Les billes du Pachinko, le deuxième roman d’ Elisa Shua Dusapin, aux éditions Zoé
Claire, qui vit en Europe, passe l'été à T okyo chez ses grands-parents. L'objectif de plus en plus lointain de ce séjour est d'emmener ces derniers en Corée renouer avec leur pays qu'ils ont fui pendant la guerre civile il y a plus de cinquante ans.
Claire partage son temps entre le quartier coréen de T okyo, l'appartement des grandsparents et le monde de la petite Mieko, dont elle doit s'occuper pendant les vacances d'été japonaises.
L'écriture précise et dépouillée d'Elisa Dusapin parvient à plonger le lecteur dans une atmosphère intime de douceur et de violence feutrée. Elle excelle à décrire l'ambivalence propre aux relations familiales : les cruels malentendus comme l'amour entre les personnages sont d'une puissante justesse.
Les billes du Pachinko, le deuxième roman d’ Elisa Shua Dusapin, aux éditions Zoé
La jeune Claire vient passer l’été chez ses grands-Parents. Ces derniers ont fui la Corée il y a plus de quarante ans. Installés au Japon, ils n’y sont jamais retournés. A Tokyo, son grand-père dirige un Pachinko, cette salle de jeu d’un autre temps, où les billes gagnées sont échangées contre des jouets, du chewing-gum, etc. et sa grand-mère voyage dans sa tête, là où les années se mélangent, et cuisine des sucreries pour sa petite-fille.
Pour fêter ses trente ans, Claire rêve de partir avec ses grands-parents quelques jours en Corée, pour voguer sur le fil de leurs souvenirs, de leurs émotions… En attendant, elle prend soin de Meiko, une jeune japonaise à qui elle parle français. Claire vit en suisse et parle plusieurs langues, mais pas le coréen, car pour pouvoir échanger avec ses grands-parents, elle a choisi le japonais, la langue de leur pays d’adoption depuis la fuite pour leur survie.
Voilà un roman tout en subtilités de sentiments et de non-dits, de rêves et de craintes, d’envies non verbalisées et d’impressions parfois faussées par l’incompréhension due en particulier au défaut de communication avec ses grands-parents, et par l’interprétation de leurs silences. L’auteur nous entraine dans la tête de Claire, cette jeune femme qui se cherche, qui veut comprendre ses origines, mais aussi où elle souhaite aller, ballottée entre ces cultures si différentes qui pourtant la composent aussi surement que les cellules de son corps.
Il y a tout au long de ces pages comme une distance, une certaine étrangeté des sentiments, une retenue dans l’évocation des émotions. On plonge dans l’inconnu et parfois même dans l’absurde avec ces personnages qui se cherchent, ces relations ambiguës et pourtant réelles d’une famille décomposée, éloignée, qui ne tient qu’au fil si ténu de la filiation.
chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2018/10/24/les-billes-du-pachinko-elisa-shua-dusapin/
Ce roman, par son style, s’inscrit parfaitement dans la littérature asiatique où prédominent le non-dit, le ressenti, les gestes qui restent en suspens. En le lisant, je n’ai pu m’empêcher d’imaginer son adaptation cinématographique par Ozu autrefois ou Kore-Eda de nos jours.
Sujet de son premier roman Hiver à Sokcho : la rencontre entre 2 personnes de cultures différentes : Un Normand et une Coréenne de père français
Dans les Billes du Pachinko, 2 histoires parallèles :
- L’une décrit les difficultés de communication, les tensions entre Claire et ses grands parents
- L’autre, la tendresse et l’amitié entre Claire et son élève
Au carrefour de plusieurs cultures, européenne, coréenne et japonaise, ce roman de filiation explore à la fois les liens intergénérationnels façonnés par l’histoire et la naissance d’une affection pour une enfant.
Par un style dépouillé, épuré, si propre à la culture japonaise, Elisa Shua Dusapin dépeint l’intériorité des personnages et les rapports qu’ils entretiennent. Tout est dans le non-dit, l’implicite, l’ellipse. C’est ce qui engendre l’émotion et fait la force de ce roman très court mais si riche.
Telle un peintre impressionniste, par petites touches, par la relation de faits somme toute banals , elle nous fait ressentir la chaleur et la moiteur de cet été, l’univers bien particulier du grand-père avec sa salle de pachinko, l’état d’esprit des personnages.
Un des fils rouges du livre : la difficulté de communiquer les uns avec les autres : que ce soit Claire avec ses grands-parents mais aussi avec la petite Mieko et la mère de la gamine.
Lost in translation, s’élève la barrière de la langue.
Qu’est-ce qu’une langue maternelle et quelle langue utiliser pour communiquer ?
Avec le temps, Claire a oublié le coréen et sa grand-mère refuse de parler japonais. Elle essaie de renouer les liens que le temps et la distance ont distendu, tout en donnant des cours de français à une petite japonaise,
Barrière de la langue, fossé entre les générations et trop longue séparation, Claire a du mal à renouer avec ce couple qui ne dit rien, ni de ses fêlures, ni de son amour.
En fait, il y a beaucoup d'amour entre les uns et les autres, mais personne ne sait le dire ou l'exprimer clairement. (épisode de l’anniversaire)
Le voyage vers la Corée est une recherche de ses racines pour Claire alors que les grands parents déracinés et exilés ressentent crainte et désir autour d’une image fantasmée de leur terre natale,
Les rapports de Claire avec son élève sont l’occasion de revisiter sa propre enfance (épisode Heidi)
Un autre fil rouge : la symbolique du jeu, le pachinko omniprésent
Le jeu (monopoly, playmobils, parc d’attraction) permet la communication lorsqu’on a du mal à se parler,
"La langue, c'est notre vraie race, notre vraie patrie."
Andrée Maillet
"Le coréen m’a échappé à mesure que j’ai appris le français. Au début, mon grand-père me reprenait. Aujourd’hui, il ne dit plus rien. Nous communiquons dans un langage fait de mots simples, anglais ou coréens, de gestes et de mimiques exagérées. Japonais, jamais."
Celle qui parle, c'est Claire. Elle a 30 ans et vit en Suisse. À l'été, elle revient passer quelques semaines à Tokyo auprès de ses grands-parents maternels qui, 50 ans auparavant, ont fui la Corée alors en proie à la guerre civile pour s’établir dans le quartier de Nippori. Ces gens de Choson, ainsi qu’on appelait la Corée d’avant la partition, ne sont jamais revenus chez eux. La petite-fille nourrit le projet de les accompagner pour un voyage de retour que ni sa grand-mère ni son grand-père ne semblent pressés d’entreprendre.
De même que ses grands-parents, éternels Zaïnichis, évoluent à la marge du Japon - sa grand-mère refusant même de sortir du quartier coréen –,
"Pour les Coréens du Japon, il n'y a jamais eu de Nord ni de Sud. Nous sommes tous des gens de Choson. Des gens d'un pays qui n'existe plus."
Claire reste en marge de sa famille. Elle se sent étrangère dans ce qui pourtant devrait lui être familier. Cohabiter est aussi malaisé que communiquer, et les heures passées auprès de Mieko, fillette d’une dizaine d’années à laquelle elle donne des cours de français pour le moins informels et désinvoltes, offrent à Claire l’espace dont elle a besoin pour ne pas suffoquer dans le logement exigu de ses aïeux qui ne disent rien de leurs espoirs, de leurs regrets, des blessures laissées par l’exil, la canicule estivale n'étant pas la seule raison d'étouffer.
Le 2e roman d’Élisa Shua Dusapin était attendu, forcément, après l’immense succès d’Hiver à Sokcho, lauréat des prix Robert-Walser, Alpha, et Régine-Deforges. Les Billes du Pachinko vient de sortir en Folio.
"Les Coréens du Japon se voyaient refuser l'accès au marché du travail à cause de leur nationalité. Ils ont imaginé un jeu. Un plateau vertical. Des billes. Un levier mécanique. Des billes contre des cigarettes."
Il y a ce titre, Les Billes du Pachinko, qui évoque l’ambivalence d’un jeu à la fois "collectif et solitaire" comme un impossible irréconciliable au cœur de ce récit flottant dont l’atmosphère presque irréelle semble contenue tout entière dans cette phrase :
"Un joueur au loin. La main figée en l'air dans l'attente d'un ballon qui ne vient pas. Il élance son corps au ralenti, donne l'impression qu'il lui faudra des années pour recouvrer sa posture d'origine. Je reste un moment à le regarder, ce joueur solitaire, à imiter son geste, cette infinie lenteur, me demandant s'il joue vraiment, ou si ma perception est altérée, si le temps s'est englué de sorte à empêcher le moindre mouvement."
L’autrice nous invite à partir en immersion à la découverte d’une culture autre que la nôtre, dans ce roman de peu de pages, à l’intrigue faussement simple où les thèmes foisonnent. Les uns sont manifestes tels la solitude, la filiation, l’exil d’un pays et d’une langue, la fragilité de l'identité ; les autres sont souterrains comme la violence retenue, le jeu comme substitut à la conversation, la transfiguration du réel dans un Tokyo caniculaire et anonyme encourageant la fuite dans l’artificialité.
C’est un texte profondément dense sous l’épure apparente de phrases parfois parataxiques, mais toujours d’une luxueuse sobriété. Car, en effet, la sobriété est un luxe quand on a fait le choix de raconter à la 1re personne, un choix narratif connu pour amener volontiers à certains épanchements qu’Élisa Shua Dusapin évite avec bonheur, leur préférant l’évocation.
Dans ce roman sensible et grave, empreint de lenteur et de fulgurances, gouvernent les gestes suspendus et les paroles tues. Le lecteur pressé décidera qu’il ne s’y passe pas grand-chose car il faut accepter d’aller fouisser sous l’apparence des mots et dans l'interligne.
Les mots, justement, et le langage sont des éléments fondamentaux de la construction de l’identité et de sa préservation. Après des années passées au Japon, les grands-parents de Claire refusent toujours obstinément d’abandonner leur langue natale qu’ils continuent de parler, se souvenant d’une aïeule qui a eu un geste d’une violence définitive :
"— Quand parler coréen est devenu passible de mort, la mère de ta grand-mère a préféré se trancher la langue plutôt que de se soumettre à l'éducation japonaise, tu savais ?"
parce que la langue est parfois tout ce qu’il reste pour que l’identité ne se délite pas complètement.
Alors, quand la communication est à la peine, les jeux sont un moyen d’être ensemble sans avoir à converser. Henriette, la maman de la jeune Mieko, ne propose-t-elle pas
"— Je pensais… Pour commencer, vous pourriez aller jouer ?"
alors même qu’elle a embauché Claire pour donner des cours de français à sa fille qu'elle souhaite envoyer étudier en Suisse.
On joue parce qu’il serait vain de vouloir trouer l’épaisseur du silence dont on aimerait bien - est-ce absurde ? - qu'il parvienne à mettre des mots. On joue au Monopoly dont les rues ont été rebaptisées pour l’édition suisse, au Tetris sur un téléphone pour éviter ses grands-parents, on joue avec des figurines Playmobil, déconcertantes kokeshi que la grand-mère décapite après les avoir cajolées. On fuit la réalité dans des parcs d’attractions où, privé d'identité à l’abri d’un déguisement, on peut se perdre à défaut de s'amuser.
Subrepticement alors que le roman avance, se crée une errance, un déplacement vers plus d’étrangeté pour dire l’inconfort qu’il y a à n’habiter aucune langue. La femme-sandwich, ânonnant toujours la même phrase, coincée entre deux panneaux publicitaires, ne caricature-t-elle pas les zaïnichi pris entre le Japon où ils sont venus trouver refuge et leur pays auquel ils restent fidèles ? On comprend alors pourquoi les grands-parents ne feront pas le voyage en Corée prévu en septembre. Au tout dernier moment, après des heures à bord du Shinkansen à voir défiler des "plaines monotones, maisons çà et là, carrés légers, brisures de bois, comme des pions qu'un joueur [le jeu, encore] éjecterait en soufflant trop fort sur le plateau. Les forêts se penchent. On ne sent plus le vent depuis le train. […] plus nous progressons, plus le ciel se fait gris", comme il lui faut embarquer pour la traversée, la grand-mère aura ces mots :
"— Je veux rentrer, dit-elle.
— On y va.
— Ce n’est pas la direction.
— Mais si, je répète. On y va. On va en Corée.
Elle regarde autour d’elle encore.
— Je veux rentrer."
Rentrer… Ne dit-on pas que ce sont les derniers pas qui donnent sa forme à l’itinéraire ? Qu'iraient-ils faire en Corée ? La langue est devenue leur unique territoire et ce retour au pays natal n'est dès lors guère indispensable. Claire fera ce voyage seule, à la rencontre d'un pays qu'elle ne connaît pas et d'une langue qu'elle a oubliée.
"On devrait mourir comme la mue des animaux. Plus on vieillirait, plus la peau s'éclaircirait. A la fin, on verrait tout l'intérieur de nous, les veines, les os, les sentiments, tout. En même temps, la peau ferait un miroir. Et les gens se refléteraient en nous avant qu'on finisse par devenir complètement transparent. À ce moment-là, on irait chez son enfant pour lui donner son dernier souffle."
C’est à elle qu'opportunément ses grands-parents ont choisi de donner leur dernier souffle en la laissant prendre seule le bateau en partance pour la Corée, n’entendant plus que l’écho "des langues qui se confondent".
Dans ce roman subtil et poétique où abondent les non-dits, où les jeux de miroir reflètent des correspondances inattendues, le lecteur est invité à pressentir ce qui est toujours suggéré, jamais énoncé. Élisa Shua Dusapin a l’élégance de laisser chacun choisir le sens à donner à cette histoire, entre solitude, quête des origines, attachement à un pays et à sa langue, confusion de l'identité confrontée à la multiplicité des langues... et tant d'autres que je vous laisse découvrir. Ce roman est à lire, qui vient confirmer le talent d’une jeune autrice.
https://www.calliope-petrichor.fr/2020/09/29/les-billes-du-pachinko-élisa-shua-dusapin-folio/
Claire, la narratrice, vit en Suisse. Elle profite des vacances d’été pour se rendre chez ses grands-parents, installés à Tokyo depuis leur fuite de la Corée en guerre il y a cinquante ans. La jeune femme s’est mise en tête de ramener le vieux couple quelques jours dans sa patrie d’origine. En attendant de le convaincre, elle donne des cours de français à une petite écolière japonaise, avec laquelle elle entretient bientôt une relation d’affection partagée.
Elle-même franco-coréenne établie en Suisse, l’auteur nous fait découvrir les Zainichi, ces descendants des Coréens venus s’installer au pays du Soleil-Levant pendant l’occupation japonaise de leur pays, notamment au cours de la seconde guerre mondiale. Déportés en masse au Japon pour compenser la pénurie de main d’oeuvre d’alors, travaillant souvent dans des conditions misérables, ils y ont toujours été l’objet de discriminations racistes héritées du colonialisme japonais.
De nombreux détails rendent fascinante cette plongée dépaysante au sein de la plus importante communauté d'origine étrangère au Japon, à commencer par la tradition du Pachinko, hybride du flipper et de la machine à sous, à l’origine d’une véritable industrie aux mains des Zainichi. Leurs salles de jeux font fureur au Japon, où les casinos sont interdits. Les billes recrachées par les machines sont convertibles en lots de faible valeur, ensuite monnayables dans des bureaux d’échanges à proximité des salles de Pachinko : un vrai phénomène de société au Japon.
Avec des chapitres courts et une grande sobriété d’écriture, l’auteur nous entraîne dans un récit rythmé, sous-tendu par le malaise de Claire, écartelée entre Europe, Japon et Corée. Malgré tous ses efforts et ses bonnes intentions, rien ne se passe comme l’imaginait la jeune femme, la barrière des langues, des cultures et des générations, tout comme le poids de l’Histoire, ne cessant de générer malentendus et incompréhensions, interdisant toute vraie communication entre les personnages. Finalement, ligotée dans les non-dits et impuissante face aux souffrances de ses proches, c’est à la recherche de sa propre identité que va se retrouver confrontée Claire.
La complexité des personnages et de leurs relations fait toute la richesse de cette histoire courte et faussement simple, où chaque détail s’avère hautement signifiant : un peu comme si chaque kokeshi en cachait une autre, à la manière des poupées russes… Coup de coeur.
Suissesse d'origine coréenne par sa mère, Claire passe ses vacances d'été chez ses grands-parents à Tokyo dans l'optique de les convaincre de l'accompagner en Corée du sud, le pays qu'ils ont quitté au début de la guerre civile. Les choses sont difficiles. Avec le temps, Claire a oublié le coréen et sa grand-mère refuse de parler japonais. Son grand-père ne quitte guère le Pachinko qu'il dirige encore malgré son âge avancé. Dans la chaleur moite de l'été japonais, Claire essaie de renouer des liens que le temps et la distance ont distendu. En attendant qu'ils se décident, elle donne des cours de français à la petite Mieko, une enfant sérieuse et solitaire à laquelle elle finit par s'attacher.
Après Un hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin nous emmène en été à Tokyo. On y retrouve sa belle écriture dépouillée, sa même sensibilité toute en pudeur. Derrière ses histoires en apparence banales se cachent une profondeur insoupçonnée où s'épanouissent ses thèmes fétiches : le déracinement, l'exil, la langue, le biculturalisme. Dans Les billes du Pachinko, Claire est tiraillée entre son éducation suisse et ses racines coréennes dont elle a été coupée par l'exil de ses grands-parents vers le Japon, pays d'accueil qui leur a permis de fuir la guerre civile et en même temps pays honni car il a envahi la Corée. Claire navigue entre trois langues, le français qu'elle enseigne à son élève, le japonais qu'elle utilise dans son quotidien et le coréen dont elle tente de retrouver les bribes.
Derrière les non-dits, on ressent toute la souffrance de ces coréens loin de chez eux, originaires d'un pays qui n'existe plus car désormais divisé. Barrière de la langue, fossé entre les générations et trop longue séparation, Claire a du mal à renouer avec ce couple qui ne dit rien, ni de ses fêlures, ni de son amour.
Un roman au charme doux-amer, subtil et nostalgique.
Joli petit roman qui explore le thème des origines.
Claire, le temps d’un été, se partage entre l’appartement de ses grands-parents, émigrés à Tokyo pendant la guerre de Corée, et le monde de Mieko, petite japonaise dont elle s’occupe. Entre les cultures coréenne, japonaise et européenne, voici l’entrée dans la trentaine d’une femme aux identités multiples : un roman de la filiation qui dépeint avec art les liens rongés par l’histoire et la naissance d’une affection pour une enfant.
Ce livre décrit ici d'une belle manière l'ambivalence des relations familales, le dur exil et arrachement à sa culture, les différences de génération..
L'écriture d'Elisa Dusapin est particulière, dépouillée mais toute en finesse et précision. Elle nous fait rentrer dans les personnages et leurs émotions. Le style asiatique se ressent au travers de ses chapitres courts. Tous les sens sont conviés dans ce 2nd roman qui reste toujours mélancolique et délicat.
Les grands-parents de Claire ne se sont jamais intégrés au Japon. Ils vivent à Tokyo depuis la guerre civile de Corée, mais pourraient tout aussi bien vivre ailleurs. Claire arrivera-t-elle à les emmener revoir la Corée, leur terre natale ? Le voyage est prévu depuis si longtemps... pourquoi tant d'hésitation à franchir la frontière ?
Le livre, très simple, dépouillé, aéré, écrit au présent comme souvent les premiers livres, traite de l'exil, de l'identité, du pays fantasmé, des souvenirs, des relations familiales qui oscillent entre amour, empathie et rejet, non-dits, ou gêne. Claire, elle même, est loin de Paris, s'occupe le jour, d'une petite japonaise, seule, et le soir retrouve ses grands-parents, très âgés, fragiles et perdus. Sa mère lui envoie des mails avec photos, et Claire s'aperçoit aussi que ses parents vieillissent. Les photos sont alors presque insupportables, et elle les chasse, les classe très vite. Sentiment universel que le constat insupportable du temps qui passe, dès qu'on prend un peu de recul géographique.
Double relation triangulaire : les grands-parents et Claire, ensuite, Claire et la petite fille qu'elle garde avec sa mère. Roman de femmes, où les relations sont difficiles entre les générations. Les hommes sont loin, discrets, tendent une main.
L'exil est présent à chaque page, la difficulté à se construire aussi dans une famille éparpillée et différente. Claire remonte les origines, le passé. Ses grands-parents sont pauvres et déracinés, mais, ses parents ont réussi, leur milieu est très favorisé, et Claire a pu compléter son Master par des études de Japonais à Genève.
La scène où les grands-parents ont prévu une surprise pour Claire, ont tout organisé dans leur petit appartement de Tokyo, l'attendent dans le noir, est très touchante. Le lecteur ressent à ce moment-là un sentiment de trahison (universel), quand il lit que Claire ne restera pas avec eux, et choisira de se rendre à une invitation à l'extérieur. Combien de fois n'arrivons-nous pas à aimer ceux qui nous aiment, et courons-nous après un miroir aux alouettes ?
Les grands-parents possèdent une salle de jeu à Tokyo, avec plus de trois cents machines éclairées et bruyantes, alignées les unes à côté des autres, où les gens jouent seuls, se touchant du coude : le Pachinko, sorte de Flipper à la verticale, où tombent et roules de multiples billes qui font gagner des lots (objets à échanger) aux plus chanceux, car les jeux d'argent sont interdits au Japon. Un jeu de hasard, comme le destin, où les billes parcourent un chemin différents à chaque fois, tombent immanquablement dans l'un des trois trous situés au bas du Pachinko, sont éjectées de la machine, pour se retrouver toujours au même endroit... le même point de départ : l'origine du parcours. La grand-mère va amener Claire là où elle le souhaite, pour son bien.
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Ce qui m'a éclairée sur l'exil dans ce livre, c'est l'importance de la langue. La vieille dame se coupe la langue pour ne pas avoir à parler japonais après sa fuite de la Corée