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Fictions inédites de Caroline Audibert, Marie Cosnay, Bérengère Cournut, Clara Dupuis-Morency, Hélène Frappat, Karin Serres rassemblées par Lucie Eple et accompagnées par les paysages décomposés de Jérôme Minard. Six autrices des plus singulières de la littérature française contemporaine s´en vont explorer l´étrange. Six expéditions qui bousculent et métamorphosent le réel pour s´en émanciper. Six voyages à travers l´envoutement du féminin, de la nature et de la création. Six immersions dans les mystères du monde et de l´intime. Six aventures épousant les reflets profonds de l´ombre. Six expériences comme autant d´incantations pour l´obscurité, la sorcellerie et la littérature. Ce morceau de nuit qui a toujours une longueur d´avance.
Un ouvrage qui s’annonce étrange, comme c’est bizarre. Pourtant mystérieux, cabalistique sont les premiers vocables qui tournent dans la tête, puis au fil de la lecture. Déjà la présentation originale donne le ton : du noir et blanc et des illustrations de Jérôme Minard qui mettent en scène la nature dans tout son fantastique : branches, pierres, eau, brouillard qui peuvent soudainement se déchaîner en des tourbillons phosphorescents et troublants.
L’éditrice et communicante Lucie Eple a rassemblé six voix féminines pour une chorale aux rythmes incantatoires et fabuleux, pour une plongée dans des ombres gothiques ou surgissent des êtres imaginaires, des fantômes, des formes spectrales ou tout simplement les forces de la nature dans un déchainement ténébreux.
Quelques figures littéraires du passé rencontrent des êtres d’aujourd’hui, des ectoplasmes ou fascinantes divinités. Frissons qui pourtant apaisent, obscurité qui porte une lumière, puissance de l’écriture sur la fragilité du monde, un ensemble qui dompte les peurs tout en les faisant sortir. Un chœur qui chante en solo mais sur la même harmonie.
La femme du fleuve
Caroline Audibert brosse le portrait de Naïs, telle une déesse du fleuve en proie aux forces de Zeus, un orage terrible s’est abattu et des pluies diluviennes rendent les routes comme des torrents. Partant à la dérive elle est sauvée par Theo (le choix des prénoms n’est pas anodin). Il lui apporte les premiers secours, repartent ensemble et vont s’aimer le temps d’une nuit. Le récit le plus réel de l’ouvrage et qui résonne terriblement par rapport à l’actualité météorologique. Dans cette vésanie qui embrasse la nature, une plume sculpte les contours de l’inattendu.
Une robe couleur de souffrance
Clara Dupuis Morency trempe une plume de sang dans les veines d’une histoire ancienne, celle d’une femme, Mary Barbe dans « La marquise de Sade » de Rachilde, dont la première robe commandée avait été créée par la couleur de la souffrance. Mante religieuse, cruelle, elle se joue des hommes à cause d’une enfance marquée par un père qui n’avait que faire d’une fille et de l’image ineffaçable d’une vache égorgée. Vampirisant.
Cette nuit ne finira donc jamais
Hélène Frappat convoque le fantôme de Mary Stelley, s’habille de lueurs translucides pour éparpiller des feux follets d’où surgissent ses phrases. La femme de lettres anglaise a été entourée par la Grande faucheuse, est née avec elle, sa mère décédant onze jours après sa naissance. Elle-même va vivre le même cauchemar, par trois fois. Que dire, que faire… Convoquer les esprits qui crient la détresse, la chair écorchée d’une mère. Le courage d’une vie broyée.
Jaune vif, veiné de noir
Bérengère Cournut raconte l’histoire de Pierre-Luisante, femme de la forêt dans un temps suspendu. Sa communauté a été dévastée, elle survit puis vit en chassant, en humant, en regardant. Sauvée par une louve, elle part en plaine mais retourne dans sa forêt pour retrouver ses arbres, ses ruisseaux, sa grotte. Elle fait corps avec la nature jusqu’à faire l’amour avec elle. De là, vont naître d’autres petites pierres. Conte poétique qui rappelle, sur le fond, Regain de Jean Giono.
Petit traité d’immortalité à la fenêtre
Marie Cosnay fait hurler le vent dans la noirceur de la lande d’Emily Brontë. L’écrivaine découvre une édition de 1962 du célèbre roman et se met à imaginer qu’elle a aussi convoqué Catherine, Hearthcliff, Edgar, Lockwood… mais soudain, un autre fantôme entre dans le paysage, celui de Didon, Didon la femme courageuse face à la jalousie. Entrechats imaginaires entre une divinité phénicienne et romantisme anglo-saxon.
Niglo
Karin Serres ferme le ban par l’élément vie de la terre : l’eau. Une confrontation entre des êtres étranges plongés dans des aquariums de laboratoire et des nage-pas aux différentes couleurs de peau, qui s’habillent en blanc et plongent des mains vertes ou bleues dans les bacs. Mais enfermer des ondines n’est pas aisé et l’une d’elle va s’échapper… Une fontaine aérienne dans des flots fantasmagoriques.
Et maintenant, à vous de vous immerger dans ces incantations et métamorphoses féminines.
Blog Le domaine de Squirelito ==> https://squirelito.blogspot.com/2020/10/une-noisette-un-livre-letrange-feminin.html
« L’Etrange féminin » puissance et beauté. Entrelacs fabuleux, mains enlacées, l’écriture est une délivrance. Souveraine, elle aspire au calme dans cet entre monde. L’ouverture est une échappée. Un trésor à saisir à pleines brassées de ferveur. Valses des nuages, annonciateurs d’un sublime humble. Prendre le temps d’apprécier ces morceaux d’architecture de six auteures dont Lucie Eple à rassembler l’épars lumineux. Boire à la source neuve, l’eau salvatrice, pure. Ne pas craindre les morsures d’un glacé frigorifiant. Les regards sont infinis, les sensations sont des apothéoses. Femmes cherchant des yeux l’autre rive étrange (ère). Sautant dans les flaques n’ayant de peur que la certitude. Femmes matrices, grottes abyssales, forêts ésotériques, le chant est beau. Dans cette nuit pleine, sombre ; les herbes endormies accueillent ces femmes sans retour possible sur le ferme de leurs jours. Sauvages, parfois arides, hostiles, les ombres sont pourtant des corbeilles de fruits. Elles ont si faim. Elles sont si attentives au passage d’un mystique, d’un signe vierge d’authenticité, de normalité. Elles sont de corps délié, autorisé à l’envolée des oies sauvages. Elles sont altières, magnifiques, abandonnées des terres existentialistes. Elles sont le linge frais claquant au vent. Signatures emmêlées d’un nihilisme à fleur de peau. Bousculées, enivrées de liberté elles plongent leurs regards dans l’aube qui renouvelle un chant, rien que pour elles. Vivre, être soi, sans fioritures. La nature semble hostile et pourtant c’est elle qui devine l’arrivée de ces femmes en quête de ce qui ne se perçoit pas dans l’ordre de la vie et des choses certifiées. Elle œuvre à l’hospitalité des émotions, d’un lâcher-prise hors norme. On aime les rencontres paraboliques dans les clairières où l’homme n’a aucune prise. Ici, nous sommes dans l’intériorité, l’exaltation des vérités. Dans le cru des remontées des eaux, celles qui détournent le conformisme, l’ordre soumis aux diktats. Un fil d’Ariane invisible orne les six textes, magnétique, hermétique, l’abîme où faire son nid. Puiser jusqu’au creux de la nuit, dans cette littérature de renom, l’hommage venu des écrits qui deviennent des sceaux, « Heathcliff, l’enfant bohémien, comme on le dit dans le roman. » « Le pays nous happait. Revenir, comme revenir à soi. » Ce chef-d’œuvre alloué est l’épiphanie des grandeurs. Le Fantastique dans une aura qui se révèle. Ces textes des nuits régénératrices sont de : Caroline Audibert, Clara Dupuis-Morency, Hélène Frappat, Bérengère Cournut, Marie Cosnay, Karin Serres. Les illustrations étranges et gémellaires de Jérôme Minard. Publié par les majeures Editions du Typhon.
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