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Dans la réflexion sur l'exercice des métiers, la figure du praticien réflexif proposée par Donald Schön s'impose de plus en plus. Les savoirs rationnels, observait-il, ne suffisent pas à faire face à la complexité et à la diversité des situations de travail. L'enjeu est donc de réhabiliter la raison pratique, les savoirs d'action et d'expérience, l'intuition, l'expertise fondée sur un dialogue avec le réel et la réflexion dans l'action et sur l'action.
Comme tous les «métiers de l'humain», le métier d'enseignant est particulièrement concerné par cette approche. Enseigner requiert, en effet, outre la connaissance des contenus d'enseignement et en étroite relation avec eux, un ensemble de savoirs multiples, didactiques ou transversaux, les uns issus de la recherche en sciences humaines et sociales, d'autres participant de la tradition et de l'expertise professionnelles collectives, d'autres encore construits par chacun au fil de son expérience. La pratique réflexive a notamment pour fonction de solidariser et de faire dialoguer ces divers savoirs.
Ainsi, ce livre tente de montrer que le «paradigme réflexif» peut précisément concilier, dans l'exercice du métier d'enseignant, raison scientifique et raison pratique, connaissance de processus universels et savoirs d'expérience, éthique, implication et efficacité. Ce débat a de fortes incidences sur la façon de penser la formation des enseignants et la professionnalisation de leur métier.
Ce livre est destiné d'abord à tous les professionnels qui analysent et transforment leurs pratiques, mais aussi à ceux qui les accompagnent : conseillers, formateurs, responsables de projets innovateurs, cadres scolaires.
Il réexamine les concepts de base du paradigme réflexif (réflexion dans l'action, sur l'action, sur le système d'action) et les relie, d'une part, à des réflexions sur la formation en alternance, la démarche clinique, L'analyse des pratiques, le travail sur l'habitus, d'autre part aux théories de l'action située, de l'inconscient pratique, du travail.
Construit en référence au métier d'enseignant, en voie de professionnalisation, il concerne plus globalement tous les métiers confrontés à l'humain et à la complexité, qui exigent lucidité professionnelle et implication critique.
Extrait du livre :
Professionnalisation : une expression ambiguë
«Professionnalisation» : en français, l'expression n'est pas très heureuse, parce qu'elle pourrait laisser entendre qu'il s'agit de faire «enfin» accéder l'activité d'enseignement au statut de métier, alors que cette évolution est accomplie depuis le XIXe siècle au moins. Ce métier, cependant, n'a fait que progressivement l'objet d'une véritable formation. De plus, dans un premier temps, cette dernière s'est centrée essentiellement sur la maîtrise des savoirs à enseigner. On n'accorde que depuis peu, et très inégalement selon le niveau d'enseignement, une certaine importance à la maîtrise théorique et pratique des processus d'enseignement et d'apprentissage, dans le sens d'une formation véritablement professionnelle (Altet, 1994 ; Lessard, 1998 a ; Lessard, et Bourdoncle, 1998 ; Perrenoud, 1994 a ; Paquay et al, 1996). Développée pour les enseignants primaires dès la création des Écoles normales, cette composante de la formation reste plus légère pour les professeurs du secondaire et demeure, dans de nombreux pays, quasiment inexistante pour l'enseignement supérieur. En ce sens, la professionnalisation du métier d'enseignant pourrait s'entendre, simplement, comme une forte accentuation de la part professionnelle de la formation, au-delà de la maîtrise des contenus à enseigner.
Cette perspective n'est pas absente du débat nord-américain sur la professionnalisation du métier d'enseignant (Carbonneau, 1993 ; Labaree, 1992 ; Lessard, Perron et Bélanger, 1993 ; Lang, 1999 ; Lessard, 1998 a, b et c ; Raymond et Lenoir, 1998 ; Tardif, Lessard et Gauthier, 1998). Toutefois, ce n'est pas le coeur du concept de professionnalisation outre-Atlantique. Il reste inintelligible si l'on ignore une distinction, banale dans les pays anglo-saxons, mais qui n'a pas d'équivalent en français, entre une profession et un métier.
Toutes les professions sont des métiers, alors que l'inverse n'est pas vrai. L'usage anglo-saxon réserve le statut de profession à des métiers bien définis, ceux dans lesquels il n'est ni opportun, ni même possible, de dicter aux praticiens, dans le détail, leurs procédures de travail et leurs décisions. L'activité d'un professionnel, entendu dans ce sens, est gouvernée essentiellement par des objectifs (qu'ils soient fixés par son employeur ou par contrat avec son client) et une éthique (codifiée par la corporation).
Un professionnel est censé réunir les compétences du concepteur et celles de l'exécutant : il identifie le problème, le pose, imagine et met en oeuvre une solution, assure le suivi. Il ne connaît pas d'avance la solution des problèmes qui se présenteront dans sa pratique, il doit chaque fois la construire sur le vif, parfois dans le stress et sans disposer de toutes les données d'une décision éclairée. Cela ne va pas sans savoirs étendus, savoirs savants, savoirs experts, savoirs d'expérience. Un professionnel ne part jamais de zéro, il s'applique à ne pas réinventer la roue, il tient compte des théories, des méthodes avérées, de la jurisprudence, de l'expérience, des genres consacrés (Clôt, 1999), de «l'état de l'art».
Extrait de l'introduction
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