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Daily Express, septembre 1945 : « Personne ne sait encore pourquoi Sonia A., une artiste espagnole de 23 ans, a chuté mortellement de 80 pieds sur le pavé de Queensway, Bayswater. Hier matin, elle a passé un appel téléphonique depuis l'immeuble.
Quelques minutes plus tard, elle gisait nue et mourante dans la rue. » Sonia cherche à se perdre dans les rues ravagées de Londres, dans la ville rendue à la nuit par le black-out, dans les forêts environnantes, dans les caves à jazz, dans l'emmêlement des corps et dans les méandres de ses propres dessins. Pour- suivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, elle amorce un envol qui n'aura pas de fin.
Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l'entrée dans l'âge adulte ne s'est assortie d'aucun harnais, d'aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d'autres murs à quoi se heurter, d'autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu'on n'a pas d'y faire ceci, d'y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l'esprit.
Sonia voudrait ne plus avoir de nom, ne plus avoir de langage, ne plus avoir de visage. Elle croit qu'il y a mieux à faire que d'être à son tour une personne et que chacun peut devenir une suite ininterrompue d'événements : par conta- gions et par alliances, en trahissant l'espèce, le genre et la communauté.
Première découverte de cet auteur. J'ai beaucoup apprécié certaines expressions, tournures de phrases, le style et la plume. Par contre j'ai trouvé le scénario trop métaphorique et un peu éparpillé je n'ai pas vraiment compris le lien avec le fait divers initial. Tant pis je pense quand même lire d'autres romans de M. Bosc.
Après "La Claire Fontaine" voici maintenant "Mourir et puis sauter sur son cheval" . David Bosc, une des plus belles plumes de la littérature contemporaine.
C’est à partir de rien ou de si peu : deux articles de journaux, une photo et un extrait des carnets du poète Georges Henein que David Bosc réinvente une femme, Sonia Araquistáin, vingt-trois ans, artiste peintre d’origine espagnole, qui s’est suicidée le 3 septembre 1945 en se jetant nue d’un troisième étage.
Réinvente, oui c’est cela : l’auteur avoue : « Quant à la vraie Sonia, Sonia Araquistáin, vraiment je ne sais d’elle à peu près rien, des bribes, et ce ne sont ici que fantaisies, brûlures de contes pour enfants. ». David Bosc s’appuie sur, selon son expression, des « points de fixation ». Puis, l’invention donne vie au personnage. Il se peut qu’elle ait pensé cela, peut-être pas, on ne sait pas.
Après sa mort, imagine l’auteur, son père trouve dans son atelier un roman, sur lequel, en croisant les lignes, Sonia a écrit son journal. Ecrire sur un roman, sur un texte qu’elle n’avait peut-être pas lu ou pas aimé, pour lui coller sa vie, plus belle, plus fantasmée, avec des mots qui fracassent les murs, déchirent l’ordre établi, réglé, étriqué, suffocant. Elle a barré, rayé les lettres imprimées de son écriture sans entraves, de ses mots intimes et sensuels. Elle l’a fait taire. Le roman s’est tu et elle s’est mise à nu.
Sonia est une femme libre. Elle a passé quatre années, de quinze à dix huit ans à Summerhill, école « sans grilles, sans serrures ». Elle s’y abreuve de liberté, d’amour mais prend rapidement conscience que Neill a sa petite idée sur la question : il « défend sa méthode en affirmant que le plus antisocial des voyous, une fois soumis à cette forme de liberté maximale, devient rapidement « un partisan de l’ordre et de la loi ». Donc lui aussi, il ne travaille qu’à l’adaptation des gosses au monde comme il est, comme il va. Forceries, porcheries, bordels, casernes, jardins d’acclimatation. On n’en sort pas. »
Oui, mais Sonia veut en sortir, franchir les limites, faire un pas de côté, s’envoler, refuser les conventions. Son émancipation sera totale.
« Si l’on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l’entrée dans l’âge adulte ne s’est assortie d’aucun harnais, d’aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d’autres murs à quoi se heurter, d’autres insuffisances : la société bien sûr, la liberté qu’on n’a pas d’y faire ceci, d’y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l’esprit. »
Sonia veut aussi libérer son corps, elle marche la nuit dans cette ville de Londres d’après guerre, rencontre des hommes, va dans les cafés, fréquente des artistes. Elle est mouvement, rien ne l’arrête, ne la contraint. Si on la retient, si on l’empêche, alors elle se fait eau, coule ou s’évapore. « Et je repars. Je suis une jonchée de feuilles, qui dévale, tourbillonne, s’élève, retombe, s’arrête, s’élance à nouveau, se divise, se mêle à d’autres tas de feuilles, plus jeunes ou plus anciens, accueille un papier gras, une page de journal, un morceau de ficelle, se laisse acculer dans une impasse, rebrousse chemin, explose en gerbe folle sur une bouche d’aération, paie son écot à l’eau de la rigole, espère et trouve les jambes nues d’un enfant, n’est aucune des feuilles pas plus qu’elle n’est le vent, elle est la danse, elle est dansée. »
Sonia veut aussi libérer son esprit en parlant plusieurs langues, en vivant de ses rêves, en brisant ce qui nous sépare des plantes, des animaux et des pierres. Elle s’imagine se multipliant vite, envahissant tout l’espace, mutant à chaque seconde : « La liberté n’est plus que chez les tout-petits, les parasites, les levures, les bacilles. » Elle se veut crabe plein d’humour, gazelle, hirondelle aux ailes déployées. S’envolant. Afin qu’ait lieu « le miracle… la libération fortuite de ce flux primordial que l’on conspire à endiguer, à empêcher, afin que chacun reste à sa place dans le manège. »
Sonia fera ce « pas supplémentaire », ce « saut hors de la chose » pour ne jamais cesser d’être libre, proliférant encore et encore, devenant mouvements brusques et incontrôlés, métamorphoses éternelles et jaillissantes, vies illimitées, grouillements incessants…
Un texte sublime, intense, un poème où se plonger dans les visions hallucinées et obsessionnelles de cette femme, dans son langage libéré jusqu’au surréalisme et la folie.
« Ça n’était pas toujours facile à lire » constate le père découvrant le journal. Non, ça ne l’est pas car la parole de Sonia est fragments, éclats, miroirs démultipliant le réel à l’infini, ellipses. Elle se souhaite éparpillée, sans ordre ni classement, son texte en est le reflet : « … je déteste les faiseurs de bouquins, les romances ficelées, cousues d’astuces, farcies de diables à ressort, de pièges à souris. Je leur préfère le bruit du tram ou les écrits intimes, les chroniques fragmentaires, la philosophie, les recueils d’anecdotes. Ou le décompte que fit de ses chemises, dans la marge d’un sonnet, le pauvre Baudelaire. »
Le vers de Mandelstam : « Mourir et puis sauter sur son cheval » dit le mouvement d’une femme libre et qui tient à le rester, l’ultime élan en dehors des limites, dans cet ailleurs où doit se passer la vie.
Mourir pour mieux renaître.
http://lireaulit.blogspot.fr/
A partir d'un fait divers ayant existé, le suicide de Sonia, dans le Londres de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, David Bosc nous fait découvrir petit à petit le monde intérieur de la jeune fille, dont on sent les dérives et délires. Cela génère une ambiance assez particulière, qui atteint son paroxysme à la fin du livre ; un ouvrage servi par une jolie écriture, précise.
Extrait (p 44)
"A la peur qui sidère l'humanité, à la peur qui nous rend durs et cassants comme du verre, il faut opposer la puissance de la faiblesse : céder toujours à ce qui pousse, pèse, perce, en se diluant, en s'éparpillant. Je me suis mise à l'école de l'eau pour devenir invulnérable : glisser, couler, s'évaporer, ne tenir à rien, se diviser, s'infiltrer, ne plus arrêter la lumière, absorber les coups, ne jamais obéir à la voix, diffracter les images"
De David Bosc, j'avais été ébloui par "Sang lié", paru chez les excellentes éditions Allia, relu plusieurs fois, à chaque lecture dans l'excitation de la page suivante tellement l'écriture organique de l'auteur enveloppe les êtres et les choses de cet humus d'où éclosent les plus beaux délires poétiques. David Bosc explore ici, en un journal intime imaginaire couché à l'encre d'une folie naissante et tentaculaire comme un cancer, cette soif de liberté et d'absolu qui conduira Sonia Araquistain, fille d'un républicain espagnol en exil, à se défenestrer nue (la scène ouvre et clôt ce court roman, poignante séquence cinématographique). Le fait divers réel n'est ici qu'une amorce, le romanesque prend la suite en un kaléidoscope à la Quignard où le corps et l'animal, le sexe et le songe taraudent, rongent, décuplent les divagations hallucinées de celle à qui Bosc fait dire, en une belle définition de la création littéraire : "Il me semble qu'on doit écrire : dire, crier, murmurer, et mille fois s'il le faut."
Quel titre étrange et cependant si poétique. Cité en exergue du roman « Mourir et puis sauter de son cheval » est un vers de Ossip Mandelstam (Poème de Voronèje, juin 1937).
Londres, 1945, une jeune artiste espagnole vient de se jeter, entièrement nue, du haut de l’immeuble dans lequel elle vivait, peignait, écrivait. Son père cherche à comprendre ce qui a bien pu lui arriver. L’auteur nous entraine immédiatement dans les pas de Sonia, dans ses délires, ses rêves, ses aspirations et ses craintes, à une époque sombre de notre histoire récente, ponctuée par le bombardement et les tickets de rationnement.
Nous découvrons alors le journal de Sonia, et à travers ces lignes, son déséquilibre, ses délires surréalistes et son refus des conventions qui régissent son monde. Elle a découvert que soudain tout va changer, elle n’est plus la même, le monde devrait être émerveillé de cette transformation, elle laisse éclater sa soif de liberté, ses recherches sur l’évolution des êtres, des espèces, les mutations de son propre corps, ses envies de tout tenter, le plus beau comme le plus sordide. Délire poétique d’une jeune femme schizophrénique ? Il y a effectivement de la poésie mêlée d’hallucination dans son égarement, ce qui la rend à la fois étrange et attachante.
« Mourir et puis sauter sur son cheval » est librement inspiré d’un fait divers. Une jeune femme, S.A, s’est suicidée en se jetant d’un troisième étage… et le suicide, absolument pas admis par les différentes religions, donne lieu à un procès. Les poètes d‘alors y trouvent une occasion de rendre un hommage à S.A. Alors oui, il y a une certaine poésie dans ces pages, qui se lisent vite, poésie qui mêlée à un sentiment de liberté et de folie douce, laisse un petit goût étrange d’instabilité et d’égarement.
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