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Serge Pey donne avec ce premier roman un fabuleux kaléidoscope d'histoires vraies, qui parvient à nous rendre présente, comme intimement vécue, l'aventure de ces enfants pris dans la tourmente des guerres et des répressions politiques et militaires.
Ce roman des enfances dévastées se déploie en une vingtaine d'histoires. Quand les soldats escaladent la montagne pour assassiner un résistant caché dans une cabane, l'enfant témoin ne saurait croire leurs promesses de vie sauve. Comprend-il les étranges manigances des adultes, comme cette mère qui étend son linge au pied des montagnes pour transmettre on ne sait quel message secret aux hommes cachés là-haut ? Plus facétieusement, il est aussi question d'un bijoutier qui fabrique des broches avec des scarabées vivants, de parties d'échecs où chaque pièce est remplacée par un verre d'alcool, des petits resquilleurs qui déchiffrent à l'envers les sous-titres du cinéma en plein air, ou d'une plage fameuse que les vieux réfugiés vont creuser nuit après nuit à la recherche d'un trésor mythique
50 nouvelles, toutes très courtes, qui redonnent vie aux héros anonymes de la guerre civile espagnole. D'un côté des Pyrénées ou de l'autre, pendant ou après le conflit, Serge Pey rend hommage aux Républicains. Avec beaucoup de poésie et souvent de drôlerie, il dresse le portrait de ces familles - anarchistes, communistes - qui se sont battues avec conviction pour finalement se réfugier en France. C'est l'enfance de l'auteur, c'est l'histoire de deux pays mêlée, c'est Barcelone, c'est Toulouse, c'est Argeles.
Si certains textes m'ont laissé à distance (très peu sur le nombre), d'autres m'ont carrément fait pleurer. L'écriture de Pey est remarquable et ce recueil fort en émotion.
Remarquablement écrites, ces histoires sont tour à tour drôles, dramatiques ou poétiques. Deux sont particulièrement drôles -même si elles gardent aussi un côté dramatique :
- Le linge et l'étendoir, où la mère du narrateur communique avec les "rebelles" grâce à la manière dont elle étend son linge : "Ma mère m'avait appris le langage secret du linge séché. Elle était la maîtresse des voyelles de l'interrogation, des consonnes clandestines, et des conjugaisons réalisées avec des lacets de chaussures. Les grammaires de silence, les concordances d'espaces et non de temps, les conjonctions de coordination nouvelles, les accords de participe passé entre des auxiliaires qui n'avaient aucun secret pour elle, car elle était le secret." (p.20)
- Le cinéma : beaucoup plus amusante et anecdotique qui explique comment grâce aux projections de cinéma de plein air, le narrateur est devenu expert en lecture de français... à l'envers !
Les dramatiques, il y eut malheureusement de quoi les alimenter pendant cette guerre :
- Le morceau de bois, où comment on peut devenir enfant-bourreau si l'on n'a pas la force de caractère suffisante : "Le directeur avait mis au point sa méthode. A chaque nouvel enfant qu'il sélectionnait pour en faire un surveillant, il confiait un jeune chiot. L'enfant devait l'allaiter et le faire dormir avec lui. Puis après quelques mois, il le forçait à le torturer, et ensuite, il lui donnait l'ordre de le tuer. C'est ainsi qu'il préparait chaque enfant de la section des Grands à torturer les Petits qu'il voulait faire parler." (p.83)
- L'arrestation qui paraît être simplement le récit d'une arrestation puis d'une évasion, mais qui pousse le raisonnement assez loin et qui contient, à mon humble avis, les plus belles phrases du livre : "Ce wagon a transporté du bétail. Il sent le purin et la paille. Je me dis que nous sommes aussi du bétail et que c'est justement la différence entre le bétail et nous qui fonde l'espérance. Pas la survie. Le bétail lui non plus ne veut pas mourir comme la majorité des camarades de ce wagon. Mais la différence entre le bétail et nous est que nous ne nous échappons pas, mais que nous nous évadons.
Ce n'est pas le fait de parler ou d'articuler des mots qui établit notre différence, mais de mettre en alliance cette parole, avec quelquechose qu'elle ne connaît pas. Parler c'est espérer, sinon nos paroles sont des meuglements." (p.121/122)
Les nouvelles poétiques sont présentes également, notamment dans les histoires concernant les joueurs d'échecs (Le Morse, Echecs et beauté, La partie des profanes), mais celle qui m'a le plus touché est La bibliothèque blanche, où comment construire de la poésie avec les titres des ouvrages lus ou non lus ; un véritable amour du livre-objet, de ce qu'il renferme et de ce qu'il représente.
Il y a beaucoup d'autres nouvelles (17 en tout), courtes, assez différentes les unes des autres, autant dans le thème que dans l'écriture : certaines plus factuelles, plus descriptives et d'autres plus irrationnelles, rêvées.
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