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En réponse à un courrier de Nicolas Dufourcq demandant à Clément Rosset : « Pourquoi écrivez-vous ? », l’auteur a répondu en 157 pages, par un cours de littérature et de philosophie remarquable dont on s’abreuve d’érudition.
« La Fontaine parle, au tout début de ses « Amours de Psyché », de quatre amis dont l’un « tombait parfois dans la maladie du siècle et faisait un livre ». Une lettre que j’ai reçue il y a quelques années, provenant du ministère des affaires sociales et de l’intégration et signée de M. Nicolas Dufourcq, m’adresse le reproche d’avoir été moi-même atteint par cette maladie du siècle et me demande pourquoi j’écris, insistant sur l’idée (qui peut sembler paradoxale) que les qualités mêmes de mes livres et de ma réflexion (selon M. Dufourcq) sont de celles qui auraient dû me mettre à l’abri de cette folie qui consiste selon lui à écrire. C’est là à peu près ce qu’exprimait Montaigne remarquant dès la première ligne du long essai qu’il a intitulé ‘De la vanité’ qu’ « il n’est à l’aventure aucune – vanité- plus expresse que d’en écrire ». Je remarquerai en passant que cette lucidité de Montaigne, exceptionnelle ici comme partout, ne l’a pas empêché d’écrire son essai sur la vanité, ni l’ensemble des ‘Essais’. Et j’ajouterai cette considération aggravante, en ce qui regarde l’écriture en général, que celle-ci représente l’inconvénient supplémentaire de constituer un travail à la fois totalement inutile et totalement épuisant, et d’autant plus épuisant qu’il est ressenti comme plus inutile par l’écrivain qui s’y emploie, ou quelque auteur que ce soit, dès lors que celui-ci est bien conscient de ce qu’il ait, tel Zola qui fait dire à Claude Lantier, dans ‘L’œuvre’ : « Quand la terre claquera dans l’espace comme une noix sèche, nos œuvres n’ajouteront pas un atome à sa poussière. »
«Face à l’ensemble des travaux concevables, pénibles certes mais plus ou moins nécessaires et plus ou moins bien payés, le travail d’écriture fait figure de travail à la fois supplémentaire et non payé. Je conçois donc très volontiers qu’on puisse tenir légitimement celui-ci comme une sorte de « maladie » ou de folie ; et qu’on pense avec le philosophe chinois Tchouang-Tseu que « l’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom ».
« Je ne crois pas forcer votre pensée en ramenant cette autre question à celle de la ‘publication’, c’est-à-dire du passage de mon texte écrit au livre imprimé et par conséquent offert au public. Mais c’est un peu comme si vous reprochiez au pommier non seulement de faire des pommes mais encore de les laisser traîner lorsqu’elles sont mûres et tombent d’elles-même, au hasard des prés et des chemins où il est loisible à chacun d’aller y goûter – quitte à les recracher aussitôt si elles sont trop âcres à la bouche, comme il advient aux pommes à cidre de Normandie et comme il advient peut-être à certains de mes livres. Je veux dire qu’il y aurait quelque contradiction, peut-être même quelque vanité à rebours, à s’entêter à tenir caché un texte et à refuser de le laisser imprimer, dès lors qu’on estime, à tort ou à raison, n’avoir point de raison particulière d’en rougir, dès lors aussi qu’un éditeur honorable lui-même se propose de le publier. »
« Je veux dire que c’est précisément l’écriture, et elle seule, qui me permet à moi comme à tout le monde, d’établir une pensée. »
« J’en reviens donc au « choix des mots », expression par laquelle je désigne ici à la fois la décision d’écrire (inséparable, à mon sens, je le répète du fait de penser) et l’élection des vocables, des phrases, censés « manifester » cette pensée (alors qu’en réalité ils la constituent de toutes pièces). Ce dernier choix est essentiel, puisque de lui dépend non seulement la forme mais le contenu même de ce qui se donnera à lire et à penser. »
Le choix du mot juste est indispensable pour refléter un ressenti ou une idée et cela peut prendre des jours à le trouver comme trouver un vêtement à sa taille. L’auteur va nous faire partager son travail d’écriture, son choix de récit, l’expression de sa pensée, ses angoisses et ses joies avec finesse et une très délicate ironie. Ce livre va nous conduire au travail d’un écrivain digne du nom et son univers mais aussi à nos propres questions. L’illusion peut-être d’être à la recherche d’une idée quand en réalité on recherche un mot. Plusieurs pages sur le mot manquant, le mot perdu sont délicieuses. Les mots sont le corps de la pensée et si le mot n’est pas, la pensée non plus.
Bref, ce sont 150 pages de citations, texte divisé en quatre parties : Le choix des mots ; La joie et son paradoxe ; La force comique ; L’Espagne des apparences. Je vous laisse, pour ceux qui aiment la littérature, la philosophie, la lecture et l’écriture (hors de toutes productions piteuses réduites à ne rien dire,’ ni vu ni dit’), découvrir cet essai talentueux et érudit à l’écriture simple et intelligente, parsemé de nombreuses références et explications littéraires, édité aux Editions de Minuit, réponse magnifique signée Clément Rosset à cette persistante question posée aux écrivains : « Pourquoi écrivez-vous ? »
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