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L'Iliade est un long poème classique , que bien des gens cultivés ne lisent de nos jours qu'avec difficulté. À tort ou à raison, l'Odyssée - où il est question de voyages et de métamorphoses, de monstres et de belles magiciennes - semble d'une lecture plus aisée. Malgré les adaptations cinématographiques plus ou moins fidèles, malgré les très nombreuses éditions scolaires, achetées par routine, l'ouvre est-elle vraiment lue ? Que dire à ceux pour qui l'Iliade n'est qu'une suite monotone de batailles, où l'on voit se massacrer sans fin des gens aux noms et aux croyances bizarres ? Il n'est peut-être pas de meilleure réponse, ni de meilleur début de réponse que celles fournies par les deux textes ici réunis.
Ils ont été écrits à des moments très différents, par des auteurs que bien des choses séparent mais qui ont eu en commun deux passions : celle de la Grèce ancienne et celle des questions historiques les plus actuelles. Ces deux lecteurs de l'Iliade ont pleinement participé aux luttes de leur temps. Tous deux ont été confrontés à des circonstances où, pour reprendre le mot de Simone Weil, il n'est rien de plus naturel à l'homme que de tuer. Avant d'être un helléniste distingué, le jeune Bernard Knox prit part, dans les rangs des Brigades internationales, aux combats pour la défense de Madrid pendant la guerre d'Espagne. Quant à celle qui fut un temps collaboratrice de la revue syndicaliste la Révolution prolétarienne, et qui fut aussi présente en Espagne, elle porta sur quelques-uns des grands problèmes de l'époque un regard d'une acuité inattendue chez cette future mystique.
Les pages de Knox ont d'abord été publiées en anglais comme introduction à la traduction de l'Iliade de Robert Fagles (Penguin Books, 1991) ; riches de l'érudition de leur auteur, elles représentent la meilleure introduction dont puisse actuellement rêver le non-spécialiste.
Le texte de Simone Weil parut pour la première fois sous un pseudonyme, entre décembre 1940 et janvier 1941, dans les Cahiers du Sud ; il fut repris après sa mort dans le recueil La Source grecque (1953), suscitant très tôt une admiration inconditionnelle, y compris dans les cercles spécialisés ; il offre par ailleurs l'avantage de donner, des fragments les plus significatifs de l'Iliade, des traductions parmi les plus belles qui soient.
L'Iliade a été pendant plus de mille ans une sorte de Bible pour la civilisation antique. Ce que ses lecteurs y ont appris peut être aussi riche d'enseignement, malgré la relative étrangeté pour nous de la forme, pour les lecteurs du xxie siècle : fragilité de la condition humaine (les générations des hommes passent comme celles des feuilles ) ; puissance des forces sur lesquelles l'homme n'a pas de prise ; nécessité de la réconciliation par-delà les massacres (et notre époque n'en est pas avare), car l'hubris, la démesure - parce que la force change tôt ou tard de mains -, entraîne inexorablement la catastrophe. Chacun à sa façon, ces deux textes nous guident pour aborder le poème à la fois dans son étrangeté réelle - qui est tout autre chose que de l'exotisme - et dans sa profonde proximité.
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