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C'était sur la ligne du R.E.R B. J'habitais en banlieue et devais, pour me rendre au lycée, gagner une autre banlieue. Deux heures de trajet par jour : c'était une chance. Ce fut pendant ces trajets que je découvris Héraclite. Son nom avait été prononcé par le professeur de philosophie en début d'année. J'achetai Les Fragments.
Les fragments, je trouvais cela « pratique ». Ils me permettaient une lecture papillonnante, que les divers accidents de parcours (grèves, mendicités bruyantes, baladeurs qui grésillent) ne ruinaient pas. C'était vraiment « pratique », ces phrases suspendues, aux allures d'évidences. Un philosophe contemporain désigne ces fragments comme étant « l'aurore » de la pensée occidentale ; c'est pompeux mais bien vrai me concernant car ce fut dans ce R.E.R B que j'entamai mes ruminations l'un de mes premiers machouillages fut « On n'entre jamais deux fois dans le même fleuve ».
Ces fragments sont des cailloux fermés. Rien ne perce le mystère et c'est de là qu'est née l'idée du recueil. Je prends le fragment, l'étale sur la feuille, l'étire ou le mets en boule et j'attends. Des jours. Il m arrive de le recopier pour que se noircissent des pages. Puis, ça se déploie, une petite histoire, doucement, lentement. Le texte n'illustre pas, n'explique pas ; il veut explorer le mystère sans le révéler. C'est une sonde, une « carotte » dans l'épaisseur du fragment.
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