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INTRODUCTION: En France, le souvenir douloureux des violences commises par
l'occupant allemand dans les « années noires » est un chapitre central de la
mémoire collective. Pourtant, pour peu que l'on parte à la recherche d'ouvrages
scientifiques traitant de la politique de « maintien de l'ordre et de la
sécurité » conduite en France par les autorités allemandes entre 1940 et 1944,
on se heurtera à un vide historiographique surprenant. Tout au plus trouvera-t-
on quelques travaux consacrés aux crimes de la Gestapo, mais rien, ou si peu,
concernant le rôle essentiel joué dans ce domaine par l'appareil militaire
d'occupation. Pourquoi réexaminer la politique de « maintien de l'ordre et de
la sécurité » du MBF ? Or, lLe Militärbefehlshaber in Frankreich (Commandant
Militaire en France, MBF) constitue la pièce centrale du système d'occupation
allemand en France. Jusqu'en juin 1942, il dispose , dans le territoire de son
ressort, du monopole du « pouvoir exécutif » (vollziehende Gewalt). Sa mise en
place répondait à un souhait du Haut-Commandement de l'Armée de Terre (OKH) qui
considérait qu'en Pologne, l'installation d'une administration civile
d'occupation avait sapé l'autorité des militaires, dont la réputation aurait
par ailleurs été compromise par les agissements des groupes d'intervention de
la Sipo-SD (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police de sûreté et
services de renseignements du NSDAP). L'OKH put ainsi obtenir de Hitler, en
octobre 1939, que les territoires de l'Ouest dont l'occupation était d'abord
envisagée pour des raisons militaires, soient soumis à une « administration
militaire » qui exercerait seule les « droits de la puissance occupante ».
Aucun organe de police autre que militaire ne devait pouvoir franchir les
frontières allemandes à la suite des unités combattantes. Le
Militärbefehlshaber in Frankreich (Commandant Militaire en France, MBF)
constitue la pièce centrale du système d'occupation allemand en France.
Installé à Paris à l'hôtel Majestic situé avenue Kléber, le MBF , qui ne
possède pas d'attributions en matière d'opérations militaires et qui ne dispose
que de quelques troupes d'occupation, s'apparente plutôt à un gouverneur
militaire. Jusqu'en juin 1942, il dispose, dans le territoire de son ressort,
du monopole du « pouvoir exécutif » (vollziehende Gewalt). Cinq généraux se
succèdent à la tête de l'administration militaire au cours de l'occupation.
Après le très bref passage du général d'armée Blaskowitz à la tête de
l'administration militaire allemande, en tant que Commandant Militaire Allemand
en France, c'est le général d'infanterie Alfred Streccius qui prend le relais
du 30 juin au 25 octobre 1940. Il est nommé Chef de l'administration militaire
cependant que le maréchal von Brauchitsch, chef de l'OKH, conserve le titre de
Commandant Militaire Allemand en France et avec lui l'autorité d'ensemble, afin
de préserver les pouvoirs de l'exécutif militaire des prétentions des autres
instances du Reich. Lorsqu'à la fin du mois d'octobre l'OKH quitte
Fontainebleau pour réintégrer son quartier général près de Berlin, Brauchitsch
nomme à Paris un Commandant Militaire Allemand en France, pour renforcer la
position de l'administration militaire. Réputé trop faible, disposant des
pouvoirs mais non du rang d'un commandant en chef, le Chef de l'Administration
Militaire von Streccius est ainsi remplacé par le général d'infanterie Otto von
Stülpnagel, jusqu'ici Général Commandant-adjoint de la XVIIè région militaire à
Vienne, à la réputation plus énergique malgré ses soixante et un ans, et à qui
l'on octroie le rang de Commandant Militaire en France. Il quitte
volontairement ses fonctions à la suite d'un différend avec Berlin sur la
conception de la politique répressive en France. C'est son cousin, le général
d'infanterie Carl-Heinrich von Stülpnagel, qui le 20 février 1942 reprend son
poste. Ancien Chef du Grand Quartier II à l'État-major de l'Armée puis Chef du
Grand Quartier I avant-guerre, il commandait le IIè Corps d'Armée au cours de
la campagne de France et assuma à la fin du mois de juin 1940 la présidence de
la Commission Allemande d'Armistice à Wiesbaden, avant de prendre le
commandement de la 17è Armée en Biélorussie, de février à novembre 1941.
Condamné à mort et exécuté pour avoir participé au coup d'État manqué contre
Hitler le 20 juillet 1944, il laisse sa place à Paris au général d'aviation
Kitzinger, ancien Commandant de la Wehrmacht en Ukraine, qui prend ses
fonctions le 22 juillet 1944 et se maintient jusqu'à la retraite allemande.
Chef en titre du pouvoir suprême allemand, et par conséquent seul responsable
du « maintien de l'ordre et de la sécurité » en France occupée, le MBF sera
pourtant très rapidement concurrencé par une multitude d'instances allemandes
indépendantes qui implantent leurs services en France et cherchent à court-
circuiter son autorité exécutive. Il en résulte immédiatement de multiples
imbrications et conflits de compétences. Le tournant décisif intervient en juin
1942, avec la mise en place d'un Chef supérieur de la SS et de la police en
France (Höherer SS und Polizeiführer, HSSPF), auquel sont confiées les tâches
de police relevant jusqu'ici de la compétence du MBF. Doit-on pour autant
imputer l'escalade des violences allemandes commises en France au nom du
« maintien de l'ordre et de la sécurité », aux seuls représentants de la Sipo-
SD ? (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police de sûreté et services de
renseignements du NSDAP), voire à ceux de l'ambassade allemande à Paris ? C'est
cette vision que la Mémoire du MBF tend à imposer, en sous-estimant les
responsabilités de l'appareil militaire d'occupation dans l'élaboration de la
politique répressive allemande. Les vicissitudes qui ont jalonné l'histoire de
la mémoire des « années noires », en France comme en Allemagne, ont en effet
largement préservé l'image aseptisée que l'appareil militaire d'occupation
avait tenu à donner de lui-même dès la fin de la guerre. Ainsi, sur la foi d'un
ordre de Hitler dont on ne trouve pourtant aucune trace dans les archives -
celui de procéder à l'exécution de 100 otages au lendemain de l'assassinat de
l'aspirant de marine Alfons Moser - on continue encore souvent à attribuer la
paternité du recours aux exécutions d'otages aux seules instances dirigeantes
de Berlin et à minimiser, voire à occulter, les initiatives prises à ce sujet
par l'appareil militaire allemand en France. A ce jour, rien ne permet non plus
d'étayer la thèse toujours en vogue selon laquelle la suggestion faite par le
MBF, début décembre 1941, d'assortir l'exécution de 100 otages de l'annonce de
déportations massives de Juifs et de communistes ait répondu à un ordre de
Hitler, exigeant l'exécution de 300 otages en représailles de nouveaux
attentats. Des sources à la fois pléthoriques et lacunaires. Le problème
central d'un travail sur la politique de « maintien de l'ordre et de la
sécurité » du MBF réside tout autant dans la multitude d'archives à exploiter
que dans les lacunes qu'elles présentent. On se situe là au coeur d'un des plus
curieux paradoxes de la recherche historique: malgré l'immense volume
d'archives consultables, faire l'histoire du IIIème Reich ou du nazisme c'est,
pour reprendre l'expression chère à F. Brayard, faire « une histoire sans
archives ». L'administration militaire allemande mise en place par l'occupant
de 1940 à 1944 a produit, dans son fonctionnement quotidien, une masse
d'archives considérable. Parmi ces documents, beaucoup ont disparu, d'autres
ont été dispersés sans qu'il ait été possible pendant longtemps de les
localiser avec précision. La plupart des archives intéressant les activités de
la Feldgendarmerie, de la Geheime Feldpolizei et de l'Abwehr en France, ou
encore les opérations « militaro-policières » conduites contre les maquis
durant la dernière année d'occupation, restent notamment introuvables. Les
archives allemandes exploitables intéressant la « politique de maintien de
l'ordre et de la sécurité » du MBF n'en demeurent pas moins imposantes. Si ces
documents, de nature exclusivement administrative, et qui sont à ce titre le
premier témoin de l'activité de l'appareil militaire d'occupation, ne disent
pas forcément tout de la réalité de la politique de « maintien de l'ordre et de
la sécurité » du MBF, ils révèlent néanmoins son intentionnalité, se font
l'écho de son évolution, traduisent la perception que les hommes du Majestic
avaient de son efficacité, mettent en lumière les forces en présence et les
systèmes de représentation qui présidèrent à sa conception et à sa mise en
oeuvre, et témoignent enfin des forces d'inertie et des facteurs de
radicalisation qui la façonnèrent. La consultation des archives produites
pendant l'Occupation par les services du MBF a été complétée par le
dépouillement de sources rassemblées, d'abord par les Alliés, puis, sous
l'égide de la Zentralstelle der Landesjustizverwaltungen de Ludwigsburg, par
l'Allemagne, dans le cadre de procédures judiciaires engagées après-guerre
contre des Allemands impliqués dans les crimes du Troisième Reich. Associés à
la lecture des nombreux écrits rétrospectifs publiés ou déposés par d'anciens
représentants du MBF aux Archives fédérales, ces documents fournissent des
renseignements précieux sur le parcours des hommes du Majestic, mais bien moins
sur la nature de leurs responsabilités au sein de l'administration militaire
que sur les discours d'auto-légitimation qu'ils tinrent après-guerre, et qui
contribuèrent à forger l'image d'une occupation militaire allemande
« convenable » en France. Le MBF s'insérant dans un système complexe de
rapports de force au sein de l'appareil d'occupation allemand, nous avons par
ailleurs cherché à confronter, lorsque c'était possible, les documents produits
par le Majestic à ceux produits par d'autres instances allemandes impliquées,
de près ou de loin, dans le « maintien de l'ordre et de la sécurité » en France
occupée. Enfin, nous avons consulté, de façon ponctuelle, un certain nombre
d'archives produites par les départements ministériels français directement
concernés par la politique « sécuritaire » du MBF, afin d'essayer d'appréhender
de plus près la dimension dialectique des relations entretenues par les
services du MBF avec l'appareil administratif français, et d'étudier notamment
les réactions de celui-ci face aux stratégies mises en oeuvre par le MBF, tout
comme l'éventuel impact de ces réactions sur l'orientation des mesures
allemandes. L'intérêt de notre recherche ne tient pas, principalement, au
caractère inédit des archives consultées. En effet, nombre d'entre elles
avaient été exploitées, par d'autres, avant nous. Elles n'avaient cependant pas
été interrogées sous l'angle que nous avons choisi pour les examiner, et
méritaient, par conséquent, d'être revisitées et croisées. En les articulant
avec certains fonds jusqu'ici inexplorés, qui nous ont notamment permis
d'aborder la répression judiciaire allemande, nous avons par ailleurs été
conduite à les éclairer d'un jour nouveau. Le volume de la documentation
consultée ne doit pas masquer l'incomplétude de la recherche effectuée dans les
archives, du côté français notamment. Ainsi, il aurait probablement été
intéressant d'approfondir l'enquête dans les archives des ministères français
de la Justice et de l'Intérieur. La consultation des archives de la Préfecture
de police de Paris aurait, d'autre part, certainement permis de compléter le
tableau. Au delà des difficultés, certes moins contraignantes aujourd'hui
qu'auparavant, pour qui désire y avoir accès, nous y avons renoncé pour des
raisons tenant avant tout à l'orientation que nous avons choisi de donner à
notre objet d'étude, parti pris qui nous a amenée à privilégier délibérément
les sources allemandes, déjà très abondantes. On nous reprochera peut-être
d'avoir cherché à faire une histoire de la politique « sécuritaire », et plus
spécifiquement de la politique répressive du MBF, fondée essentiellement sur
les outils et les acteurs de la répression, délaissant donc ses victimes et
plus généralement la manière dont elle fut perçue du côté français. Le fait est
que l'histoire des victimes de la répression allemande n'est plus à faire,
qu'elle a en tout cas déjà fait l'objet de nombreuses études, et qu'il nous a
paru indispensable de prendre nos distances avec la perspective franco-
française adoptée le plus souvent par l'historiographie relative à Vichy et à
la Résistance. Mais il nous a semblé surtout qu'il importait moins, pour faire
l'histoire de la politique de « maintien de l'ordre et de la sécurité » du MBF,
de cerner, dans toute sa complexité, la réalité et l'importance objective du
fait résistant ou de la collaboration - pour ne reprendre que deux exemples -,
que d'appréhender la perception que l'appareil militaire d'occupation pouvait
en avoir. Elle seule permet, en effet, de saisir les fondements de la stratégie
« sécuritaire » du MBF et de comprendre les ressorts de sa radicalisation. La
politique de « maintien de l'ordre et de la sécurité » du MBF, entre
répression, pression et séduction. L'analyse des pratiques répressives du MBF,
lorsqu'elle est abordée par les historiens, se focalise généralement sur la
question des représailles collectives, et plus précisément sur le conflit qui a
effectivement opposé le MBF aux instances centrales de Berlin, en ce qui
concerne la politique des exécutions d'otages. Ce conflit mérite certes une
attention particulière. Contrairement à ce qu'on écrit encore parfois, la
résistance du MBF face aux exécutions massives était en effet essentiellement
motivée par des considérations pragmatiques, et non éthiques. En outre, la
position adoptée par les services du MBF à ce sujet fut loin d'être
monolithique, et elle s'avéra souvent fluctuante. Ainsi, c'est à l'initiative
de l'appareil militaire allemand, sans pression de Berlin, que fut instaurée la
pratique des exécutions d'otages, pratique qui prit une ampleur bien plus
importante que dans les autres pays occupés d'Europe du Nord et de l'Ouest.
Mais surtout, ce conflit doit être réexaminé à la lumière des multiples
facettes de la politique répressive du MBF, généralement négligées, alors
qu'elles sont inséparables et indispensables pour en comprendre les
implications et évaluer les responsabilités du MBF dans l'escalade répressive
allemande en France occupée. Le rejet des exécutions massives d'otages
intervient, en effet, on le sait, dans le processus de décision qui mène au
déclenchement de la « Solution Finale » en France, mais coïncide aussi avec
l'intensification de la répression policière et judiciaire allemande, ou encore
avec la multiplication des ingérences allemandes dans la politique répressive
française, autant de questions restées à ce jour largement inexplorées.
Surtout, au concept de « politique répressive allemande », nous avons préféré
celui de « politique de maintien de l'ordre et de la sécurité », moins
restrictif. La répression des Résistances, conduite par l'appareil militaire
d'occupation, participe en effet d'une stratégie plus globale de « maintien de
l'ordre et de la sécurité » (Aufrechterhaltung der Ordnung und der Sicherheit),
mise en avant de façon récurrente par les hommes du Majestic. Outre les mesures
exclusivement répressives décidées par le MBF, cette stratégie ayant pour
objectif de juguler toute forme d'opposition à la puissance occupante inclut en
effet : la surveillance et l'orientation de l'appareil administratif et
répressif français tout comme le contrôle et la « mise au pas » de la vie
publique française. Les services du MBF n'entendent pas, en effet, assumer
seuls l'ordre et la sécurité dans le territoire de leur ressort, préférant,
autant que possible, s'en remettre aux autorités françaises: d'abord parce
qu'ils n'ont pas les moyens d'agir autrement, ensuite parce qu'aux termes de la
Convention d'armistice, la collaboration administrative du gouvernement
français leur est acquise. L'objet de cet ouvrage est donc une tentative
d'histoire globale de la politique de « maintien de l'ordre et de la sécurité »
du MBF qui interroge, en somme, l'ensemble des ressorts de la politique
« sécuritaire » du MBF - qu'elle se présente comme « préventive » ou
« répressive » -, et intègre, dans une même approche, les différentes formes de
lutte contre les troubles à l'ordre et à la sécurité imputables à des
manifestations anti-allemandes, que ces actions aient été directement menées
par le MBF ou, sous sa houlette, par Vichy. Il s'agira d'abord d'identifier les
acteurs institutionnels de la politique de « maintien de l'ordre et de la
sécurité » au sein du MBF, et de s'interroger sur la réalité du monopole qu'ils
exercent en la matière dans l'appareil d'occupation. Quelle est, dans ce
domaine, la répartition des forces pendant l'Occupation, et comment évolue-t-
elle ? Le pouvoir de décision appartient-il aux militaires, à la police, ou aux
diplomates ? Comment interpréter les tensions qui les opposent à ce sujet ? Ces
conflits s'expriment-ils de la même manière à tous les échelons géographiques ?
Relèvent-ils de désaccords de fond, de divergences de méthodes, et/ou de luttes
d'influences ? Dans quelle mesure ont-ils influé sur la politique
« sécuritaire » mise en oeuvre par le MBF ? Ont-ils freiné ou accéléré la
répression, les persécutions ? L'Occupation allemande ne fut-elle qu'un chaos
polycratique, ou bien les différents services impliqués de près ou de loin dans
le « maintien de l'ordre et de la sécurité » travaillèrent-ils de concert ? La
responsabilité de la répression et de la persécution incombe-t-elle davantage
aux Allemands ou aux Français ? Et qui, des Allemands ou des français, est à
l'origine de quoi ? On s'interrogera par ailleurs sur les fondements de la
politique de « maintien de l'ordre et de la sécurité » du MBF. Quels systèmes
de représentations politiques et culturelles déterminent, en amont, la
stratégie « sécuritaire » de l'appareil militaire d'occupation ? Comment la
perception du cadre juridique de l'occupation, ou celle de l'évolution de
l'opinion publique, de la Résistance et de la collaboration, agissent-elles sur
les pratiques « sécuritaires » des hommes du Majestic ? En quoi une
administration militaire conçue comme une « administration de surveillance »
chevillée à l'appareil administratif français consiste-t-elle et comment
fonctionne-t-elle ? Quelles en sont les limites, alors que les immixtions dans
l'administration française, policière et judiciaire notamment, deviennent
progressivement de plus en plus flagrantes ? Dans quelle mesure les réactions
françaises, et notamment celles de Vichy, à la politique « sécuritaire » mise
en oeuvre par le MBF, sont-elles prises en compte par ses concepteurs et les
influencent-elles ? On s'intéressera naturellement aux multiples facettes de la
politique « sécuritaire » élaborée et mise en oeuvre par le MBF, et à leur
évolution. Peu étudiée, la politique de « maintien de l'ordre et de la
sécurité » conduite par le MBF au cours de la première année d'occupation, fera
l'objet d'un examen attentif. On essaiera, plus largement, d'apprécier, autant
que possible, la participation du MBF tout comme celle des unités et des
services placés sous son commandement, aux missions de « maintien de l'ordre et
de la sécurité », avant et après la mise en place d'un HSSPF en France. Le
transfert des pouvoirs de police à la Sipo-SD, en juin 1942, marque-t-il un
changement brutal dans l'histoire de la politique répressive allemande ?
Assiste-t-on, dès lors, à un effacement rapide et définitif de l'appareil
militaire d'occupation pour tout ce qui concerne le « maintien de l'ordre et de
la sécurité » en France occupée ? Dans ce domaine, les rapports de force au
sein de l'appareil d'occupation restent-ils identiques après l'invasion de la
zone Sud, le renforcement de la résistance armée dans la seconde moitié de
l'année 1943, et les débarquements alliés en 1944, et si non, dans quel sens
évoluent-ils ? On procèdera donc à une étude conjuguée des différentes formes
de lutte contre les Résistances et, plus largement, contre tout ce qui, aux
yeux de l'occupant, constitue des facteurs de troubles à l'ordre public et à la
sécurité des troupes allemandes imputables à des manifestations d'hostilité à
la puissance occupante. Parmi ces formes de lutte, certaines, notamment les
représailles massives, ont déjà fait l'objet d'études approfondies. Elles
méritent pourtant, nous semble-t-il, d'être réexaminées dans une perspective
élargie, et surtout d'être articulées avec d'autres, encore largement
inexplorées, comme la répression judiciaire exercée par les tribunaux
militaires allemands pendant toute la durée de l'Occupation, ou les opérations
« militaro-policières » conduites contre les foyers de Résistance durant la
dernière année d'occupation. Gaëlle EismannOn reviendra revient par ailleurs
sur la manière dont le traitement de la « question juive » s'insère dans la
politique de « maintien de l'ordre et de la sécurité » du MBF. Comment s'opère
le glissement qui conduit de la répression de la Résistance à la déportation
des Juifs ? Le lien qu'établit le MBF entre sa stratégie de lutte contre les
Résistances et sa politique anti-juive relève-t-il d'une simple logique de
légitimation de la persécution ? Le MBF a-t-il freiné les initiatives d'autres
instances allemandes chargées de la « question juive », les a-t-il cautionnées
passivement, ou a-t-il joué un rôle moteur, voire accélérateur dans la mise en
oeuvre de la « Solution Finale» en France occupée ? Comment s'articule, au sein
du MBF, le « traitement de la question juive » ? Quelles positions les
différents services du MBF adoptent-ils à ce sujet, aux différents échelons
territoriaux ? On s'interrogera enfin sur les mécanismes de radicalisation qui
présidèrent, au sein du MBF, à l'escalade des violences allemandes commises en
France pendant l'Occupation. Est-ce une « violence immanente au pouvoir nazi »,
est-ce le déclenchement des attentats contre des soldats allemands en France
ou, en amont, l'invasion de l'URSS, qui provoquent, dès la seconde moitié de
l'année 1941, un durcissement brutal mais idéologiquement ciblé de la stratégie
répressive du MBF ? Quel rôle jouent, dans ce cadre, les luttes d'influences au
sein de l'appareil d'occupation, ou encore, à un niveau supérieur,
l'affaiblissement de l'état-major de l'Armée de Terre ? Comment s'opère, en
décembre 1941, l'évolution d'une répression qui, depuis le mois de septembre
1941, touchait en premier lieu les communistes, et qui s'en prend dès lors
également publiquement aux Juifs ? Comment s'intègre, dans ce cadre, la
répression du « mouvement anglo-gaulliste », identifié comme tel par l'occupant
dès la fin de l'année 1940 ? À qui doit-on la nouvelle escalade des violences
allemandes commises en France durant la dernière année d'occupation et quels
sont les mécanismes de brutalisation des comportements qui se développèrent
alors ? Le but de cet ouvrage est donc de mettre en relief le rôle joué par
l'appareil d'occupation du MBF dans l'élaboration d'une stratégie globale de
« maintien de l'ordre et de la sécurité », oscillant entre séduction, pression
et répression, pour juguler toute forme d'opposition à la puissance occupante.
Gaëlle Eismann est Maître de conférences en Histoire Contemporaine à
l'Université de Caen et enseignant-chercheur au CRHQ. Elle a dirigé l'ouvrage
Occupation et répression militaire allemande (Éd. Autrement, 2006) et participé
à de nombreux ouvrages collectifs, en particulier au Dictionnaire historique de
la Résistance et de la France libre (coll. Bouquins, Robert Laffont, 2006). Cet
ouvrage est le fruit d'une thèse de doctorat... publiée en intégralité sur le
site de l'éditeur et consultable gratuitement. * L'autorité du MBF, ne s'exerce
pas sur l'ensemble du territoire occupé français. Au Sud-Est, les Italiens ont
obtenu une zone d'occupation frontalière, limitrophe de leur propre territoire.
Les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont rattachés à l'administration
militaire allemande de Bruxelles. Enfin, l'Alsace-Lorraine est annexée, de
facto, au Reich. Le territoire du ressort du MBF qui définit le cadre
géographique de cet ouvrage couvre donc, dans la première phase de
l'Occupation, un peu moins de 283 000 km2 rassemblant environ 23 millions
d'habitants, avant de s'étendre progressivement, mais partiellement seulement,
à la zone Sud, après son invasion par les troupes allemandes en novembre 1942.
Cette zone d'occupation principale, qu'on nommera généralement, par commodité
de langage, zone Nord ou zone occupée, est elle-même traversée par une ligne de
démarcation. En son sein, une « zone interdite » - située au Nord d'une ligne
allant de l'estuaire de la Somme jusqu'au Jura - a en effet été isolées et
fermées au passage comme au retour des personnes qui avaient fui les combats
pendant l'été 1940. On se reportera à la carte figurant p. * (Annexe 1.1.) Le
terme désigne à la fois le Commandant militaire en France et l'ensemble des
services qui lui sont rattachés. La remarque s'applique, sauf mention spéciale,
à l'ensemble de l'ouvrage. Pour une vue synthétique de l'organisation et des
prérogatives du MBF et de son appareil militaire et administratif, cf. NIELEN,
2002: 11-39. L'autorité du MBF, ne s'exerce pas sur l'ensemble du territoire
occupé français. Au Sud-Est, les Italiens ont obtenu une zone d'occupation
frontalière, limitrophe de leur propre territoire. Les départements du Nord et
du Pas-de-Calais sont rattachés à l'administration militaire allemande de
Bruxelles. Enfin, l'Alsace-Lorraine est annexée, de facto, au Reich. Le
territoire du ressort du MBF qui définit le cadre géographique de cet ouvrage
couvre donc, dans la première phase de l'Occupation, un peu moins de 283 000
km2 rassemblant environ 23 millions d'habitants, avant de s'étendre
progressivement, mais partiellement seulement, à la zone Sud, après son
invasion par les troupes allemandes en novembre 1942. Cette zone d'occupation
principale, qu'on nommera généralement, par commodité de langage, zone Nord ou
zone occupée, est elle-même traversée par une ligne de démarcation. En son
sein, une « zone interdite » - située au Nord d'une ligne allant de l'estuaire
de la Somme jusqu'au Jura - a en effet été isolées et fermées au passage comme
au retour des personnes qui avaient fui les combats pendant l'été 1940. On se
reportera à la carte figurant p. * (Annexe 1.1.) Les antennes du RSHA
(Reichssicherheitshauptamt, Office central de sécurité du Reich) portent à
l'étranger le nom de Sipo-SD. Elles rassemblent la Gestapo (Geheime
Staatspolizei) proprement dite (police secrète d'État) qui lutte contre les
« ennemis idéologiques du régime », la Kripo (Kriminalpolizei, police
judiciaire) et le SD (Sicherheitsdienst, service de sécurité et de
renseignements de la SS). Les deux polices, Gestapo et Kripo, sont réunies sous
le terme de Sipo (Sicherheitspolizei, police de sûreté). BRAYARD, 2000: *
Organisme chargé de coordonner la poursuite judiciaire des crimes commis sous
le Troisième Reich. Les agissements des forces opérationnelles de la Wehrmacht
directement subordonnées à l'Oberbefehlshaber West n'entrent pas, en revanche,
dans notre champ d'analyse. MEYER, 2002: 70.
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