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«J'ai toujours eu peur de mon père. Je savais qu'il avait déjà tué au cours de la guerre d'Algérie. J'étais persuadé qu'il pouvait recommencer.» Thierry grandit dans l'ombre glaçante de Jim, élaborant des scénarios de fuite et se barricadant toutes les nuits dans sa chambre. Quelques années après la mort de ce père menaçant, le fils se plonge dans les photographies et les carnets où Jim ne parle que de la guerre. Il décide de partir à la recherche du fantôme, de retouver par les mots celui qui avait été un jeune garçon à qui l'on avait appris à être un tueur. Car pour se garder de transmettre l'héritage de la violence, il faut en connaître la source.
Mon libraire m'avait prévenue « Ce bouquin est magistral ». Parce que je lui porte une confiance absolue, je suis donc partie à la découverte de ce « père » et de l'écriture de Thierry Crouzet (mea culpa, je la découvre à peine). Je précise que l'auteur a choisi la forme romancée pour cet ouvrage, afin de mieux cerner la figure paternelle, si complexe, si terrifiante, si tortueuse.
Le père, c'est Jim. Un type solitaire., habité par une violence, une haine, une colère inouïes et des pulsions meurtrières , que l'on peut qualifier d'immondes, assouvies principalement dans la chasse. Il est un mari, un père qui sème la terreur autour de lui.
« J'ai gardé cette habitude de me protéger d'une chaise aussi longtemps que j'ai dormi chez mes parents, durant mes études et même plus tard quand je suis devenu journaliste et que je revenais de Paris pour les vacances »
Pour « casser » cette « hérédité familiale », Thierry part à la découverte du père. Rencontre post-mortem. Lettre posthume. N'ayant pas le courage de l'ouvrir, l'auteur va retracer un pan de la vie de Jim, remontant peut-être ainsi à la racine du mal . Pour cela, il se base sur les dires et les écrits de son père relatifs à l'immonde conflit algérien, puisqu'il a été envoyé, comme tant d'autres, au front Qu'il y est devenu tireur d'élite. Puisque c'est là qu'il faut remonter pour expliquer, peut-être le mystère de cet homme. Comment devient-on un tueur ? Peut-on échapper à l'atavisme ?
Mon père, ce tueur n'est pas un roman sur la guerre d'Algérie, ce n'est pas un marée de larmes égocentrées sur une enfance et une adolescence bousillées.
C' est bien plus... C'est un récit à la fois prude et violent. Tout en paradoxe et ambivalence , comme l'est l'amour-violence entre un père et son fils. C'est un chemin vers la réconciliation, l'apaisement, la fin de la peur, la victoire de la Vie. C'est une carapace qui se brise, un vide qui se comble, un poids qui s'envole.
« Avec sa mort, Jim m'a donné le droit de me souvenir »
La plume de Thierry Crouzet est oppressante, splendide, alliant sensibilité et dureté. Toujours avec une grande justesse de ton.
J'ai été extrêmement touchée par ce roman, à divers titres (non, non, mon père n'était pas un tueur, loin s'en faut). Il m'a interpellée car je suis intimement convaincue de la puissance salvatrice et antidotique de la littérature.
La fin est somptueuse , j'avoue avoir versé ma larme, car, de surcroît, y est magnifiquement évoqué un endroit qui m'est cher.
Les émotions sont là , multiples. Elles ont noué mes tripes de bout en bout . Elles sont toujours là. Vivaces.
A noter également, la couverture du livre, d'une extrème cohérence avec le roman !
« Mon père était un tueur ». Cette phrase, nette et forte, est la toute première roman de ce roman autobiographique. Ce n'est pas une métaphore, le père de Thierry Crouzet, surnommé Jim, était chasseur au quotidien et tireur d'élite durant la guerre d'Algérie. Un père que l'auteur n'a toujours connu que d'une extrême violence à la fois physique et verbale, au point d'en avoir eu peur durant toute son enfance.
Cette violence originelle du père, Thierry Crouzet l'a longtemps occulté, des oeuillères pour tracer sa route lui ayant longtemps semblé la bonne solution. Mais la mort de son père lui a donné le droit de se souvenir, de remonter dans l'histoire familiale pour comprendre comment le monde a façonné ce père redouté en un être explosif.
« Si je n'y prends pas garde, cette violence à travers Jim, à travers moi, pourrait modeler mes enfants dans le même sens pas très glorieux. Je dois casser l'hérédité familiale. Reconstruire. Et d'abord je dois entrer en Jim, me mettre à sa place comme je le ferais avec mes personnages de roman. »
Pour casser cette lourde hérédité, Thierry Crouzet a un objectif : ouvrir enfin la lettre posthume laissée par son père. Cela fait trois ans qu'il n'a pas le courage de le faire. Mais avant, pour le comprendre dans toute sa complexité, il plonge dans les récits de la guerre d'Algérie, élément fondateur qui a fait bouillonner, éructer, exploser la violence : ceux des carnets de son père, ceux d'autres appelés. L'auteur n'est pas un historien mais les passages sur la guerre d'Algérie et le vécu du père sont passionnants, à la fois précis et concis. Ils disent tout de l'horreur de cette guerre et de la guerre. Cette plongée en Algérie permet à l'auteur de réinventer la personne du père dans sa dimension psychologique, ce père qui s'est tu sur cette partie de sa vie si déterminante pour le comprendre. Seule la forme romanesque pouvait permettre cela en comblant les lacunes et en hissant le père au rang de personnage littéraire à part entière.
Là où le roman se fait un peu plus lourd, c'est lorsque Thierry Crouzet revient à lui, à cette violence héréditaire redoutée pour lui et ses fils. C'est sans doute un peu trop répétitif pour le lecteur - en tout cas pour moi - mais on sent à quel point l'auteur en a besoin dans sa mise à nu d'une sincérité tellement totale qu'elle en devient très touchante. Les derniers mots sont très beaux, pudiques et plein d'espoir.
Un roman poignant sur la filiation à partir d'une histoire intime et personnelle qui tend à l'universel.
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