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Paris-Alger-Ravensbrück. Trois lieux pour retracer l'existence d'Yvonne Bellot, née Yvonne Brunel-Neuville, dite « Yo Laur », fille d'artiste, artiste elle-même et arrière-grand-tante auréolée de mystère de l'auteure et narratrice de ce livre.
Enfant douée dans l'ombre de son père, élève talentueuse en quête de modernité, observatrice singulière dans la casbah d'Alger, Yo Laur fut tout cela, et aussi une épouse toquée de son homme, une frondeuse, une aventurière... jamais une mère. Elle a traversé des décennies de progrès, de beauté et de sauvagerie mêlés, défié les normes de son genre, croisé les légendes, de Gertrude Stein à Charles Nungesser, vécu comme elle l'entendait avant de s'éteindre parmi les femmes et les enfants du camp où elle fut déportée.
En reconstituant le puzzle familial à l'aide des pièces d'archives et de son imagination, Marie Charrel a tenu le pari d'éloigner sa peintre des ténèbres de l'oubli. Au-delà du témoignage sur cette femme exceptionnelle, se font écho, à cent ans d'écart, deux existences qui résonnent d'un même désir : vaincre la nuit pour vivre libre.
Telle une détective, Marie CHARREL livre avec ferveur des recherches en vue d’ exhumer les secrets de la vie d’une arrière-grand-tante, Yvonne Bellot, née Brunel-Neuville, artiste, peintre d’un “petit tableau de rien du tout”, secrets qui planent comme un voile sur l’identité même de l’auteur.
Aussi, ce roman pourrait-il se résumer à une quête identitaire. Cependant, si cela constitue la toile de fond, l’auteur conduit le lecteur à travers le temps (de 1879 à 1944) de Paris à Ravensbrück en passant par Alger, avec une force de conviction à la hauteur de ses recherches et ...découvertes. Ensemble, nous traversons le contexte social et historique dans lequel une femme artiste s’est démenée pour franchir les barrières du conformisme de la fin du XIXème siècle.
Le roman se mue parfois en documentaire pour retracer notamment l’évolution de la peinture, l’arrivée de l’impressionnisme et de ses futurs grands hommes, le sexisme, la pudeur excessive et tous les tabous contre lesquels Yvonne Bellot dite “Yo Laur” s’est érigée en frondeuse pour assouvir sa passion artistique, passion qu’elle brandira à plusieurs occasions comme une arme pour défendre les valeurs qu’elle a revendiquées tout au long de sa vie jusqu’à sa fin tragique.
Marie CHARREL a construit ce roman en alternant les notes laissées par Yo Laur, jusqu’alors ignorées, à partir de témoignages recueillis et de précieux messages, de voyages sur les traces du passé, agrémenté de son imagination. Le tout constitue une oeuvre très riche où se succèdent chapitres émouvants et passages plus descriptifs, sous une plume très soignée. S’il m’est parfois arrivé de regretter un style plutôt journalistique, il est dû aux nombreuses références historiques, littéraires et artistiques qui ont le grand intérêt de situer précisément l’oeuvre et le destin de Yo Laur dans le contexte d’une époque. Cet aspect n’empêche pas la force émotionnelle d’un roman difficile à refermer.
Dans quelle proportion l’imaginaire empiète-t-il sur la vérité? Marie CHARREL avec beaucoup de talent nous a ouvert les voies de son enquête pour rejoindre le destin de Yo Laur à l’aide de ses références bibliographiques, invitant même le lecteur à poursuivre.
Enfin, j’ai envie d’ajouter une note particulière sur cette lecture, une réflexion personnelle tant ce roman m’a rappelé Charlotte SALOMON, héroïne du roman de David Foenkinos, ou l’oeuvre inachevée de l’écrivaine Irène NEMIROVSKY. Dans ces trois cas, ce sont trois destins de femmes artistes, trois talents mort-nés sur l’autel de l’antisémitisme, qui ont contribué au développement de l’art dans notre pays.
S'il est des livres qui ne sont pas gâtés par leur couverture , c'est bien celui-ci !
Sa couverture n'a rien d'attirant.
De couleur « layette », elle est fade . Un comble pour présenter une artiste, peintre de la couleur ! Son illustration mièvre est loin de suggérer l'esprit d'aventurière et de pionnière de son personnage. Ce puissant roman qui rend hommage à une peintre peu connue, qui lui redonne vie et qui nous plonge dans l'intense vie artistique au tournant du 19e et du 20e siècle, peut passer inaperçu sur un présentoir de bibliothèque...... Quel dommage !
Son beau titre en forme de déclaration caractérise la démarche commune à l'auteur et à son personnage .
Si Marie Charrel compose ce roman qui relate le parcours artistique et humain de son arrière grand-tante Yvonne Brunel-Neuville (1879- 1943), c'est pour que éviter à celle-ci, peintre méconnue mais talentueuse , « de rejoindre le grand néant du silence »
Le silence d'abord au sein de sa famille, celui qui se traduit par un sourire un peu gêné quand Marie Charrel interroge ceux qui ont pu la connaître ou en entendre parler par leurs propres parents. Car c'est une véritable enquête, un travail de fourmi qu' elle entreprend, consultant des archives, croisant les informations pour parvenir au bout de plusieurs années à établir le parcours de peintre et d'épouse que l'artiste a mené tout au long des 64 années de sa vie, de Paris à Alger puis à Ravensbrûck.
Vaincre la nuit, ce fut aussi le combat de cette artiste.
Il fallait du courage et de l'audace pour percer dans le milieu de la peinture à la fin du 19e siècle quand on était une femme. Impossible de fréquenter l'académie des Beaux Arts réservée aux hommes !
Et pourtant elle en avait, du talent ! Elle était née avec « un pinceau entre les doigts » ; celui que lui glissa très tôt son père, le peintre connu Alfred-Arthur Brunet-Neuville, devenu son maître qui lui apprit tout de la technique picturale. Elle peignait dans son ombre, leurs tableaux paraissaient interchangeables .
Pour devenir elle-même, il lui fallut se libérer de « l'omniprésence paternelle », d'abord en signant ses toiles du pseudonyme de Yo Laure ( ce Yo espagnol qui traduit la revendication d'une action), puis en s'affranchissant des sujets, des couleurs des tableaux de sa première période, celle où l'empreinte de la touche paternelle étouffait sa créativité.
Partie à Alger avec son époux elle chercha dans ses toiles à percer le secret de la lumière, son alchimie, son alliance étrange avec le soleil de ce pays.
Vaincre la nuit, ce fut enfin ce qu'elle accomplit lorsque, déportée à Ravensbrück, elle ne cessa par ses dessins tracés clandestinement sur de simples morceaux de papier de rendre compte des conditions horribles de la vie au camp.
« Le dessin est une résistance ». Ses croquis racontent ce que les mots ne peuvent dire, témoignent de la solidarité entre ses compagnes de l'ombre, « les vieilles de Ravensbrück », redonnent vie à ces « fantômes délaissés » dont Marie Charrel égrène les noms et apportent de « la dignité au cœur de l'enfer »
L'ouvrage est constitué d'une alternance de chapitres dans lesquels l'auteur explique les démarches qui lui ont permis de s'informer, et de chapitres, le plus souvent datés, dans lesquels, par une sorte de journal imaginaire, elle se glisse dans tête de son personnage, lui donne la parole et lui confie le soin de raconter et de commenter sa vie.
Ce travail de création littéraire permet à Marie Charrel de revendiquer, dans un avertissement préliminaire, l'appellation « œuvre de fiction » pour ce livre. Une fiction particulièrement documentée comme en témoigne la longue liste des ouvrages sur lesquels elle s'est appuyée pour recréer la vie artistique de la fin du 19e siècle .
« Yo Laur n'est pas une grande peintre. C'est une femme libre. Une audacieuse. Est-elle dans la transgression ? Oui. Elle a renoncé à une vie facile , tracée par le père , pour plonger dans l'inconnu. Yo Laur était une pionnière. Il convient de dresser des statues aux femmes comme elle. »
Lu dans le cadre de la Rentrée Littéraire Cultura
L’auteur, journaliste au monde, fait le pari d’extraire des ténèbres « Yo Laur » pseudonyme de son arrière grand-tante en reconstituant son histoire s’étendant de Paris à Alger pour se finir à Ravensbrück, alors qu’elle n’était pas d’origine juive.
Dans le cadre des lectures de la rentrée, je lis pour Cultura, les épreuves non corrigées. Il faut en tenir compte dans le ressenti que je peux avoir.
Pour moi la première partie, devrait être recentrée sur le pourquoi Marie Charrel veut « ressusciter » Yo Laur, plus de ressenti aurait été bienvenu. L’aspect très positif a été de mettre l’accent sur les difficultés de recherche. A l’ère du tout informatique, on pourrait croire que c’est facile mais pas du tout. J’ai aimé les méandres par lesquels l’auteur doit passer.
Le lecteur peut penser que ces premières pages sont touffues, mais il doit vraiment continuer, car Yo Laur va nous apprendre beaucoup de choses sur la place des femmes et des artistes femmes à l’époque.
Dans la deuxième partie Yo Laur s’affranchit de la routine parisienne et cherche la vraie Yo Laur, pas la peintre qui est la succession de son artiste de père.
Une femme en devenir et une artiste à réinventer…
A Alger, la bataille est rude pour arriver peindre la vérité et ne pas continuer à représenter les fantasmes des hommes occidentaux :
« - Si toutes les Algériennes réagissent comme vous, je ne peindrai jamais de vraies femmes du pays.
- Parce que tu imagines en trouver à Alger ? Elles ne sont pas ici.
- Alors où sont-elles ?
- Loin. Là où les Français ne vont jamais.
- Emmène-moi.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne veux plus peindre de babioles imaginaires aux oreilles des filles. »
En filigrane, souffle l’esprit d’Assia Djebar même si cette dernière est née plus de cinquante années après Yo, qui mieux que cet écrivain pourrait nous éclairer sur l’Algérie et nous faire comprendre que Yo Laur fut une pionnière.
A côté de son époux aviateur, elle sait allier sa vie d’artiste peintre, d’épouse et de femme toujours dans le mouvement de la vie.
Ce n’est pas une contemplative.
Et puis le lecteur arrive à la dernière partie : Ravensbrück. Mais qu’est-ce qui a pu la conduire là ?
Un mystère que l’auteur nous fait partager lorsque le hasard lui permet de se plonger dans les dessins de Yo Laur qui n’a de cesse de montrer ce quotidien monstrueux.
Il n’y a pas de mots pour décrire le quotidien de ces femmes et de celles que l’on nommait « les vieilles ».
Par quel miracle le témoignage dessiné de Yo Laur a-t-il survécu, difficile à dire de façon claire.
Une chose est certaine c’est que Marie Charrel est immergé dans tout cela, et qu’elle n’en a pas terminé avec cette histoire. Elle doit être hantée par ce destin hors du commun et en même temps le destin collectif de cette femme qui n’aurait pas dû se trouver là. Cette partie de l’histoire est une traversée dans ce que chacune de ces femmes a essayé de laisser, des traces de leur passage, elles ont tenu avec pour seule énergie celle de revoir un mari, un fils…
« On achève bien les femmes, ici. Sous un ciel crayeux, indifférent, on les tue. »
J’ai envie de terminer ma recension en laissant la parole à Yo Laure. J’ai une pensée émue pour l’auteur qui a accompli une mission extraordinaire.
Chantal Lafon-Litteratum Amor 23 août 2017
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