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Paris, 1848. Rachel a un don. Elle peut lire à travers le temps, les lieux, les gens et leurs histoires. Elle rêve de provoquer chez ses semblables une ouverture vers de nouveaux horizons. Sorcière pour les uns, phénomène de foire pour les autres, elle s'épuise et peine à trouver sa place. Un jour, elle disparaît sans laisser de traces... Bien des années plus tard, Liv, metteure en scène de théâtre, et Virginia, photographe, croisent le chemin de Rachel au coeur de leur démarche artistique. Rachel aurait-elle enfin trouvé sa voie par le biais d'une sororité créative défiant les lois de la raison ?
Un immense coup de cœur ! Quel magnifique cadeau que Le don de Rachel qui vient de paraître aux Éditions Casterman, album de presque 200 pages sorti tout droit de l’imagination fertile d’ Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risjberg, nos Rachel et Page des temps modernes. Nous voilà embarqués dans un fantastique récit ou plutôt un récit fantastique à travers le regard envoûtant de Rachel qui après nous avoir fait découvrir le Paris de 1848, nous conduira à Copenhague en 1980 au cœur d’une création de la chorégraphe Liv Nexø pour le Kongelige Ballet puis s’achèvera (encore que …) au XXIe siècle derrière l’objectif de Virginia Day une photographe londonienne. Trois capitales européennes, trois époques, trois femmes … Une prodigieuse mise en abyme, un subtil jeu de miroirs lynchien qui interroge, entre autres, sur l’acceptation de la différence, l’inspiration et la transmission dans le cadre du mystère de la création artistique.
« J’ai quelque chose en moi que les autres n’ont pas. Et je veux le partager. » Pendant un peu plus de 100 pages, nous allons donc parcourir le Paris de 1848 aux côté de Rachel. Rachel n’invente pas, elle voit. De ses immenses yeux bleus magnétiques à la profondeur insondable, elle voit à travers les choses et à travers les gens. Elle est non seulement capable de voir le passé et le présent, mais également l’avenir. Elle voit le poème que Victor Hugo n’écrira que dix ans plus tard et cela stupéfie Page, son alter ego, son ami et confident, son double qui scrupuleusement trace le fil de la vie de celle qu’il nomme sa muse dans un carnet qui ne le quitte pas. Mais autant dire que son don extraordinaire sera diversement accueilli par ses contemporains. Elle va devoir faire face à la curiosité et au scepticisme des gens qui n’auront qu’une envie, la démasquer. Vont suivre une série de représentations au cours desquelles on ne lui demandera que des futilités, faisant fi des révélations autrement plus importantes qu’elle voudrait transmettre. On la considère au mieux comme un phénomène de foire, au pire comme une sorcière. Puis dans ce monde superficiel, elle va devenir la coqueluche de la haute société parisienne mais celle-ci aussi fera peu de cas de son moi profond. Son regard peu à peu va perdre de son éclat et un beau jour, ne laissant derrière elle que le fameux carnet et un daguerréotype, elle va disparaître à l’instar des fées dans le monde imaginaire de Peter Pan où « chaque fois qu’un enfant dit : “Je ne crois pas aux fées”, il y a quelque part une petite fée qui meurt. » …
L’histoire aurait pu s’arrêter là et cela aurait été un très beau conte fantastique mais la réapparition (?) de Rachel plus de 100 ans plus tard dans la vie de la chorégraphe danoise, puis de la photographe londonienne lui donne une toute autre dimension.
Un album connecté
Nous ayant d’abord enchantés au rythme d’un album par an aux Éditions Sarbacane avec Mine une vie de chat (2012), L’astragale (2013), Le roi des scarabées (2014), La lionne (2015), Perceval Le Gallois (2016) et Serena (2018), c’est à présent aux Éditions Casterman qu’officie ce tandem inspiré et inspirant.
C’est là le deuxième ouvrage qu’ils signent chez l’éditeur et s’il entre en résonance avec le premier, Enferme-moi si tu peux paru en 2019, ce n’est nullement le fait du hasard.
Lors de la genèse de ce précédent album consacré à l’art brut à travers le portrait de six personnes exemptes de toute formation et culture artistiques possédant un don naturel indéniable et inexplicable pour la peinture ou la sculpture, l’idée leur est venue d’aborder également le spiritisme à travers un second tome consacré aux artistes spirites. Et puis ils ont décidé finalement de produire deux albums séparés, le premier avec des personnes ayant existé, le second mettant en scène un personnage de fiction ce qui leur a apporté une plus grande liberté dans la narration et a donné libre cours à leur … imagination.
L’ancrage dans la réalité historique
Le XIXe siècle est une période où spiritisme, surnaturel, magie ont le vent en poupe.
Une des forces de ce récit, c’est cette plongée dans un imaginaire profondément ancré dans la réalité par son cadre, les personnages célèbres que Rachel va y croiser et certains évènements qu’elle va vivre.
Si Rachel est un personnage fictif, elle s’inspire toutefois du plus grand médium et magnétiseur de ce siècle, Alexis Didier. Aussi, quelques séquences de l’album relatent-elles des épisodes de sa vie notamment la confrontation à deux reprises avec l’illustre illusionniste Robert-Houdin qui attesta qu’il ne s’agissait nullement de prestidigitation. Rachel est un personnage de fiction, certes, mais qui va évoluer parmi des personnalités bien réelles de l’époque.
Alors, Charles Chevalier, un ingénieur opticien avait bien ouvert un cabinet de daguerréotypes et Frédéric Lemaitre était bien un célèbre acteur qui fit ses débuts au Théâtre des Funambules. Concernant la princesse Mathilde, cousine du futur Napoléon III, il y a bien une sombre histoire de bijoux … Et puis il, y a ces lieux emblématiques : Le Théâtre des Funambules et le Théâtre Robert-Houdin, le château de Monte-Cristo, demeure d’Alexandre Dumas, la mention de la fameuse armurerie Le Page, connue notamment pour avoir distribué des armes à la foule pendant la révolution de 1830. N’oublions pas que nous sommes à la veille de celle de 1848 ...
Un jeu miroirs dans lesquels se reflètent tour à tour le réel, l’imaginaire, le surnaturel, le rêve …
La narration donnant une apparence de simplicité en raison de sa linéarité est a contrario particulièrement subtile et malgré (ou en raison de) son extrême précision joue sur l’ambiguïté et ouvre la porte à de nombreuses interprétations. A commencer par le titre avec la double signification du mot « don ».
Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est du domaine de l’imaginaire ou du rêve ? Et si toute cette première partie n’était une métaphore et Rachel l’allégorie de la création artistique ? Et ce fameux carnet, qui en est l’auteur ? Page ?... Rachel ?... Les deux ?... Une romancière ?... Et si … ? Toutes les questions sont permises et de nombreuses réponses sont possibles.
Dans une judicieuse postface, la scénariste nous livre quelques clés de lecture et évoque en passant le côté non anodin des prénoms tout en se gardant bien de donner le moindre indice concernant notre héroïne principale. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité. Alors, Rachel Archer ? ... Pour le patronyme, comment ne pas penser à un autre « Portrait de femme » celui d’Isabel, l’héroïne de Henry James … Quant au prénom … « Rachel ? la perfection, et rien de plus ! » se serait exclamé Frédéric Lemaître à propos de la plus grande tragédienne de l’époque, modèle de Sarah Bernhard : Rachel Félix, celle qu’on appelait « Mademoiselle Rachel » …
Mais revenons à ce récit qu’on peut voir également comme une ode au monde artistique tant il est ponctué de références notamment littéraires et cinématographiques. Des références littéraires tout d’abord. Outre l’épisode avec Alexandre Dumas et l’allusion à Victor Hugo au tout début du récit, lors d’une de ses séances dans un salon mondain, l’extrait de livre qu’on lui donne à deviner n’est autre que la toute dernière phrase du Père Goriot déterminante pour l’avenir du héros des « Illusions perdues » …
Des références cinématographiques également avec bien sûr celle évidente aux Enfants du paradis de Marcel Carné mais d’autres beaucoup plus discrètes comme cette illustration pleine page qui clôt l’épisode danois avec la superposition de 3 images : l’une de Liv, une autre, surexposée de Rachel et enfin une troisième composée de silhouettes noires qui fait irrémédiablement songer à la scène d’ouverture de Mulholland Drive, soulignant le côté lynchien du récit … ou encore le fragment d’affiche de Blow up d’Antonioni entraperçu dans l’appartement londonien de Virginia situé au 43 Kensington Gardens Square, adresse non anodine...
Il y a quelqu’un sans lequel cet album n’existerait pas. Il s’agit de Terkel Risbjerg, bien sûr. Comme dans les précédents albums, son trait tout en simplicité et en sensibilité vient donner vie à cette histoire hors-normes. La mise en couleur alternant et conjuguant le noir profond de l’encre de Chine à des lavis tour à tour sombres ou lumineux est impeccable, retranscrit formidablement bien les différentes ambiances et sublime le charme envoûtant de Rachel. La couverture déjà annonçait la couleur, ou plutôt les couleurs, couleurs éclatantes qui vont d’ailleurs être reprises pour les pages de garde venant souligner l’élégance de l’objet. Quant aux scènes oniriques, elles sont de toute beauté. Mention spéciale au survol nocturne chagallien de Borgen où plane encore l’ombre de Peter Pan …
Le don de Rachel confirme, si besoin est, le don du duo Pandolfo/Risberg pour les histoires captivantes. Ne passez pas à côté de cet album d’une richesse telle que chaque relecture ouvre de nouvelles perspectives.
Quant à la mystérieuse et fascinante Rachel, elle mérite d’entrer au panthéon de ces héroïnes de papier qu’on n’oublie pas.
« Le don de Rachel » est un roman graphique qui nous relate le parcours de trois femmes, qui ont vécues à différentes époques et différents lieux mais dont le destin est lié par des fils invisibles.
Au 19ème siècle à Paris, vit Rachel Archer, une jeune femme au regard envoûtant qui a un don. Son compagnon est un poète et rédige un livre sur elle. Depuis, toute petite, elle ressent des choses. Elle peut voir l'avenir, soigner à distance ou encore parler toutes les langues quand elle est en transe. Rachel participe à des séances où elle répond aux questions des gens. Elle ressort exténuée de ses rencontres.
Après avoir été recommandé par le prestidigitateur Robert-Houdin, elle devient connue. Elle est reçue par la famille royale et par Alexandre Dumas. Rachel devient un phénomène de foire et elle en souffre. Certains hommes la traitent de sorcière, les autres l'apprécient mais ne s'intéressent pas à elle. Ils utilisent son don. Un beau jour, elle disparaît et ne réapparaîtra jamais.
Liv Nexo, est une danseuse et chorégraphe dans les années 1980 à Copenhague. Elle décide de créer un spectacle pour le théâtre royal de Copenhague s’intitulant le « Don de Rachel ». Liv a trouvé le livre écrit par le compagnon de Rachel chez un bouquiniste. Elle s'inspire de son l'histoire pour créer son ballet qui rencontre un grand succès.
De nos jours, Virginia Day vit à Londres. Elle est photographe. Un de ces ancêtre « Charles Chevalier » qui faisait des daguerréotypes, a vécu à l'époque de Rachel et avait réalisé le portrait de la jeune femme. Virginia a conservé le daguerréotype sans savoir qui elle était. « Rachel » a toujours été une muse pour elle car son grand regard bleu est hypnotique.
J'ai beaucoup apprécié ces trois portraits de femmes, les connexions qui les relient et l'évocation de la création artistique. J'ai trouvé la construction narrative intéressante même si elle peut surprendre. Pandolfo et Risbjerg ont un véritable talent pour évoquer le destin d'artistes incompris et rejetés de la société et nous les rendre passionnants à l'instar de leur précédent roman graphique « Enferme-moi si tu peux » qui m'avait impressionnée.
Les quelques planches fantasmagoriques quand Rachel est jeune ou celles de Liv dansant avec Rachel dans le ciel m'ont fait penser à l'univers onirique de Chagall. Je les ai trouvées très belles. Les dessins sont magnifiques et j'ai retrouvé le trait singulier de Risbjerg qui me plaît. La colorisation permet de distinguer et souligner les époques, les teintes sépias au 19ème siècle et des teintes plus vives pour l'époque actuelle.
Le duo Pandolfo et Risbjerg a réussi une nouvelle fois à me convaincre à travers cette histoire originale et ses illustrations envoûtantes.
Je retrouve avec bonheur le duo de bédéistes, Anne-Caroline Pandolfo au scénario et Terkel Risbjerg au dessin après leur très bel album sur l'art brut, Enferme-moi si tu peux. Et tout le bien que je pense de cet album est intact à la lecture du Don de Rachel.
Dessin original, formidable qui montre bien les différentes phases de la vie de Rachel, dans les couleurs, les traits des personnages et qui devient plus clair, plus aéré lorsque Liv, la chorégraphe intervient.
Et le scénario n'est pas en reste qui raconte la difficulté d'être une femme en vue au milieu du XIXè siècle, surtout en tant que voyante. L'accusation de sorcellerie n'est jamais loin, ni la tentation du phénomène de foire. La science et ses adeptes, des hommes, ne jurent que par ce qui peut être démontré. Or, le don de Rachel est inexplicable donc suspect. J'aime bien aussi comment la scénariste relie les trois femmes à un siècle d'intervalle.
Un très bel album, original, qui, même si on les aime aussi, change des bandes dessinées traditionnelles.
Paris 1848, Rachel Archer, jeune femme au teint pâle aux yeux bleus envoûtants et au regard perçant, a un don. Elle peut lire à travers le temps, les gens et leurs histoires. Ce don, elle voudrait le partager avec la société mais cette dernière n'en veut pas par manque d'imagination ou par peur : on ne lui demande que des futilités et on la cantonne à un phénomène de foire. Alors, lasse d'être invisibilisée, elle disparait mystérieusement un jour. Restent comme unique témoins de son passage un livre écrit par son ami Page que choisira de mettre en scène l'ancienne danseuse étoile Liv Nexo pour ses débuts de chorégraphe à Copenhague dans les années 1980 et un daguerréotype qui influence la photographe star Virginia Day installée à Londres de nos jours ….
Trois femmes, trois lieux, trois époques, trois destins inextricablement liés à la manière de la structure narrative présente dans « The Hours » de Michael Cunningham. le duo qui oeuvre conjointement depuis 2012 nous livre un très beau roman graphique en quatre parties dont les deux premières sont consacrées à la vie de Rachel Archer et à son combat pour se faire accepter dans la société patriarcale, infantilisante de la Restauration accompagnée de son confident et mémorialiste Page, un jeune poète. Puis adviennent deux autres chapitres à la pagination nettement moins importante où l'on découvre Liv puis Virginia. En apparence ces nouvelles parties paraissent précipitées, presque hors-sujet et elles entrent en résonnance grâce à l'art. Une intervention de Frédéric Lemaître d'abord que Rachel croisa dans la vraie vie et qui, comme dans « la Rose pourpre du Caire » interpelle la chorégraphe alors qu'elle regarde « Les Enfants du paradis » de Carné à la télévision puis le portrait de Rachel qui inspire la technique de Victoria qui expose …. dans la galerie Page ! Ces coïncidences, ces résonnances sont comme redoublées par les confidences effectuées par la scénariste dans sa postface et deviennent troublantes. On n'a pas vraiment un récit fantastique comme on aurait pu le croire mais un hommage à l'art et aux voyants que sont les artistes et au côté magique de la création. Alors « le don de Rachel » entre en résonance également avec le livre précédent du duo : « Enferme-moi si tu peux ». En effet, cet opus racontait le don artistique inexpliqué de personnes sans éducation académique ou aliénées et leur exploitation. Rachel n'en est finalement qu'une éblouissante variation.
L'album est magnifique. de nombreuses pages muettes permettent au lecteur d'y glisser ses propres émotions et le dessin à l'encre de chine est économe mais envoûtant. Certaines des pages oniriques font penser aux toiles de Chagall ; les époques sont parfaitement différenciées grâce aux couleurs lumineuse et aux ambiances crées. Anne-caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg ont un don, c'est indéniable et leur album m'a littéralement envoûtée. Un immense coup de coeur !
J’étais envouté dés mon premier aperçu de la couverture. J’attendais cet album avec impatience ne sachant pas trop à quoi m’attendre… je voulais juste retrouver ce regard.
Je me suis laissé embarquer…
Les yeux de Rachel Archer m’ont donc transporté sur 3 lieux ,3 époques et 3 vies différentes. Le dessin, les couleurs tantôt vives, tantôt sombres, les personnages, le scénario… tout est réussi.
Rachel est voyante, elle voit tout… et en 1848 à Paris, pas facile à faire accepter ! Sa douceur et sa volonté farouche créent d’emblée de l’empathie chez le lecteur. On croisera 2 autres femmes : Liv est metteur en scène à Copenhague et Virginia est une jeune photographe à Londres. L’esprit de Rachel reste le fil conducteur jusqu’à la toute dernière page…
Toi aussi, plonge dans ce regard… tu ne l’oublieras pas de sitôt !
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