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La peinture de la fin du XIXe siècle fait apparaître l'enfant sous un jour nouveau. Elle cible le naturel enfantin, aux antipodes de l'enfant modèle. Elle s'intéresse à l'enfance comme répertoire de gestes et de postures spécifiques, loin du portrait de famille qui fait poser l'enfant. Une écriture de l'enfance naît sous le pinceau des peintres, qu'ils se nomment Gauguin, Valadon, Vallotton, Bonnard.
Écriture corporelle, faite de mouvements rompus et de lignes torses, les peintres vont également la repérer dans le dessin d'enfant. Cette découverte va jouer un rôle déterminant dans la naissance des avant-gardes, à l'époque du fauvisme et du cubisme. Elle s'inscrit dans la quête des débuts de l'art, pierre angulaire du primitivisme.
On range le "bonhomme" dessiné par l'enfant aux côtés du masque tribal, comme préhistoire de la figuration. On s'interroge sur le "gribouillage", chaos originel de l'acte artistique. On relève, chez l'enfant qui s'aventure sur la feuille de papier, un "désir de la ligne" que Matisse, à la même époque, dit rechercher dans son dessin. Alfred Jarry joue un rôle pionnier dans ce primitivisme de l'enfance, autour de 1900. Il le fait autant par ses écrits que par ses enfantillages graphiques qui, rares et méconnus, exerceront une influence certaine sur Bonnard et Picasso.
La révélation du dessin d'enfant aux artistes intervient en plein débat sur la réforme de l'enseignement du dessin à l'école. Des voix de plus en plus nombreuses dénoncent un système qui dénie toute faculté expressive à l'enfant et qui réduit le dessin à l'apprentissage de figures géométriques. Deux modèles pédagogiques s'opposent : l'héritage positiviste et coercitif, la jeune réflexion psychopédagogique qui démontre que le dessin apporte une contribution essentielle au développement de l'enfant. En 1909, les novateurs obtiendront gain de cause avec une réforme décisive introduisant le dessin libre dans l'enseignement primaire.
C'est la pluralité et la connexion des enjeux en présence que ce livre entend explorer.
Toute ma gratitude à Emmanuel Pernoud, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne (en 2012), pour cet ouvrage très complet ! Une de mes formes esthétiques préférées est l’Art brut. Et le dessin d’enfant, quoiqu’en pensent certains grincheux, relève de ce domaine plastique. Il était grand temps que gribouillis, griffonnages et petits bonshommes informes trouvent leur vraie place en histoire de l’art. Par contre, les dénominations m’ont toujours paru stigmatisantes : l’art « des sauvages », l’art « des fous », l’art « des gays », l’art « des femmes », l’art « des enfants »… alors que l’important, c’est que l’art s’en sorte grandi.
Entre 1900 et 1914, de nombreuses expositions, articles, commentaires et reproductions de dessins qualifiés de « naïf » mettent en avant l’expression graphique des enfants. A la même époque, des pédagogues commencent à analyser ce genre de production et les artistes, eux-mêmes en recherche d’une spontanéité du regard pleine de fraîcheur, s’en inspirent tout en enviant leur liberté d’expression. Pourtant, dès les œuvres de Gustave Courbet ( 1819-1877), les critiques ricanent : les artistes dessinent comme des enfants. En effet, l’apprentissage du dessin se fait à l’école, sous la férule de l’instituteur de la IIIe République, et inculque à l’apprenant un certain concept de l’enfance. « Vous étiez naïf. Aujourd’hui, le dessin que vous maîtrisez vous fait quitter l’enfance ».
Ce livre, un des rares sur le sujet, est très original. Il met en parallèle d’une part une histoire de l’enseignement du dessin, de l’autre, une histoire de ces gribouillages, sans omettre de se pencher sur l’analyse psychologique du dessin d’enfant. Bref, les enfants inventent une abstraction, sans nom, sans message réel, comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Mais, surtout, l’auteur brosse l’histoire inédite des relations entretenues par les artistes du début du XXe siècle. Dans ce livre, « Le Père Ubu » d’Alfred Jarry et les dessins d’Antonin Artaud dialoguent avec les neuf dessins publiés dans l’Almanach du Blaue Reiter, en 1912, sous le regard bienveillant de Wassily Kandinsky. Celui-ci collectionnait les dessins d’enfant. Klee les citait dans ses œuvres. Matisse a souvent déclaré : « Il faut être enfant toute sa vie. » Quant à Picasso, il disait qu’il avait dû désapprendre à peindre comme Raphaël pour parvenir à une telle clairvoyance, celle de l’enfance. Evidemment que les artistes sont fascinés par le mirage de l’enfance, d’une innocence présumée, qu’Emmanuel Pernoud resitue dans un contexte historique jusque-là très peu étudié.
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