Quelles ont été les plus belles lectures de ces dernières semaines ?
Dans l'Irak rural d'aujourd'hui, alors que des combats sévissent, la narratrice a, en cachette, une relation amoureuse avec Mohammed. Celui-ci meurt sous les obus, elle est enceinte. Destin inéluctable : elle sera tuée par Amir, le frère aîné, dépositaire de l'autorité masculine depuis le décès du père. Un crime pour laver l'honneur de la famille, laquelle approuve en pleurs et en silence : la belle-soeur, épouse soumise ; le jeune Hassan qui aimerait fuir le pays ; la mère qui a bâti pour ses filles la même prison que pour elle ; Ali, tolérant mais lâche ; et la petite soeur, Layla, celle pour qui on tue, afin que cela serve d'exemple.
Résonnent en contrepoint la présence tutélaire de Gilgamesh et la poésie du Tigre, fleuve qui porte en lui la mémoire du pays et la perdition des hommes.
Quelles ont été les plus belles lectures de ces dernières semaines ?
Chronique d’une mort annoncée
Et le fleuve pour témoin, dans l’Irak d’aujourd’hui…
Récit polyphonique, court et fulgurant, une jolie plume mais surtout un regard.
C’est la guerre, elle est là, partout. Une jeune fille a cédé à son fiancé avant qu’il ne reparte au combat.
Il meurt, elle est enceinte.
Le père de la jeune fille est décédé quelques mois plus tôt, c’est donc Amir, l’aîné, le frère d’armes du fiancé, qui fera le nécessaire pour préserver l’honneur de SA famille.
« Il a dit que ça ne comptait pas, qu’il repartait au combat, que de toute façon nous allions nous fiancer à sa prochaine permission. On pouvait se donner un peu d’avance, a-t-il dit, il s’agissait de vivre sans attendre.
Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère. »
L’auteur a construit son texte comme une bombe qui explose, chaque voix est une déflagration pour le lecteur.
Le sort de cette jeune fille est scellé.
L’homme fort est celui qui règne sur les femmes et j’ajouterai avec la complicité des autres femmes et l’inertie de bien des hommes qui sont plus modernes mais qui préfèrent fermer les yeux sur ces pratiques des plus obscures.
Car c’est bien d’obscurantisme qu’il s’agit, il est perpétué par l’absence de doute chez certains et la jouissance de régner par la peur.
La mort est partout, les mères enterrent leurs fils en inhumant des cercueils vides.
A travers les lignes de ce récit, le lecteur peut sentir cette odeur de charogne.
Ici, tout est cadenassé, surtout l’amour maternel.
La mort avance inéluctablement vers cette jeune fille et son bébé qui ne verra pas le jour.
La solitude est un vêtement encore plus hermétique que l’abaya traditionnelle.
A chaque prosopopée, j’ai souhaité que ce fleuve Tigre déborde et envahisse tout, pour tout ravager, effacer.
Un livre bouleversant, tranchant.
Un prix Goncourt du premier roman très mérité.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/07/30/que-sur-toi-se-lamente-le-tigre/
Emilienne Malfatto est journaliste, c’est du côté du réel qu’elle travaille et porte sa parole (juste) et ses regards (aigus). Mais peut-être certaines histoires ont-elles besoin du léger recul qu’offre la fiction pour mieux se dire et se lire, pour permettre à la douleur de revêtir, par l’entremise d’une plume respectueuse et poétique, des habits de lumière. Salué par l’Académie Goncourt qui lui remit son Prix du Premier Roman en 2021, Que sur toi se lamente le Tigre est indubitablement un grand, un magnifique Premier Roman, malgré son petit nombre de pages, malgré la douleur bien réelle dont il se fait l’écrin.
Au cœur d’une famille d’Irak, le drame se noue là même ou sourde la vie : une jeune fille, cédant aux instances de son « presque fiancé » la veille de son départ pour la guerre qui le tuera, découvre, pour son malheur et celui de sa famille, qu’elle est enceinte. La réparation doit se faire dans le sang et la mort, par la main de son propre frère. Ce sont des êtres sidérés par leurs obligations et leur désespoir qui vont tour à tour prendre la parole, en quelques pages, au cours de chapitres brefs et percutants qui parviennent à brosser le tableau d’une famille aux liens codifiés mais baignés d’une forme de tendresse, nourrie de souvenirs endoloris mais partagés, ancrée dans un pays meurtri mais chéri. Il n’en est pas un dont les mots ne soient bouleversants de sincérité, d’horreur ou de tristesse devant l’inéluctable dénouement qui se dessine, la sentence qui s’avance. Et nous, lecteurs, lectrices, témoins fascinés et impuissants, nous retenons nos cris, notre souffle et nos larmes, et nous nous inclinons pour saluer tant de talent à décrire tant de violence avec une telle poésie, comme un murmure qui hurlerait à la mort.
Quatre vingt pages seulement et pourtant on ne les lit pas d'une traite !
C'est impossible !
Peu de mots,
peu de phrases,
juste ce qu'il faut ,
pour comprendre.
Que tout va s’arrêter pour cette jeune fille
que son frère Amir « celui par qui la mort arrive » va laver l'honneur de la famille.
Faire disparaître à jamais celle qui a fauté
son nom sera effacé.. à jamais
Chaque membre de la famille prend la parole
chaque mot est pesé
lourd
juste
épouvantable
du sang
partout, dans toutes les vies
de toutes ces femmes
par la kalachnikov des hommes
toujours
à jamais.
Un fleuve de sang
Le fleuve, c’est le Tigre, qui traverse l’Irak du Nord au Sud, en passant par Bagdad, avant de rejoindre l’Euphrate. Le sang, c’est celui des hommes et des femmes de ce pays martyr. Celui des hommes qui font la guerre et tombent sous les bombes ou sous les balles des ennemis ou, comme Mohammed, touché par « erreur », une victime collatérale, comme tant d’autre, pulvérisé, dont il ne reste rien à porter en terre… Le sang des femmes surtout, (« Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang. ») celui qui devra réparer la faute, restaurer l’honneur de la famille.
Les mots ont (parfois) une force incroyable. Dans ce court roman, l’auteure nous fait vivre quelques heures de la vie d’une jeune femme, et alterne les voix, celle de cette femme, mais aussi celle de sa belle sœur, de ses frères Amir et Ali… C’est comme si nous étions près d’elle, comme si nous pouvions la toucher, écarter son voile, la prendre dans nos bras, l’emmener loin du sort tragique qui l’attend et auquel elle semble résignée.
C’est un très très beau roman (le premier de l’auteure), d’une puissance et d’une tristesse infinie…
Que te pleurent les Anciens d’Uruk aux remparts
que te pleurent les gens d’Uruk
qui derrière nous
nous désignaient du doigt et nous bénissaient
et que l’écho des pleurs
retentisse dans les campagnes
Que sur toi se lamentent l’ours et l’hyène
le tigre et le léopard, le chacal et le lion
le cerf, les gazelles
et tous les animaux de la plaine.
Que sur toi se lamente le fleuve Oulaï
dont nous avons parcouru les rives.
Que te pleure le pur Euphrate
où nous puisions notre eau.
Que sur toi se lamentent
ceux qui t’ont fait goûter le pain pour la première fois.
Que te pleurent les frères et les sœurs.
Abed Azrié
Bouleversant, entre la vie et la mort. Dure réalité, nous sommes décalés par rapport à ces coutumes.
Un livre court mais percutant comme un coup de poing. Au fil de la lecture, une vague de colère et d'impuissance nous submerge. C'est injuste, nous connaissons le dénouement dès le départ, mais vers qui tourner notre rage ? C'est la vie en Irak, la guerre, le poids des traditions qui broient les membres de cette famille et les conduisent vers ce dénouement brutal et inéluctable. Un à un nous entendons leur point de vue, comme des confessions.
Prix Goncourt du 1er roman parfaitement justifié.
En moins de 100 pages, l’auteur exprime la mécanique sociale de la société irakienne : une jeune fille enceinte, son amoureux meurt sous les bombes. Elle sait désormais qu’elle est condamnée et que son frère ainé exécutera la sentence.
« L’honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte, qu’une fille mère. »
Tout est dit, dans ces deux phrases.
Les mots sont forts, justes, choisis avec soin.
La puissance du roman est accentué par le fait que chacun des protagonistes prend la parole, en utilisant le « je ». Il raconte alors ce qui se passe, mais surtout ce qu’il pense. Les autres femmes de la maison qui se résignent et acceptent l’injuste et l’inéluctable, le frère cadet qui n’est pas d’accord mais jamais ne le montrera, Amir, son frère ainé : « j’ai survécu à la guerre et ce soir je vais tuer. Je vais mourir un peu en tuant. Mais mon bras ne tremblera pas.
Et surtout le Tigre qui rythme régulièrement le récit, en observant le cours des choses : « Je ne suis plus source mais ressource, et les hommes de cette terre aride ont oublié qu’ils ne pourront pas vivre sans moi. Ils périront avec moi car nos destins sont liés. »
Il existe de nombreuses histoires à ce propos. Peu ont cette puissance, cette densité mais aussi cette subtilité.
En un texte court mais d’une écriture profonde, Emilienne Malfatto raconte l’histoire d’une jeune fille de 16 ans, vivant dans un petit village de l’Irak profond, de nos jours.
Elle a cédé au désir de Mohamed, dont elle est amoureuse, avant son départ pour le front.
« Prendre un peu d’avance avant notre mariage, n’a pas d’importance, lui dit-il ».
Sauf que Mohamed ne reviendra pas, pulvérisé par une bombe et que de ce bref moment d’étreinte, sans plaisir pour la jeune femme, cette dernière porte le fruit.
Afin d’éviter le déshonneur pour toute la famille, le frère aîné devra accomplir son devoir : tuer sa soeur.
L’autrice donne la parole à chacun des protagonistes de l’histoire, y compris le fleuve Tigre qui depuis des millénaires a été témoin de la vie des villageois.
Les paroles de la mère sont particulièrement édifiantes :
» J’ai consciencieusement appliqué à mes filles les règles qui m’avaient été imposées. J’ai bâti autour d’elles la même prison que pour moi. J’ai justifié mon monde en le reconduisant. (…) L’amour maternel ne me fait pas défaut mais il s’est terni sous les interdictions et les obligations, sous les voiles et les frustrations. Ai-je été aimée dans ma vie d’adulte ? Ai-je aimé le père de mes enfants ? J’ai écarté ces questions parce qu’elles ne servent à rien, parce que ma mère à moi m’a appris à ne pas les poser. Parce qu’elle a bâti autour de moi la même prison que pour elle. »
Un roman à la fois coup de coeur et coup de poing pour moi.
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