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Le sujet, la langue magnifique et universelle, le choix délibéré du Français au lieu du Provençal pour toucher plus de lecteurs font de ce court texte un manifeste pour la liberté et la solidarité face à l'adversité.
La modernité est également frappante.
Pas besoin de beaucoup d'espace ni de lignes pour vous toucher au cœur.
Nous sommes en 1919 en Provence. Pour la deuxième fois en soixante-dix ans, Le Saule Mort, le village de Violette Ailhaud est privé de tous ses hommes. Ils sont tous morts au combat. A 84 ans, elle décide de raconter comment les femmes se sont organisées pour vivre en 1852 quand ce drame est arrivé pour la première fois.
En 1852, la Provence a été le centre d’un soulèvement républicain en réaction au coup d’état du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonarparte. Le père de Violette étant le chef de cette insurrection est arrêté et envoyé au Bagne à Cayenne. Tous les hommes du village sont également raflés et le fiancé de Violette, seize ans à l’époque, est tué en voulant s’échapper. Aucun de ces hommes ne reviendra au village.
Les femmes décident de s’organiser pour assurer la survie du village. Elles prennent en main les travaux des champs et décident entre elles que le premier homme qui passera au village sera l’homme de toutes. Elles ont besoin d’un mâle pour les aider dans leurs tâches, pour vivre leur vie de femme et repeupler le village condamné à la mort en l’absence d’enfants. Cet homme, elle le guettent, elles l’espèrent longtemps.
« Cet homme qui court lentement vers nous est donc le premier. Je serre la pomme qui se trouve dans ma poche. Je l’ai ramassée verte en partant ce matin, parce que tombée de l’arbre en plein mois de juillet. Je serre cette pomme lisse avec sa robe tâchée, comme d’un coup d’aiguille, de la marque du ver qui l’a faite tomber. Je caresse cette pomme que j’ai fait briller et je pense à Ève. Soudain j’ai envie de croire à ce mythe et d’être la première femme. Il nous faut attendre près d’une heure avant que l’homme se présente à l’orée de notre champs. Nous le regardons et il nous regarde. Il a suspendu sa marche et nous nos gestes. Il sourit et je crois que la tension crispe seulement nos visages. Lorsqu’il fait un pas supplémentaire, nous nous baissons vers l’ouvrage. Soudain sa main se pose sur mon bras pour l’arrêter. Je le regarde et dès cet instant je sais que j’appartiens à cette homme. Je sais dans le même temps que je vais devoir le partager. »
Comme il avait été convenu entre elle, Violette sera la première femme de l’homme puisque c’est sur elle qu’il a posé la main. Mais malgré l’amour qu’elle va ressentir pour lui, fidèle à son engagement, elle va le partager et il deviendra l’homme de toutes. Dans la tête de l’homme c’est elle seule qu’il aime.
Ce court récit écrit en 1919 nous présente ce fait historique bien connu en Provence. Violette Ailhaud nous le raconte avec un ton d’une liberté peu commune à l’époque. Ce récit est un témoignage contre la répression, pour la République, une mise en valeur du désir féminin. Ce très beau texte d’une trentaine de pages est plein du souffle du mistral, il est emmaillé de termes provençaux qui le rendent encore plus poétique. Il nous montre des femmes qui prennent en main leur destin, qui assurent la survie du village et attachent une grande importance à la satisfaction de leur désir. Un superbe récit à lire absolument.
Voici ce que Violette Ailhaud écrit dans sa préface en 1919 :
« Pour nous les femmes, il n’y a pas victoire mais vide et je joins mes larmes à celles de toutes les femmes allemandes ou françaises qui errent dans leur maison sans homme. Je pleure ces bras perdus faits pour nous serrer et renverser les brebis lors de la tonte. Je pleure ces mains fauchées faites pour nous caresser et tenir la faux pendant des heures. J’avais 16 ans en 1851, 35 en 1870 et 84 aujourd’hui. A chaque fois, la République nous a fauché nos hommes comme on fauche les blés. C’était un travail propre. Mais nos ventres, notre terre à nous les femmes, n’ont plus donné de récolte. A tant faucher les hommes, c’est la semence qui a manqué. »
Un grand merci à Martial Victorain de m'avoir fait découvrir ce petit bijou.
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