industrie où la main d'oeuvre représente plus de la moitié du prix de revient, la lutte est inégale.
Les fabricants de Calais doivent leur fortune à la dentelle mécanique.
Importé en fraude de Nottingham au début du XIXe siècle - pour protéger cette industrie naissante, les Anglais punissaient de mort l'exportation des métiers - le Leavers a fait la fortune des bourgeois de Calais. En 1821, la ville compte onze fabricants pour 38 métiers. Près d'un siècle plus tard, en 1910, on dénombre pas moins de 580 fabricants pour 2 708 métiers. À son apogée, l'industrie dentellière emploie alors 31 700 personnes dans une ville qui en compte plus du double. Le quartier Saint-Pierre, berceau de la dentelle de Calais, vibre des métiers Leavers. À l'époque, la dentelle nourrit toute la ville. On est tulliste de père en fils. C'est encore souvent le cas.
Pierre Weymeesch : même nom, même prénom, même métier. Tulliste !
L'or blanc a donné naissance à une filière industrielle où bon nombre d'ouvriers s'établissait à son compte, travaillant à façon pour les fabricants les plus importants. En aval, l'industrie a donné naissance aux marchands, les « commissionnaires ». Le père de Léon Blum fut d'ailleurs un de ces négociants en dentelle.
La Seconde Guerre mondiale marque le début du déclin de la dentelle de Calais. En trois générations, tout bascule. En 1955, il existe encore 170 entreprises pour 1 500 métiers et 7 380 salariés. En 1977, ils ne sont plus que 32 fabricants pour 672 métiers et 1 800 emplois. En 2009, il ne reste plus sur la place de Calais que dix fabricants pour 285 métiers et moins de 500 emplois !
Au début des années 2000, Noyon, le dentellier emblématique de la place, tutoie le millier de salariés. Placé en redressement judiciaire huit ans plus tard, le fabricant compte environ 300 personnes. Au printemps 2009, un nouveau plan social a été annoncé. Impossible de faire autrement :
En six ans, le chiffre d'affaires de Noyon, le plus gros dentellier de la place, a plongé de 73 à 30 M. Sur la période, ses pertes d'exploitation cumulées dépassent les 20 M. Les confrères ne sont pas plus à la fête.
Le deuxième fabricant de la place, Desseilles, est sous perfusion de son actionnaire depuis trois ans. Brunet, un autre dentellier historique, est sous procédure de sauvegarde depuis avril 2009 avec un plan social à la clé.
L'entreprise va diviser ses effectifs par deux. Les petits fabricants ne se portent pas mieux. Boot vend ses métiers. Codentel pratique le chômage partiel. À Caudry, l'autre place de la dentelle Leavers, les fabricants Bracq, Solstiss et Sophie Hallette dégraissent. Ces dernières années, seuls les administrateurs judiciaires vivent bien de la dentelle...
À l'heure où Calais ouvre la Cité internationale de la dentelle et de la mode, l'industrie locale est en voie d'extinction.
Les fabricants peinent toujours à s'organiser pour former un front uni. Les marques de lingerie étouffent financièrement leurs fournisseurs dentelliers.
Le statut social des ouvriers tullistes plombe les comptes. Les concurrents asiatiques continuent de copier les maîtres de Calais pour récupérer les commandes ! Sans le vouloir, ils sont nombreux à avoir déchiré l'étoffe qui
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