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Isis est une jeune femme vegan ultra connectée, animaliste, portant autant (sinon plus) d'affection à Dinah, sa chatte, qu'à ses semblables. Voici qu'apparaît dans son jardin une grue antigone, bel oiseau étranger à l'Europe. Isis poste son étonnement sur les réseaux.
Très vite se multiplient d'autres apparitions inédites d'animaux, allant de pair avec d'inexplicables disparitions d'êtres humains. Le monde se peuple d'un improbable bestiaire où les uns dévorent ceux qui sont devenus leur proie, les autres fuyant comme ils peuvent un lieu à présent hostile. Les autorités n'osent prononcer le mot de pandémie, mais les scientifiques identifient un mal nouveau: la tératomorphose foudroyante. Une pulsion affective ou sexuelle prononcée en serait un des premiers symptômes, touchant davantage les adultes de sexe masculin, bien que les femmes et les enfants ne soient pas totalement épargnés.
Isis voit ainsi chacun des membres de sa famille tout comme ses proches se métamorphoser : sa grand-mère devenue araignée écrasée par son oncle, son père hippocampe qu'elle remet à la mer, son beau-frère changé en serpent enfermé dans la chambre de sa soeur... Avec Shravanthi, danseuse indienne de Pondichéry qui l'a rejointe et dont elle est éprise, elle s'efforce de se sauver et surtout de sauver ses deux petites nièces, quittant un monde apocalyptique pour rejoindre un des gynécées nouvellement créé qui protègerait les dernières femmes épargnées par la pandémie. Y arriveront-elles avant que la pulsion amoureuse fasse son oeuvre ?
Malgré la construction d'un univers fictif saisissant, le roman ne verse jamais dans le fantastique. Rythme effréné, style vif et réaliste entraînent naturellement le lecteur sans qu'il se soucie d'espérer improbable cette fin du monde. Toute l'habileté de l'auteur est d'avoir choisi un personnage principal (Isis) qui porte un regard, non pas résigné mais plein de lucidité sur la situation.
Tirant les ficelles jusqu'au-boutistes des travers de notre société, Camille Brunel approfondit les thèmes déjà présents dans La guérilla des animaux (Alma, 2018) : l'animalisme, l'anthropocène, l'hyperconnection aux réseaux sociaux mais aussi le rapport à la mort et à la vie.
Curieux roman dont je termine la lecture avec le même scepticisme qu'en commençant. Science fiction qui fait disparaître les humains pour les transformer en animaux, Isis, même avec ses côtés attachants, n'a pas réussi à me convaincre et à me passionner pour cette aventure surréaliste. Original, certes, et déconcertant, ce roman ne fera pas partie de mes coups de coeur, rien à redire sur la qualité d'écriture, mon esprit n'est sans doute pas formaté pour ce type d'expériences.
Camille Brunel aime renverser la table, forcer son lecteur à changer d'angle de vue, le bousculer dans ses certitudes ou simplement sa paresse intellectuelle. Il avait déjà fait très fort avec La guérilla des animaux il y a deux ans en mettant en scène un militant extrémiste de la cause animale dans un roman engagé et plutôt provoquant mais qui ne pouvait laisser indifférent, et dont les effets sur certains lecteurs se ressentent encore aujourd'hui dans leurs assiettes. Alors il serait dommage de s'arrêter en si bon chemin, surtout lorsqu'il reste beaucoup de choses à dire et d'individus à sensibiliser. Ce nouveau roman est beaucoup moins violent, il en émerge même parfois des images très poétiques, mais tout aussi troublant dans les questionnements qu'il génère. Il est bien sûr question de notre rapport aux autres espèces vivantes, sujet de plus en plus prégnant dans notre actualité et clé pour notre futur.
Imaginez donc un étrange virus qui provoque chez l'être humain un processus de métamorphose qui le change soudain en animal, de façon totalement aléatoire et imprévisible. La jeune Isis, animaliste et végane ne sait pas encore que la grue Antigone, spécimen en principe absent du territoire européen, qu'elle découvre dans son jardin est l'un des premiers individus métamorphosés, qui bientôt vont se multiplier à travers le monde et susciter l'émoi des gouvernements, épuiser les médecins et les chercheurs et dérégler le fonctionnement des infrastructures, prélude à l'effondrement de la civilisation. Il semblerait néanmoins que les hommes soient plus concernés que les femmes, la nature semble avoir ses raisons... Isis observe tout ceci avec un mélange de jubilation, elle qui prône l'égalité des espèces, traite sa chatte Dinah comme sa fille et lui enseigne à ne pas blesser les autres animaux, mais également d'inquiétude par rapport au destin de ses proches et d'elle-même. Elle prie en silence pour que sa future identité, si métamorphose devait advenir, soit compatible avec celle de Dinah, car nul n'ignore que tous les animaux ne cohabitent pas forcément très bien, chaîne alimentaire oblige. Nous en aurons d'ailleurs quelques démonstrations spectaculaires au fil de l'histoire...
On pourrait facilement sourire de ces élucubrations, ce n'est pas du tout le cas. Camille Brunel connait bien son sujet, et joue sur plusieurs ressorts pour tenir son lecteur en haleine, sans oublier les clins d’œil au processus épidémique que nous sommes tous en train d'expérimenter, et l'ancrage dans notre monde hyper connecté. Il y a tout d'abord de fantastiques descriptions d'animaux et des scènes époustouflantes de métamorphoses, l'occasion de découvrir des espèces dont on ignorait tout. Il y a au centre la réflexion sur nos liens entre animaux, nous les mammifères évolués parait-il et tous les autres que nous enfermons dans les zoos, que nous mangeons, chassons ou asservissons. Avec ce petit twist, ce grain de sable qui bouscule tout : si un animal était auparavant notre sœur, mère ou fils, pourquoi avons-nous envie et besoin de le traiter différemment des autres animaux ? Faut-il que l'animal ait été humain pour que l'on se préoccupe de son bien-être ? Et plus tard : "Est-ce qu'on aura oublié que les autres espèces viennent d'humains, comme nous avions oublié notre ancêtre commun à l'époque des élevages ?". Troublant, non ?
Et d'autant plus efficace que l'auteur n'oublie pas de s'amuser et d'offrir à son lecteur un spectacle à la beauté singulière, riche en rebondissements, passant de la sphère intime à l'échelle de la planète. Et réservant le meilleur pour la fin, avec une scène de clôture aussi esthétique que poétique. A se demander si le monde ne serait pas plus beau comme ça.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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