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Le Silence des rails Alsace, 1942. Parce qu'il est homosexuel, le jeune Étienne est envoyé dans l'unique camp de la mort installé en territoire français annexé. Parce qu'il est homosexuel, il porte le triangle rose, insigne de son infamie, sur son pyjama de prisonnier. S'il sort vivant et libre de cet enfer, personne ne le croira, c'est sûr. «Les culs roses, comme ils nous appellent.»
Etienne est né sur un quai de gare en 1918 alors que sa mère attendait son mari de retour de la guerre. Un mari qui ne reviendra jamais, elle le comprend en lui donnant la vie et en perdant la sienne. Etienne est confié à un orphelinat d’où il sortira à dix-huit ans, le bac en poche. Il rencontre Jules qui lui fait découvrir son homosexualité.
Paris est occupée par l’armée allemande, mais Etienne risque tout, bravant le couvre-feu pour vivre sa vie, ses relations, ses amours. Un jour il se fait rafler. Le 22 juillet 1942, il prend le train pour l’Alsace, le camp de Natzweiler-Struthof, seul camp de la mort sur le territoire français.
Son numéro de matricule est tatoué sur son poignet, on lui donne sa tenue de détention, un pyjama rayé floqué d’un triangle rose pointe en bas, stigmate de son inversion. Nous allons suivre son calvaire jusqu’à la libération du camp.
C’est à une messe, que nous convie Franck Balandier. Une messe païenne, une messe de l’horreur, à la mémoire des ces déportés qui sont morts ou qui ont survécu aux camps, en l'honneur des ces personnes incarcérées et massacrées pour leur orientation sexuelle. Une messe à un Dieu qui ne peut pas exister.
« Cher Dieu,
Je ne T’aime plus. Tu n’existes pas.
Si tu existais…
Je ne T’aime plus. Je T’appelle. Sans cesse, je T’appelle. Pourquoi Tu ne réponds pas ? Jamais ? Maintenant, c’est trop tard, il paraît. Il paraît. Je crois que Tu n’existes pas. Tu n’existes pas, c’est sûr. Tu n’existes pas.
Sans Toi, je dois vivre, alors. »
Dès la génuflexion en ouverture, l’auteur nous prend aux tripes, nous prend à la gorge jusqu’à l’Ite missa est final. Par des phrases courtes, elliptiques, il nous décrit toute l’horreur de la vie d’Etienne dans le camp : des corvées les plus dures, aux expériences médicales qu’il subit, de la peur dans laquelle il vit d’être le prochain qui sera exécuté, à l’espoir, la « chance » d’être toujours en vie. Franck Balandier relâche par moment son étreinte par des passages très poétiques, des moments d’espoir, pour mieux reprendre son emprise par la suite.
Vous qui me suivez régulièrement, vous savez que cette période de l’histoire me passionne et que j’ai lu beaucoup de romans traitant de ce thème. Ce livre est un des plus durs et des plus beaux que j’ai lu sur les camps de concentration. Un de ces livres qui marquent à vie.
« La nuit, nous faisons tous le même rêve. Je ne crois pas que l’on puisse imaginer cela, ce rêve collectif, le rêve éveillé de nos dents en cadence, nos dents, l’émail de nos dents, l’horrible va-et-vient de nos mâchoires à vide, l’usine de nos bouches, nos mastications d’habitude, la routine. Il n’y a rien de dissimulé sous nos langues. Combien de nuits ainsi à répéter, pour de faux, la lente dissolution de viandes qui n’existent pas, l’infime dilution de légumes nés de notre imagination ? Nous dormons au pas de nos estomacs. Nous parlons à nos gencives mortes. Qu’avons nous donc à croquer, avec tant d’urgence, sinon nos propres langues. »
Écrire sur les homosexuels dans un camp de concentration, est un exercice acrobatique difficile. Franck Balandier s'affranchit là un saut périlleux dans le genre littéraire, flirtant façon presque scientifique. C'est compliqué d'écrire en dehors des historiens des spécialistes de la déportation. Alors il l'a fait estimant qu'en 2014, date de la parution de son roman fiction, personne ne devait ignorer que l'homosexualité aux événements de la dernière Guerre Mondiale, était traitée comme une maladie, et que les homosexuels qui transitaient au Natzweiller-struthof le camp de concentration nazi, territoire de l'Alsace rattachée à l'Allemagne jusqu'à la fin de cette terrible guerre, toutes ces victimes étaient condamnées à mourir. On a tout lu sur les déportations, sauf sur les homosexuels; enfin, moi je croyais avoir tout entendu dans les récits de mes parents qui se sont connus à la libération des camps par l'armée Russe puis regroupés pour revenir sur le sol français enfin libre. J'ai lu quantité d'ouvrages, visité tant d'expositions, assisté aux commémorations du souvenir, refusé par la suite à ouvrir ce genre de lecture par choix délibéré du trop plein des souffrances vécues.Chapeau bas Monsieur Balandier, et là je m'adresse à vous personnellement: c'est un pied de nez au "fameux" << non dit>>. En parcourant la première page de votre roman fiction, vous avez changé radicalement ma vision jusque-là un peu troublée. Merci pour ce moment de lecture inoubliable.
« Rosa Winkel », triangle rose en allemand servant à « marquer » les homosexuels masculins dans l'univers concentrationnaire.
18 Novembre 1918, Étienne né sur les rails gare de l'est à Paris, son père ne reviendra pas et sa mère l'abandonne dans son dernier souffle. Une vie d'orphelinat jusqu'à sa majorité.
Bac en poche il est libre,Il va vers son « inversion » , la rumeur gronde en Europe la chasse aux sorcières est ouverte.
Une vie d'ombre jusqu'à son arrestation et son marquage.
La vie à Struthof est rythmée par la mort et les lettres d’Étienne écrites dans la neige , dans le vide à Dieu.
Les mois et les saisons s'écoulent comme les fumées s 'échappent du crématoire à côté du village.
Les baraquements se vident, la mort est vivante , Étienne reste le témoin de la fin mais aussi le cobaye d'il ne sait quelle expérience....
Génuflexion, élévation, consécration, bénédiction, ite missa est , la gestuelle d'une messe , sont les chapitres de ce livre . NN « Nacht und Nebel » Nuit et Brouillard.
Un style éblouissant, poétique, d'une grande beauté même si ce terme peut sembler déplacer.
Ce livre est une pépite.
Le silence des rails de Franck Balandier se conçoit comme une oeuvre indépendante, quelque chose qui aurait la même base que tous les livres ayant trait au génocide d'une partie de l'humanité dans les camps de concentration, mais qui au fil des pages prend une direction différente pour être un livre avec sa propre unité. J'ai lu récemment que tout ce qui est inapaisé finit par pousser un cri, et ce cri Franck Balandier l'a poussé avec une délicatesse extrême et une finesse rarement égalées. Le silence des rails, d'une grande densité lyrique se dégage des lourdeurs de la syntaxe pour ne retenir que sensations, impressions et émotions.
Livre incontournable, sublimé par une superbe écriture.
Une trilogie littéraire s'annonce. Après l'exceptionnel "Nuit", chef d'œuvre de Edgar Hilsenrath, récemment traduit en français et"Kinderzimmer", le récit poignant de Valentine Goby sur les enfants nés à Ravensbrück, "Le Silence des rails de Franck Balandier traite par le roman d'un sujet peu abordé, la déportation des homosexuels.
Le dispositif narratif fait écho au texte de "La Voix humaine" et à une sublime nouvelle de Dorothée Parker "A Telephone Call", autour du thème de l'adresse directe à Dieu. Avec le thème de la prière et de ses multiples formes, le texte progresse au gré d'une forme d'"Inner Speech" (Denise Riley) qui prend une valeur universelle.
Un beau roman sur un sujet difficile, qui parvient à émouvoir et à poser quelques questions sur les bourreaux. Poétique et troublant.
L'odeur des fleurs, la pâleur du soleil, le noir de l'hiver, et les larmes, comme des charbons.
Franck Balandier écrit avec le coeur, mais aussi avec les yeux, le nez, la bouche et les oreilles, en nous donnant un livre dans lequel le drame est transfigurée par la poésie. Une écriture où l'emotion n'est pas suscité par la sentimentalité mais par la force et la distance des mots et des images.
"Cher Dieu,
Je T'écris cette lettre qui n'existe pas. Je T'écris cette lettre sans papier ni crayon. Je T'écris. […] À genoux. J'écris. C'est tout."
1942. Parce qu'il est homosexuel, Étienne est interné dans un camp, en Alsace, le seul camp de la mort installé en territoire français annexé. Parce qu'il est homosexuel, il porte sur son costume rayé de prisonnier le triangle rose pointe en bas qui le désigne comme "inversé". Au bout de son bras, son numéro d'immatriculation : 19852, tatoué dès son arrivée dans le camp. Ensuite, ce sont les longs mois d'hiver, les privations, les humiliations, la mort qui rôde, partout, la menace d'être exécuté, pour un oui ou pour un non. Chaque homme présent dans le camp est a priori "coupable, c'est tout. Forcément. Forcément coupable. Ceux qui possèdent les armes ont toujours raison." Étienne est affecté au service général du camp, sans savoir si c'est réellement un privilège... Néanmoins, il estime jouir d'une certaine liberté – même surveillée – en étant chargé de déblayer la neige autour des bâtiments. "Ce qui est bien dehors, c'est la vie. Des lambeaux de vie. Les femmes des officiers qui vont et viennent, leurs enfants qui font des bonshommes de neige. Ça suffit à mon bonheur. Savoir la vie toute proche." Mais peu à peu, la vie s'estompe, s'éloigne, s'efface. Dieu aussi s'éloigne, semblant de plus en plus absent, invisible même. "Tu n'existes pas, c'est sûr. Tu n'existes pas. Sans Toi, je dois vivre, alors." Survivre plutôt, dans ces lieux auxquels il appartient de "préfigurer la mort, rien d'autre et à nos visages d'emprunter des masques qui conviennent à la tragédie et au péché originel". La mort se rapproche, de plus en plus, dangereusement. Les fusillés, les pendus, les mourants, et ces cendres qu'il faut ramasser, en sachant d'où elles proviennent. "Nous sommes les premiers à mourir, de ce que nous savons trop, de cette mort ramassée. La fumée froide lève des incendies qui ne brûlent plus. Des incendies gris déposés sur nous, jusque dans nos cheveux." À l'horreur s'ajoute, atroce et dévastatrice, la conscience de l'horreur et la certitude épouvantable d'un avenir inexistant. La mort pour seul horizon, partout. Et "partout le mensonge. Qui pourrait croire, devant tant d'immaculée beauté, dans cette accalmie cotonneuse qu'abandonne la nuit, qui pourrait croire que nous allons mourir ? […] Sous la glace, comme un piège, le relief assagi de nos captivités. […] Sous le masque, nos habitudes et nos tremblements." Il n'y a même plus de vent, "seulement le silence, pas même le silence, seulement le bruit de nos pas étouffés, comme nos cris."
Les hommes, comme leurs cris, sont étouffés. Anéantis. Déshumanisés à un point que nul ne peut envisager, imaginer, ni même croire. "Personne ne me croira. J'en suis certain. Si je sors libre de cet enfer, personne ne me croira."
Et pourtant, si. Ils ont été et ils sont essentiels, ces témoignages qui semblaient impossibles. Car s'il "n'est rien à noter ici que la mémoire ne veuille retenir, [s'il] n'est plus temps des cahiers, des calepins en fraude, des feuilles volantes ou des tickets de métro sur lesquels on griffonne, à la hâte et en cachette, les mots essentiels pour témoigner, [même s'il] n'est plus temps de rien, sinon des choses apprises par cœur", un jour viendra le temps du souvenir, du témoignage, viendra le temps du récit, le temps d'essayer de dire l'indicible.
Malgré l'inimaginable de l'horreur vécue, les voix que l'on a voulues faire taire ont fini par porter. Et à côté "des témoins imparfaits qui déclinent l'expérience singulière", à côté des "historiens qui rendent compte des événements", on a besoin aussi des romanciers, "pour inventer ce qui a disparu à jamais". Comme Valentine Goby l'a fait dans Kinderzimmer avec Suzanne, Franck Balandier ré-invente les instants présents de ce camp d'internement, ré-écrit l'histoire d'Étienne et à travers lui, de tous les homosexuels déportés. Par son écriture intense, vivante, douloureuse, il entraîne le lecteur à l'intérieur du camp, le transformant en observateur impuissant, terrorisé, oppressé, jusqu'à la nausée. La force de son style réside également dans la coexistence entre les mots de l'impensable et une poésie lumineuse, qui laisse entrevoir la possibilité d'une étincelle dans les ténèbres. L'espoir qu'un jour, on pourra confier l'histoire de sa vie à quelqu'un. Et qu'il la croira.
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