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Que devient l'oeuvre d'un écrivain lorsqu'il est traduit, surtout s'il s'appelle Franz Kafka ? Au milieu des années 1920, dix écrivains font éclore ses oeuvres hors de la langue et du lieu où il les avait conçues, et les sauvent de l'oubli auquel les autorités soviétiques et nazies les avaient condamnées. Pendant plusieurs décennies, Kafka n'existera principalement qu'en traductions, via d'autres voix que la sienne. Un comble pour cet écrivain devenu aphone avant de mourir de la tuberculose en 1924.
Les premiers traducteurs de Kafka ne le deviennent pas par hasard, mais par nécessité ou amour. Paul Celan et Primo Levi le traduisent à leur retour des camps, respectivement en roumain et en italien. Bruno Schulz le traduit en polonais, avant d'être abattu en pleine rue par un SS ; Milena Jesenska très amoureusement en tchèque avant d'être déportée et Jorge Luis Borges en espagnol avant de perdre la vue. Ses traducteurs russes, contraints à la clandestinité, demeureront anonymes. Son traducteur français, Alexandre Vialatte, décèle en lui une nouvelle forme d'hilarité. Quant au poète Maleykh Ravitsch, il le traduit en yiddish après la guerre pour un lectorat qui a quasiment disparu.
Tous ses traducteurs propulsent l'oeuvre de Kafka sur la scène du monde en y projetant quelque chose d'eux-mêmes. Chacun peut, à sa façon, s'écrier : « Josef K, c'est moi. »
Dans cet essai érudit mais vivant, Maïa Hruska tire le fil des échevaux littéraires et politiques du vingtième siècle : analysant la manière dont Kafka est devenu Kafka, elle éclaire subtilement l'Europe d'aujourd'hui à la lumière de celle d'hier.
De Franz Kafka, en matière d’exégèse critique, je pensais que depuis le temps, la moindre phrase de ses œuvres avait été analysés, la plupart des choses avaient été exprimée, rédigée, publiée, mais une œuvre vit aussi en fonction de ses différentes traductions au fil du temps. Et ce que nous propose Maïa Hruska, dans cet essai paru le 04 septembre chez Grasset, de revoir l’auteur et son œuvre d’après la première des traductions de ses écrits dans les principales langues européennes. Rien n’est facile chez l’auteur pragois, l’accès à son œuvre, comme la connaissance de son œuvre – on ne sait même pas par quelle nationalité le qualifier – et la réception de ses premières traductions à l’étranger va dans ce sens. Le contexte géopolitique de cette première moitié de XXe siècle dans cette Europe centrale joue un rôle majeur dans la complexité de parution de ces traductions, surtout qu’à la base l’œuvre était destinée à disparaître selon les désirs de l’auteur.
La transmission de Kafka s’est faite à travers essentiellement Max Brod, son ami, Milena Jesenská avec laquelle il a entretenu une correspondance régulière, et les neuf autre traducteurs dont il est question, neuf écrivains qui nous ont permis de découvrir l’œuvre, en France, notamment, grâce à Alexandre Vialatte, Paul Celan pour la Roumanie, Primo Levi pour l’Italie, Bruno Schulz pour la Pologne, Milena Jesenská pour le tchèque, Jorge Luis Borges pour les hispanophones, Malech Ravitch pour le yiddish (pour Le Procès), l’hebreu pour Yitzhak Schenhar (pour Amerika), Eugene Jolas pour les anglophones et enfin l’anonymat indécelable des traducteurs russes, qui ont vite fait ne pas dévoiler leur identité face au régime qui avait honni l’auteur. De grandes plumes pour un auteur qui occupe avec raison une place de choix dans la littérature mondiale. Pourquoi se concentrer sur cette toute première traduction et ce tout premier traducteur ? Parce qu’il y a là l’œil de celui qui a perçu chez Kafka cette étoffe qui a fait de lui un auteur auquel on retourne toujours, qui n’a pas ne serait-ce entendu parler de La métamorphose, Le Procès, Le Château, ces œuvres qui sont devenues référentielles pour parler littérature moderne, pour l’analyse des œuvres, ces auteurs-trices marqué par les méandres tortueuses et sans issues d’un Procès, d’une transformation pour le moins obscure en insecte.
On a coutume de considérer le traducteur comme la doublure de l’écrivain. En URSS, celui de Kafka se trouvait, lui, dans la doublure des manteaux : ses traductions ne circulaient que sous forme de samizdat, à la sauvette, en marge de la littérature officielle. Des tirages limités, imprimés et qui furent distribués clandestinement jusqu’au milieu des années 1960. Des premiers traducteurs russes de Kafka, nous ne savons rien, car ils ne signaient pas leur travail. Aujourd’hui encore, on ne trouve à leur sujet aucun renseignement biographique, seulement des initiales. Les traducteurs ne laissaient pas d’empreintes. Ils sont comme le Joseph K du Procès et l’Arpenteur K du Château qui n’avaient que la lettre K pour seule silhouette. Quant à Karl Bossmann – encore un K – personnage principal du roman Amerika, il se dépouille de son état civil, de son passé et de lui-même, en voyageant d’Est en Ouest.
Nul besoin d’être un grand connaisseur de Kafka pour lire cet essai, avec beaucoup de plaisir par ailleurs, car il n’est pas purement théorique sur l’œuvre de l’auteur, mais à travers ces dix portraits de primo traductions, il forme des passerelles entre les différents « pays » ou communauté linguistique qui reçurent l’auteur pragois de façon plus ou moins (dans le cas de l’URSS) informelle. Des réceptions en tout cas révolutionnaires, on peut estimer que la censure dont il a fait l’objet en est la preuve : « Mais parce que la langue de Kafka était insoluble, donc intraduisible dans elle du lyrisme révolutionnaire. L’homme et son style étaient hermétiques aux grandes passions ». Ce sont donc les reproches qui lui sont adressés qui, à mon sens, permettent de mieux cerner l’écrivain, et l’homme difficilement accessible, qu’il était, une espèce de nihilisme transcendantal : « Pour les Soviets, tout le drame de Kafka, nous l’avons dit, était sa sobriété. Contrairement à ce que laissait entendre la revue Action, Kafka n’était pas un écrivain sombre, mais un écrivain sobre, irrécupérablement sobre : rien ne l’enivrait. Ni la révolution, ni les femmes, ni les idéaux. » L’une des notions qui a été évoquée pour tenter de mieux comprendre l’auteur, c’est celle de pokoï, mot tchèque signifiant endroit ou se reposer – pokoj en polonais, pokoï en russe pour la paix – équivalent à Cette chambre à soi dont nous parle Virginia Woolf, l’espace personnel et privatif du monde de Kafka, lieu intime de la création littéraire et artistique. Qu’il soit la forme d’un labyrinthe pour Borges et finalement aussi Kafka, le terrier qui lui est indispensable. (...)
Kafka, un auteur incontournable dans les études littéraires, des textes à avoir lu, à lire et à relire. Mais aussi un auteur dont la vie interpelle. Souvenirs d'un voyage à Prague et d'avoir déambulé sur ses pas.
Alors j'ai décidé de lire ce texte et cela a été une très belle surprise car Maïa Hruska élargit son point de vue et le nôtre.
10 versions de Kafka est l'occasion de découvrir qui ont été les traducteurs des textes de cet auteur, les textes qu'il a publié lors de sa courte vie et les œuvres découverts ensuite.. Et ce texte donne envie de lire les textes de Kafka mais aussi des auteurs qui l'ont traduit.
Il y a Bruno Schulz qui le traduit en polonais et qui un auteur à découvrir,
Celan et Primo Levi, qui a décidé de le traduire après son retour des camp et qui se questionne que devenir après l' imparable, Milena Jesenská en tchèque avant d’être déportée et qui a correspondu avec lui (des lettres qui sont à (re)lire), Jorge Luis Borges en espagnol avant de perdre la vue. Alexandre Vialatte, le principal traducteur en français. Et Maleykh Ravitsch, qui le traduit en yiddish après la guerre pour un lectorat qui a quasiment disparu.
Ce texte nous explique aussi très bien la relation entre le traducteur et le texte et l'auteur. Ce texte parle très bien et rend hommage au travail de traduction, qu'elle soit écrite ou orale (des pages concernant le yiddish et les traductions lors des procès de Nuremberg).
J'ai beaucoup appris sur les œuvres de Kafka mais aussi découvert d'autres auteurs-traducteurs.
J'ai découvert le thème de " pokoï », « ce lieu physique ou psychique dans lequel nous aspirons à nous retirer pour trouver profondeur et recul, à l'écart des bruits du monde ». Cette "chambre à soi" de Kafka.
Un texte très érudit mais qui se lit simplement et qui a encore dangereusement augmenté mes envies de lecture. Et de prendre encore plus d'intérêt aux traducteurs et interprètes et de leur rapport à l'auteur et à la langue.
#DixversionsdeKafka #NetGalleyFrance
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