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Tous les matins à huit heures moins quatre sur France Culture, du lundi au vendredi et avec une interruption estivale, Philippe Meyer barytone la chronique du toutologue aux oreilles d'environ un demi-million d'auditeurs. Et cela depuis le mois de septembre 2010. Dans le club très fermé des chroniqueurs de radio, Philippe Meyer fait figure de ponte : il a longtemps tenu une chronique semblable sur France Inter, de 1989 à 2000, à peu près à la même heure, et qui a fait l'objet d'une publication exhaustive.
Depuis trente ans qu'il parle à la radio, Philippe Meyer est repéré pour son style et sa voix inimitables, et pour ses gimmicks fameux : longtemps " nous vivons une époque moderne " ou " le progrès fait rage ", toujours " Philippe Meyer, mammifère omnivore, bonjour " pour son émission La prochaine fois je vous le chanterai, aujourd'hui c'est " auditeur sachant auditer " qui ouvre la chronique, et " le ciel vous tienne en joie " qui la clôt. Ces indéboulonnables formules, gravées dans la mémoire des auditeurs, fixent leur attention avec la régularité d'une horloge.
Mais qu'est-ce qu'un chroniqueur ? Quand l'éditorialiste donne à penser, le chroniqueur donne à voir tel ou tel événement de l'actualité. Et qu'est-ce qu'un toutologue ? En italien, le tutologo parle de tout et parle de rien. Le chroniqueur toutologue de France Culture se fait fort de tirer de tous les événements qu'il éclaire, " la moelle substantifique ". Il parle de tout, et il en dit quelque chose, ou du moins il essaye, sans prétention. Conscient de la vanité du monde, il règle sa chronique sur cette constatation du fondateur de la modernité, Michel de Montaigne : " la plupart de nos vacations sont farcesques ".
Ce livre est une anthologie de trois années de chroniques, présentées dans l'ordre chronologique de leur diffusion à l'antenne. Comment les choisir ? On a écarté celles qui ne passent pas l'épreuve de la lecture, parce que Philippe Meyer y chantait, ou y imitait un accent, ou y jouait un personnage. Elles sont peu nombreuses. Il se trouve au contraire que les chroniques du toutologue, conçues pour être entendues, gagnent à être lues.
Pourquoi ? D'abord parce qu'elles sont écrites puis lues à l'antenne, et non improvisées.
Philippe Meyer suit en cela la voie tracée par son modèle, Alexandre Vialatte : la chronique est un genre littéraire. Il écrit avec un style savoureux, une syntaxe tarabiscotée mais impeccable, un vocabulaire rare, alternant les registres et citant régulièrement les plus grands - comme les plus petits, mais telle est la loi du chroniqueur, témoin de son temps.
Certes, on perd la voix, mais on gagne le recueil, qui prétend précisément rendre compte précisément de la diversité des tons et des faits. Le toutologue traite de politique, de littérature, de théâtre, de faits divers comme d'économie, parfois avec enthousiasme, parfois caustique, parfois indigné, parfois étonné. Truculent quand il parle des appétits de la table et de la chair, il se montre aussi digne lorsque vient le triste et grave moment d'honorer la mémoire des figures qui "ont quitté cette vallée de larmes".
À force d'être d'accord avec lui, nous sommes tentés de le laisser penser à notre place.
Mais vient une chronique qui nous déplaît, et cela d'autant plus qu'ayant été séduit à de nombreuses reprises, nous nous sentons trahis. Nous ne pouvons pas compter sur le toutologue, sinon pour nous prendre au dépourvu, nous mécontenter, nous irriter. Nous pensions l'avoir mis dans une case. Philippe Meyer ne rentre pas dans une case. Ou alors, dans la case Philippe Meyer. Et le recueil de ses chroniques nous rappelle une chose qui nous échappe trop souvent : La complexité du monde.
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