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Sous nos latitudes, et depuis un petit siècle, les femmes ont progressivement acquis le droit de travailler, de voter, de faire ou non des enfants, de disposer de leur corps et de leurs ressources matérielles. Bref, la libération féminine a eu lieu, les femmes se sont, paraît-il, émancipées.
Sauf que, dans un monde qui traque les différences sexuelles, notamment toutes les émanations du « plafond de verre » empêchant les femmes d'atteindre, en proportions équivalentes aux hommes, les positions sociales les plus élevées, les plus valorisées ou encore les plus gratifiantes, il est un élément qu'à peu près personne n'a la présence d'esprit d'interroger. Ce grand absent du débat sur les obstacles que les femmes doivent surmonter pour espérer prospérer comme certains de leurs homologues masculins, c'est le boulet amoureux.
Un boulet conglomérant l'amour, le bonheur familial, la réussite conjugale ; toutes ces notions dont se gargarisent une énorme majorité de femmes lorsqu'elles font la liste de leurs priorités existentielles. Comme si la normalité, quand vous êtes dotée d'ovaires, était de mettre l'amour en tête de votre liste et au coeur de votre quotidien. D'investir un temps et une énergie incroyables à la tenue de ce poste budgétaire vital. Et de souffrir le martyre quand le retour sur investissement en vient à trahir vos espérances. Toute déviation de cette norme, toute trajectoire alternative seront vues d'un sale oeil, a fortiori par un point de vue féminin.
Le problème, c'est que l'amour, quand il vire au toxique, est autant la justification des hommes qui battent que des femmes battues qui restent. Il est le prétexte totalitaire et indépassable des accès de folie, des meurtres passionnels, des tortures conjugales, des truanderies affectives. Il est le carburant des crimes d'honneur, des mutilations génitales, de l'obsession de la virginité et de l'injonction à la pudeur. Il ceint d'explosifs la taille des veuves noires de Tchétchénie, fait partir Monique Fourniret à la chasse aux vierges, allume l'ordinateur de Valérie Trierweiler.
Telles des chiennes de Pavlov, les femmes ont été conditionnées à saliver face à l'amour en tant qu'indice d'engagement. Au seuil de sélectivité sexuelle très bas des hommes répond un seuil de sélectivité affectif tout aussi faible chez les femmes : mieux vaut s'accrocher à n'importe quoi que de risquer de n'être accrochée par rien.
Le temps semble venu de faire perdre à l'amour ses lettres de noblesse.
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