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Tout commence et s'achève avec la porte de la maison d'enfance. Comment accueillir son monde, un premier mai, quand il n'y a pas de table assez grande - tous les bergers descendus de la montagne, lesouvriers agricoles, les camarades fomentant la grève générale ? À bout de bras, le père extirpe alors de ses gonds la lourde porte qu'il vient lui-même de construire et la couche sur deux tréteaux : on y jette une nappe et les convives s'attablent. Pour l'enfant ébahi, c'est le monde qui s'inverse, ses notions fragiles de verticalité et d'horizontalité, de dedans et de dehors. Une porte n'est pas un morceau de bois, nous dit-on, « elle est simplement une gardienne qui recueille les mots de passe ».
On la retrouvera, cette porte aux deux visages, après la mort du père, après trente histoires cruelles, drolatiques ou tendres, quand l'enfant devenu adulte, la gorge nouée, retrouve la maison d'enfance béante, abandonnée dans sa ruine ; et l'émotion l'étreindra à nouveau devant la porte désormais couchée au milieu des ronces, « fusillée par le temps et les hommes ».
Après le Trésor de la guerre d'Espagne qui nous avait fait découvrir le singulier talent de Serge Pey, cette Boîte aux lettres du cimetière vient confirmer un ton unique dans l'art du récit, un art percutant de l'image, avec des histoires à couper le souffle, tant par leur beauté immédiate, brutale, que par l'univers à la fois charnel, réaliste et enchanté qui se dévoile à nous.
Le récit qui donne son titre au recueil est celui de la boîte aux lettres. « Avec cette boîte aux lettres, nous avons vraiment un drôle de cimetière. » (p. 20). J’ai appris que cette boîte aux lettres existe, sur la tombe d’Antonio Machado, et que les visiteurs y glissent des courriers et des poèmes pour le poète décédé en 1939. D’autres récits suivent mais ce livre n’est ni vraiment un roman ni un recueil de nouvelles. Ce sont des souvenirs d’une vie rurale, pleine de poésie et très imagée, proche des animaux, de la nature, et au rythme des saisons. Une vie agréable durant la laquelle les enfants s’amusent sainement – pendant que les adultes font de la politique – et apprennent aussi bien à lire et écrire qu’à philosopher et faire de la poésie.
De la porte devenue table, en passant par l’enfance de la maman à l’orphelinat, la boîte aux lettres rouge installée dans le cimetière, l’ancienne porcherie devenue école, la tante borgne surnommée Hirondelle, l’émigré manchot dont l’arrivée coïncide avec l’arrestation de camarades, la grand-mère qui hypnotise la poule avant de la tuer, le clown Molino… « Tuer un manchot n’est pas un grand fait d’armes, mais nous l’avons fait. » (p. 53).
La boîte aux lettres du cimetière, c’est la vie de réfugiés espagnols, une vie simple et honorable, racontée avec affection et humour (les mouches et Moscou, Fidel Castro et Cuba, Mars et Angèle, l’enterrement de Jiri le poète…). « Le socialisme, pensais-je, c’était peut-être des centaines de glaces à la vanille que l’on donnerait aux enfants à la sortie d’un hôpital. » (p. 71).
Une belle découverte qui me donne envie de lire Le trésor de la guerre d’Espagne paru en avril 2011, également aux éditions Zulma car les deux livres ont des personnages en commun.
https://pativore.wordpress.com/2015/05/22/la-boite-aux-lettres-du-cimetiere-de-serge-pey/
Ce recueil est une mine d’or : il renferme de courts récits poétiques, des souvenirs d’enfance, des tranches de vie, du bonheur …
L’auteur est un poète, mais aussi un homme engagé. Il est né dans une famille d’origine espagnole qui a fui le franquisme.
J’ai aimé son univers tendre mais cruel aussi parfois, la richesse des personnages qui gravitent autour de lui, souvent décalés et attachants. J’ai aimé son style poétique et la variété de son répertoire : un clown qui enseigne dans l’école-porcherie de la famille, les étoiles des orphelins, la leçon de poésie sur la plage, la chasse aux grillons d’une sensualité inimaginable…
Beaucoup d’émotion, de couleurs, de sensibilité.
A lire et à relire, à faire lire.
Dans cet opus hanté la guerre civile d'Espagne qui a marqué son enfance, Serge Pey tel un chaman invoque la poésie. Une poésie à la fois étrange, simple sans rimes ni strophes, "une poésie qui défait les noeuds de la pensée". Une poésie révolutionnaire "une poésie qui n'aime pas la poésie." révélée comme maxime.
Voilà, le décor est posé, la magie peut glisser maintenant dans la musique des mots et le silence des phrases.
.L'invisible est visible, les choses s'animent, les morts s’incarnent, le monde s’inverse. Nous suivons Serge Pey enfant puis adulte dans la progression de plus de 30 courtes nouvelles tour à tour cruelles, drôles, cocasses et touchantes mêlant l'intime au politique, celui-ci parfois traité de manière burlesque.
Les récits ainsi peuplés d'images suréalistes sont comme des tableaux vivants.
Nous faisons la connaissance de son père, maître des belles leçons de choses de la vie , un philosophe qui va transmettre son goût de la poésie dans une ancienne porcherie tranformée en école. Sa mère courageuse et silencieuse « la bouche remplie d’épingles » allusion à son métier de couturière.
D’autres personnages, tous non conformistes figurent dans ce récit : sa tante appelée l’hirondelle, Chucho qui approche les grillons pour imiter dans une flûte leur son strident (le chant de la guerre) , Le Chien (astronome érudit), Pua, poète bohème et Turco à la mystèrieuse bibliothèque où les livres se doublent.
Chaque nouvelle est remplie de symboles sur la vie, l'espérance (la boîte aux lettes du cimetière), la résistance avec l'image du saumon qui sait user de son observation et de la puissance de la cascade pour nager à contre-courant.
De beaux passages parlent de la littérature et du pouvoir des livres "Quand nous lisons un livre, c'est souvent le livre qui nous lit. C'est pour cela qu'il nous faut deux livres,car l'un garde ce qu'il a volé de nous, et l'autre ce que nous lui avons pris". "Le véritable lecteur du livre est ce livre fermé, et nous devons devenir ce livre pour le lire".
Et sur ce qu'est la poésie "la poésie est une expérience de la langue qui se fait corps et d'un corps qui se transforme en langue".
La lecture est très agréable et linéaire, les nouvelles s'enchaînent les unes aux autres de manière naturelle, sans cassure. J'aime reprendre dans le texte le symbole de la porte comme lieu de passage qui transformée en table pour accueillir tous les invités un jour de mai devient objet d'expériences nouvelles et d'apprentissage.
Comme je l'écris plus haut ces nouvelles sont très différentes les unes des autres avec des points communs : le narrateur, l'Espagne et la fuite, la famille, les amis, les questions d'enfants. On retrouve même des personnages rencontrés dans le livre précédent de Serge Pey, Le trésor de la guerre d'Espagne, comme Chien qui est l'un des enfants torturés, obligé d'élever un chiot, d'en prendre soin et de le tuer dans la nouvelle Le morceau de bois. Serge Pey joue avec les mots, les sons rendant son texte parfois abscons pour un esprit cartésien comme le mien, mais ça ne dure que quelques phrases ou une très courte nouvelle. On peut passer de la trivialité la plus terre-à-terre (Les chiottes) à la poésie (La bibliothèque double, en continuité de La bibliothèque blanche du recueil précédent). J'ai coché largement plus de la moitié des titres comme étant les nouvelles qui m'ont le plus touché, preuve s'il en est de la qualité de ce livre qui commence avec une histoire sur la porte d'entrée toute neuve qui servira un temps de table à manger pour permettre à tous les arrivants de s'installer et finit avec cette même porte dans un ultime usage : "Une porte n'est pas un morceau de bois, elle est simplement une gardienne qui recueille des mots de passe. [...] Les portes nous abandonnent quand on ne sait plus entrer dans leur maison. Les portes nous aiment quand on ne le ferme pas." (p.200)
Serge Pey parle d'un monde oublié, post-guerres ou durant icelles, guerre d'Espagne, seconde guerre mondiale, un monde rural, dur parce que les hommes et les femmes qu'il met en scène sont recherchés, exilés, qu'ils vivent de peu, travaillent beaucoup ; néanmoins, il y a beaucoup de tendresse, de la nostalgie, de la violence aussi, de l'amour, de la solidarité, des trahisons. Vous ne résisterez pas aux explications étymologiques de L'étoile rouge de Moscou ou de Hôpital Varsovie. Ni à l'humour parfois étonnant :"Personne ne sait pour quoi Papa attache ses dents qui tombent par un fil à un barreau de la salle de bain. Est-ce par un goût affirmé pour les vieux rituels sorciers venus des montagnes, pour conjurer les voleurs, ou tout simplement son penchant naturel pour l'esthétique ? Le fait est que les dents de Papa, devant la fenêtre de la salle de bain, sont du meilleur effet. Ce furent mes premières installations. Les artistes d'avant-garde ne m'ont jamais étonné. J'avais le musée d'art contemporain à la maison, mais je ne savais pas ce qu'était l'art, et encore moins les secrets cachés d'une chambre des merveilles." (p.73/74). Serge Pey a des trouvailles absolument formidables, des associations d'idées, des collisions de mots ou d'expressions improbables qui font mouche, qui font poésie : "La poésie défait les nœuds de la pensée." (p.57), tout cela avec simplicité dans le choix des mots, dans leur assemblage dans les phrases. : "La poésie doit être simple." (p.57) Et on ne dira jamais assez de bien sur ce titre qui est aussi celui d'une nouvelle avec une belle idée de Papa et sur les couvertures toujours aussi belles de Zulma.
Hélène, de Lecturissime en parle également, on a même failli en faire une lecture commune, mais c'est tout comme...
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