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Invités à s'exprimer au travers d'entretiens littéraires, les écrivains ont tendance à se réinventer une identité et un parcours. Déformation professionnelle ? Pas seulement : vu de plus près, on découvre qu'ils tendent tous à se rapprocher d'une image préexistante et légendaire de l'écrivain, et qui les légitimera.
En étudiant les parcours respectifs des trois immenses romanciers américains que sont John Steinbeck, Ernest Hemingway et William Faulkner, l'auteure soulève le voile de la légende pour donner une description concrète de ces trois vies d'écrivains professionnels : les débuts, l'entrée dans la carrière, les succès, les échecs, les récompenses, les livres écrits les uns après les autres, l'organisation d'une vie privée qui facilite ou non cette vocation passionnée.
Julia Kerninon met au jour la vie de labeur, de stratégie, de solitude et d'orgueil qui est la réalité de l'écrivain professionnel. Au-delà de la légende fascinante de l'écrivain en artiste incontrôlable et chaotique se cache la vérité d'un travail acharné et réfléchi, accompli dans le plus grand sérieux, envers et contre tous.
Les écrivains, le travail et la légende.
Julia Kerninon a publié :
— 2013 Buvard au Rouergue Prix Françoise Sagan 2014 – Prix René Fallet 2015
— 2016 Le dernier amour d’Attila Kiss au Rouergue Prix de la page 112 – Prix de la Closerie des Lilas 2016
— 2017 Une activité respectable au Rouergue
— 2018 Ma dévotion au Rouergue Prix Fénéon 2018
— 2020 Liv Maria éditions L’Iconoclaste Prix Summer du festival de Bron
En 2016 elle devient Docteur en littérature américaine et aujourd’hui elle nous livre sa thèse remaniée pour la rendre intelligible à tous.
Tout en écrivant et construisant sa propre identité d’écrivain elle a étudié les articles de The Paris Review et constate que la construction de l’image de l’écrivain se fait en duo : le journaliste et l’auteur.
Ensuite elle élabore un travail autour de trois figures emblématiques de la littérature américaine : Faulkner, Hemingway et Steinbeck.
Ils ont en commun une panoplie du parfait écrivain : l’alcool, la virilité et le goût de la lecture, avec une prédominance pour l’œuvre de Dostoïevski qui leur fait forte impression.
L’interview ne serait rien d’autre qu’une fiction de plus dans leur œuvre.
La sainte trinité de la littérature américaine, ils ont eu le Nobel et bien que différents, ils construisent leur image par rapport à celle qu’ils se font d’eux-mêmes.
Faulkner peaufine sa stratégie de fermier campagnard, car il se veut artisan et non intellectuel. Mais sa réalité est autre et l’image entièrement fabriquée.
« Tout lire – la littérature de merde, les classiques, le bon et le mauvais, et regarder comment ils font ça. »
Hemingway opte pour la stratégie de la virilité, du macho, le travail d’écriture lui semble féminin, il contrebalance en permanence avec des actions de mec : guerre (même s’il ne s’est pas battu), pêche au gros etc.
Hemingway n’a pas la reconnaissance facile, c’est un euphémisme, pour celle à qui il doit beaucoup, Gertrude Stein.
Steinbeck avait longtemps tergiversé concernant cet entretien avec The Paris Review peu convaincu par l’oralité de cet exercice. Il avait accepté d’y répondre par écrit mais il meurt avant de l’avoir fait. Alors la revue, en lieu et place, publie des extraits de son œuvre.
« Il incarne à sa façon une de facettes de l’écrivain américain : le gars de la campagne, moitié bohème moitié misfit, qui parle la langue pure de ceux d’en bas, parce que lui aussi s’est fait tout seul. »
Dans cette trilogie, il incarnerait le changement car il fait partie d’un cursus de creative wrinting et pas de lien avec l’Europe à ses débuts ni avec le milieu de la littérature américaine. Débuts qui furent long.
Ici, il y a une belle réflexion sur l’écriture quand personne ne vous attend et ensuite quand on écrit après un succès, à méditer.
« J’avais vraiment l’intention d’aller à la bibliothèque, écrit-il à cette époque, mais la fatigue était trop grande. Suis presque convaincu, que personne ne peut accomplir huit heures d’un travail difficile et écrire en même temps. »
Si vous pensiez avant de lire cet essai, qu’un écrivain était quelqu’un de seul face à sa page, sachant se passer de tout ou presque pour écrire, l’image en sera ternie.
J’ai aimé voyager dans cette réalité, l’envers du décor.
Et l’ensemble est en totale cohérence avec son auteur, ce travail d’écriture qui l’a toujours habitée et ceci n’est pas une légende…
En conclusion, je m’interroge sur d’éventuelles relectures de leurs écrits, cette étude restera forcément en mémoire.
Dans notre littérature contemporaine, quels sont les exemples de portraits qui sont une œuvre de fiction dans l’œuvre ?
Très intéressant de revisiter la littérature avec une attention accrue.
©Chantal Lafon
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