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Isabelle Cornaz a vécu longuement à Moscou où elle a travaillé en qualité de journaliste. Se remémorant les détails de sa vie moscovite, elle dresse, dans La nuit au pas, un portrait ambivalent de la ville. S'y dévoile le corps de Moscou, ses cours intérieurs, ses lieux invisibles et les marques de sa gentrification. Le récit s'éloigne ponctuellement de la capitale depuis la proche banlieue jusqu'au cercle polaire, en survolant les villes secrètes de Russie.
Entre le songe des souvenirs et la réalité de la guerre qui traverse le récit comme des déflagrations, on avance au pas dans ce paysage désormais inaccessible à l'auteure.
« J'ai commencé ce texte en me questionnant sur mon rapport à la ville, sur le désir et la difficulté de la saisir, d'en décrire les pulsions et les motifs - et je l'ai terminé avec le sentiment d'un territoire sombrant, s'autodétruisant au point de se dissoudre. » La nuit au pas est un récit sur notre rapport à l'espace, à la mémoire et à la disparition.
«J’ai aimé profondément une ville – Moscou»
Isabelle Cornaz, journaliste suisse, a longuement vécu à Moscou. Son premier livre fait de choses vues, d’impressions de notes, de souvenirs, de fragments nous offre un portrait intimiste d’une ville et de ses habitants aujourd’hui frappés de cécité.
Comme elle l’a confié au quotidien suisse «Le temps», c’est après un reportage à Kiev, au début de la guerre en Ukraine qu’Isabelle Cornaz, de retour en Suisse, s’est mise à la rédaction de livre: «j’ai repris mes notes, ces fragments écrits de façon brouillonne sur des bouts de papier ou sur mon téléphone, pendant chacun de mes séjours en Russie, qui ont commencé en 2001. A mon tout petit niveau, c’était une façon de tenir au milieu d’un événement qui fait tout exploser.»
Alors, loin du conflit, elle s’est souvenue qu’elle a beaucoup aimé Moscou, une ville où la journaliste a longuement vécu et où elle a pu constater combien cette mégapole s’est transformée.
Pour avoir effectué plusieurs voyages dans la capitale russe, j’ai moi-même pu constater certaines transformations qu’elle décrit, sans toutefois avoir pu cerner cette «âme russe» comme elle le fait. Imaginez à votre tour débarquer à l’aéroport international de Domodedovo et prendre la direction du centre-ville. La première chose qui vous impressionnera, c’est la dimension gigantesque de la ville qui compte plus de 13 millions d’habitants intra-muros. «La structure de la ville est faite de cercles concentriques, comme un orgasme. Les fortifications successives qui sont tombées au fil des siècles ont creusé des artères, des boulevards, des voies trois fois plus larges que les autoroutes de mon enfance. Ces anneaux sont des sillons entre des trous noirs. Ils rythment les rues obscurcies par les arbres en été, les cours endormies où l'asphalte est gris-noir, où le sol est immense et luit comme un caillou.» C’est dans cette ville étonnante à bien des égards que l’on se promène dans les pas de l’autrice, que l’on entend les bruits qui rythment le quotidien, que l’on hume des odeurs contrastées, que l’on ressent les mouvements d’une foule qui va. Mais qui semble tourner en rond. «La ville perd la mémoire et sature. Elle est devenue regardable, consommable, mais aussi écœurante», écrit Isabelle Cornaz qui va tenter de comprendre les bouleversements engendrés par la guerre. Ce sont alors des détails, des notes prises au fil des jours, des choses vues qui donnent à ce livre sa grâce. Cette fleur pour le soldat inconnu portant l’inscription «Nos ancêtres ne se sont pas battus pour ça», suivie d’une liste d’objets ramenés d’Ukraine par les militaires. Combien «des parfums et des vêtements, des enceintes Bluetooth, de la nourriture, des trottinettes, des matelas, du vin, des machines à laver, des tracteurs agricoles. Des téléphones, des cannes à pêche, des jouets cassés» cachent-ils d’histoires sordides, de violence et de peur, de crimes et d’horreurs?
Alors les habitants font le dos rond, se réfugient dans un déni qui pourrait leur permettre d’oublier la mort qui les entoure, qui se fait de plus en plus présente. «Tout semble inextricablement compliqué, on ne sait pas qui dit vrai, la géopolitique est quelque chose de si sale, s'y aventurer tient de la naïveté, de la bêtise, de la folie (…) des pans entiers de la vie – noirs, sombres – peuvent disparaître si on cesse d'y penser. »
Ce court livre nous en dit bien davantage sur les effets de la guerre sur une population que bien des études. Il va chercher dans l’intime les signes du changement, du choc entre le récit officiel et le vécu des moscovites. Quand, avec l’arrivée des beaux jours, ils partent vers leur datcha, ils espèrent retrouver un peu de fraîcheur, mais aussi d’innocence. Mais très vite, et même si l'horreur de la guerre n'est pas perceptible, ils sont rattrapés par la violence, par les va-t-en-guerre. Ceux capables «d'entraîner avec eux des mères, des familles de soldats, qui préfèrent croire que leur fils n'est pas mort pour rien. »
https://urlz.fr/p7Uk
« La nuit au pas », une déambulation au cœur d’une ville, Moscou, où rien n’est laissé de côté. Pas une seule ombre, ni l’inquiétude de dire la réalité.
Isabelle Cornaz est journaliste pour différents médias. Actuellement à la rubrique internationale de la radio Télévision Suisse.
Elle a vécu longtemps à Moscou. L’urgence de dévoiler les plans intérieurs et rassembler l’épars d’une Russie dans ses contradictions les plus exacerbées.
Isabelle Cornay étale les plans. Attise les rais de lumière, ne cède rien. La sincérité est tirée au cordeau.
Les cours intérieures, les places et les rémanences. Tout lui revient, pas d’éblouissements. Seule, la vérité est gémellaire de la trame. Les sceaux de la gentrification, les diktats et les faux-semblants. Elle exprime jusqu’aux pas entendus. La géopolitique, la sociologie, et les manteaux lourds de pluie.
La contemporanéité comme un toit enneigé. Elle nomme la guerre en Ukraine. Les mensonges russes côté face, l’absurdité et le mépris d’un gouvernement pour son peuple.
Mais, Moscou reste une ville, donc le lit, la nuit pour ses habitants. Les changements pour contrer les évidences. Taire et cacher dans les murs, l’ubuesque et le grave.
« La ville est traversée par les hommes, ils font des trous à travers elle ».
« Ce ne sont pas les hommes qui traversent la frontière, mais la frontière qui traverse le corps des individus. Elle se fragilise, devient plus hétérogène, plus humaine ».
Les villes secrètes russes, effacées de la carte. Taire les orages, les camps de travail forcé, les pathétiques arrogances.
« Deux mois après l’annexion de la Crimée, une loi russe est entrée en vigueur qui rend passible de prison tout appel « à la violation de l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie. La Crimée ne pouvait plus prétendre à être rendue, sous peine que cela soit appelé du séparatisme ».
Des barres automatiques pour interdire le passage. Les muselières, un laissez-passer pour une journée, et encore.
Voie de traverse, « il y a dans la capitale des territoires entiers qui sont sacrés. Marqués du sceau du pouvoir et de l’interdit, comme si on avait effacé une partie de l’espace public ».
La métamorphose d’une ville qui se frôle contre l’évènementiel. Pas d’autonomie possible. Tout est masqué et illusoire. Les plans sont floutés et les yeux baissés. Copier-coller des folies humaines venues des hautes sphères.
Moscou cherche son souffle, entre les tracés autoritaires et les profils bas. Fissurée de l’intérieur, son apparence est un miroir aux alouettes. La neige épaisse et glacée, les nuits froides sans écharpe, ni paroles.
Et pourtant ! Écrire ainsi une ville comme une orange que l’on épluche. Seul, le goût sucré est la destination. Atteindre le point fixe. Sauter par-dessus les barrières mentales.
« La mer Blanche, la Caspienne, la Baltique, la mer d’Azov, et la mer Noire ».
« L’horreur de la guerre n’est pas perceptible, mais des êtres humains sont capables de la mettre en œuvre. De la promouvoir, de la désirer. De renoncer, sciemment, à tous les garde-fous. D’entraîner avec eux des mères, des familles de soldats, qui préfèrent croire que leur fils n’est pas mort pour rien ».
Ce périple des intériorités élève les motifs et les assignations. Écrit à peine hier et aujourd’hui, « La nuit au pas » est l’architecture de notre monde. C’est elle seule qui a le dernier mot. Ce livre est une insigne individuelle. Isabelle Cornaz conte ses expériences et les dentelles d’une nostalgie. Les habitus et son affection pour la ville d’avant. Un autre livre, son double engagé et crucial, de Kevin Lambert, « Que notre joie demeure ». Écrire l’inaccessible retour et laissez les myriades de souvenirs franchir une ville, celle d’avant, comme un jeune enfant qui apprend à marcher, la nuit au pas.
Le triomphe de la parole.
Publié par les majeures Éditions La Baconnière.
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