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Il y a 230 ans, le 13 juillet 1793, Marie Anne Charlotte de Corday d'Armont, 24 ans, assassinait l'ami du peuple Jean-Paul Marat. Quatre jours plus tard, elle était guillotinée.
Figure aujourd'hui figée des manuels scolaires, « ange de l'assassinat » pour Lamartine, qui était vraiment Charlotte Corday ? Jeune femme fragile instrumentalisée par les forces de la réaction ou héroïne en quête de liberté ? Criminelle aveugle ou redresseuse des torts de la Révolution ? Martyre, bourreau, féministe avant la lettre ?
Lointaine cousine fascinée par cette parente, Astrid de Laage s'est plongée dans l'histoire. Elle interroge son propre rapport à la noblesse, au lignage, aux contraintes sociales si oppressantes pour une jeune femme du XVIIIe siècle. Et elle retrace le chemin qui aura mené Charlotte de Caen jusqu'à Paris, ce fatal soir de juillet. Imprégnée de littérature antique et d'idéal romantique, républicaine proche des Girondins, révulsée par la tyrannie sanguinaire qu'illustre Marat, Charlotte passe à l'action. Elle assumera totalement son geste, affrontera sur l'échafaud la haine populaire, persuadée de sauver son pays.
Astrid de Laage donne une présence sensible à Charlotte mais aussi à Marat et aux femmes qui l'entourent. Elle raconte une journée comme les autres du Paris révolutionnaire, la frénésie urbaine, la tension brûlante qui anime Charlotte au fil de son périple, les souffrances d'un Marat éreinté par la maladie, les craintes de ses proches, les violentes critiques dont il est l'objet. Elle rend aussi à la jeune femme le mystère qui est le sien. Car de ce choix ultime, suicide pour la cause, volonté sans faille, nul ne peut mesurer la profondeur et l'enjeu personnel. Pour sa cousine contemporaine, mesurant les forteresses qui enfermaient les femmes de l'époque, Charlotte n'a pas le choix. Seule possibilité pour sortir de sa condition : la violence. Se perdre pour exister. Ou faute de ne pouvoir exister autrement.
Astrid de Laage, à partir d’un lien de parenté, plonge dans la vie de Charlotte Corday. Elle part de la scène de crime qui a uni (conclusion du livre et apogée dramatique finement mise en scène) les destins de Marat et Charlotte Corday pour apprivoiser les parcours de l’un et l’autre. Elle avance avec précaution et minutie, enlevant le vernis de l’histoire qui a figé ses deux figures. L’autrice capte ces deux êtres et apporte de la nuance et rappelle les questionnements (idéologiques et sentimentaux) qui peuvent les éclairer. Le livre n’est pas un bréviaire historique. C’est un point de vue intime sur ces deux personnages marquants de la Révolution française.
La période foisonnante, passionnée et violente, est un cadre idéal pour ce livre et Astrid de Laage est portée par cette énergie. Quand elle se concentre sur sa famille actuelle, le rythme est différent. Ces parenthèses souffrent de la comparaison avec l’aura qui entoure Charlotte Corday. En abordant la Révolution française, Astrid de Laage observe un monde en pleine construction : une France qui quitte l’Ancien Régime pour un autre horizon. Des professions se fondent comme celle de journaliste avec une liberté de la presse acquise mais perçue dangereusement parfois ou encore député dont les débats sont tonitruants parfois et dont la parole peut être coupée par la guillotine. Marat apparaît alors dans toute sa contradiction comme journaliste pointant les fautes de députés. Vigie de cette société ou prédicateur ? Ce rôle ambivalent permet d’aborder Charlotte Corday de diverses manières. Astrid de Laage tente de cerner la personnalité de sa lointaine cousine. Elle esquisse un portrait tout en nuances et en interrogations sans jamais se perdre dans des conclusions hâtives ou une accumulation d’anecdotes. En suivant le parcours de cette femme, on perçoit les mouvements idéologiques qui brassent l’époque, notamment cette volonté du consensus politique (ne pas vraiment abandonner l’Ancien Régime mais accueillir avec joie quelques idées de la Révolution) et cet appétit de liberté, d’expression. Ce portrait est également l’occasion de parler de la place des femmes dans le XVIIIe siècle, comme peut le faire le podcast de Philippe Collin consacrée à la Comtesse du Barry. Ce siècle aurait favorisé l’émergence des femmes mais ces deux parcours (sans plus de points communs que la contemporanéité) indiquent la violence qui s’est abattue sur elles, rappelant que les femmes n’avaient pas de place dans le débat public.
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