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La vie et l'oeuvre de Catulle sont auréolées de mystère. Une date de naissance incertaine (87 ou 84 av. J.-C. ?), une vie brève - trente années, à peine - et, pour finir, une disparition sur laquelle nous n'avons pas le moindre renseignement. La trace essentielle de cette vie : un mince recueil de cent seize poèmes de longueur et de mètres fort différents qui vont de deux à quatre cent huit vers.
Vie brève, immense notoriété du poète qui suscita de nombreuses imitations de son vivant, toutes sortes de vocations après sa mort et, jusqu'à nos jours, des réactions admiratives tout autant que de rejet : de Pierre Grimal écrivant que «sans Catulle, il n'y aurait pas eu Virgile» à Charles Héguin de Guerlen, vindicatif : «Passer des élégies de Catulle à ses épigrammes, c'est passer d'un élégant boudoir dans un infâme lupanar. (.) Dans ses écrits obscènes, Catulle ressemble aux compagnons d'Ulysse : l'aimable disciple des Muses se change en un immonde pourceau, tant il semble se plaire dans la fange.» Poète à la fois adulé et honni, Catulle fait penser à Rimbaud par sa jeunesse, sa précocité, sa culture, sa virtuosité et son inventivité prosodiques, ses audaces, sa façon de choquer, de séduire. Selon les époques, on l'exalte ou on le lit sous le manteau ; on le propose peu, en tout cas, aux élèves des classes secondaires.
Chez Catulle, se retrouvent toutes les figures de la passion : désir, amitié, haine, colère, jalousie ; celle aussi de l'angoisse, de la fragilité de l'être confronté aux vicissitudes de l'existence, au tragique de sa condition.
Sa vie amoureuse - ce que le texte nous en dit - tourne autour de la figure adorée et haïe de Lesbie : femme réelle ou construction poétique ? C'est en tout cas l'histoire d'une passion «âpre» et «déchirante». Nul romantisme avant la lettre cependant - l'épanchement du moi étant étranger à la mentalité latine -, mais l'affirmation de la nécessité, pour le poète, de parler juste s'il veut rencontrer l'adhésion du public et faire oeuvre durable parce que s'adressant à la communauté des hommes. Ses amours masculines sont différentes mais tout aussi intenses, que ce soit dans l'ordre du désir ou de l'affectivité. Est-il question de ses amis ? On partage alors les sentiments du poète devant la trahison, le mépris de la parole donnée, la désinvolture ou la simple négligence. Il y a cependant, aussi et surtout, dans cette évocation de l'amitié, une extraordinaire allégresse à dire la connivence affective et intellectuelle, la complicité joyeuse.
Les haines de Catulle visent, elles, avec précision et une extrême audace un certain nombre de personnages qu'il a, pour diverses raisons, en horreur : rivaux en amour, mauvais poètes, il leur règle leur compte avec verdeur, allant jusqu'à fustiger César lui-même. Ces expériences s'expriment surtout dans les épigrammes et autres pièces courtes d'inspiration amoureuse ou satirique ; Catulle y excelle de par sa maîtrise parfaite de la versification. La référence aux poètes qu'il admire - Sappho, Archiloque, Anacréon -, bien loin de brider sa personnalité, la libèrent au contraire et la font s'épanouir pleinement Catulle sait aussi employer sans hésiter la langue crue, la langue verte qui se pratiquait de son temps, une langue dont les audaces ne choquaient personne dans les cercles littéraires où ses poèmes étaient chantés ou lus, car telle était la coutume à Rome où aucun terme existant ne pouvait être exclu d'une oeuvre littéraire à condition de respecter le ton et le registre exigés par le genre dans lequel on choisissait de s'exprimer.
La vigueur de cette langue est l'autre face du talent de Catulle ; la traduire en l'édulcorant, au nom d'un quelconque souci des bienséances, est faire la pire offense qui soit à un auteur.
Comme le disait Georges Lafaye : «Les poèmes courts [de Catulle] renferment beaucoup d'expressions violentes ou familières (.). Il en est même beaucoup d'obscènes ; pour les conserver toutes, il faudrait appeler Rabelais à son secours.» Cette langue verte est également un instrument privilégié pour dresser une galerie de portraits qui fait défiler sous nos yeux tout un monde à la fois cocasse et sordide que Catulle dépeint avec un véritable talent de caricaturiste : voleurs, escrocs, faux jetons, la putain sur le retour ou la putain «décevante», les snobs, les dévoyés, les incestueux, les corrompus, les cocus complaisants, les poètes grossiers qui croient avoir du talent. Pour chacun, Catulle a le mot juste, féroce, l'injure assassine.
La tradition à laquelle Catulle se réfère, sur ce plan, est une tradition orale, d'origine populaire et paysanne, alliée avec un grand naturel à l'extrême sophistication de la métrique alexandrine héritée de la Grèce, qu'il pratique en virtuose. Il joue de tous les mètres existants comme un musicien de plusieurs instruments, en véritable novateur, et c'est la raison pour laquelle tous les poètes de la génération suivante reconnaîtront en lui un maître.
C'est donc aux multiples facettes du génie d'un immense poète que la présente traduction a pour ambition de rendre justice. Ici et maintenant.
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