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Lire Chacun sa guerre, c'est découvrir Otl Aicher (1922-1991), un Allemand pas comme les autres : un individualiste qui refuse à 15 ans le dressage du parfait jeune nazi, mais aussi de résister avec ses amis Hans et Sophie Scholl, guillotinés en 1943. Il est aussi un autodidacte curieux, qui avec ses copains d'Ulm discute en catimini de Saint Augustin et du régime à concevoir pour une Allemagne « d'après ».
Dans cet ouvrage, il raconte sa guerre, vue de l'intérieur en 1985. Mais quarante années se sont écoulées. Tout le monde est informé. C'est l'éclairage qui compte, et le choix des motifs Et il arrange ses vues, en designer-graphiste qu'il est devenu.
Reste malgré tout l'essentiel : l'aveu...
Pour me lancer dans la lecture de chacun sa guerre, livre signé Otl Aicher, il a fallu ne pas me laisser impressionner par la taille du bouquin et surtout surmonter l’absence de majuscules, décision de l’auteur lui-même. N’appréciant pas leur omniprésence dans la langue allemande, Otl Aicher a décidé d’y renoncer. Ceci a l’avantage de ramener au plus bas, comme il le dit, des noms du genre hitler ou napoléon.
Cet homme dont je découvre l’immense valeur humaine est un fameux designer. C’est lui qui a créé les pictogrammes de la Lufthansa, de bien d’autres entreprises allemandes et des sports pour les Jeux Olympiques de Munich, en 1972, pictogrammes repris ensuite.
Otl Aicher, né Otto Aicher à Ulm en 1922, a refusé d’entrer dans les jeunesses hitlériennes, ce qui lui a valu de ne pas pouvoir passer l’abitur, le bac allemand. Dès 1941, il est soldat et, dans ce livre, chacun sa guerre (innenseiten des kriegs), publié en 1985, il ne se contente pas de raconter son vécu durant ces quatre années de cauchemar. Il débat, discute les idées toutes faites, fait référence aux philosophes, aux écrivains, aux religieux, réalisant un impressionnant tableau d’un pays qu’il aime et d’un état qu’il abhorre.
Avec un courage admirable, Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent ont bien fait de se lancer dans la traduction en français, publiée trente-trois ans après la sortie du livre en allemand, publication assurée par les éditions le murmure que je remercie, comme Babelio (Masse critique).
Otl Aicher qui deviendra professeur, affichiste, typographe et designer brillant, est très lié à la famille Scholl. Werner a le même âge. Inge est née en 1917, Hans en 1918, Elisabeth (Liesl) en 1920 et Sophie en 1921. Ces frères et sœurs sont profondément opposés au nazisme et s’investissent dans la résistance. Hans et Sophie, membres du mouvement La Rose blanche, sont arrêtés, jugés et guillotinés le même jour, le 22 février 1943 !
En 1952, Otl a épousé Inge Scholl et c’est avec elle qu’il développe, après la guerre, ses activités dans l’art visuel. Les éditions le murmure ont eu la bonne idée d’imprimer son livre, chacun sa guerre, en Rotis Serif, fonte de caractères développée dans le Rotis Institut für analoge Studien, fondé par Otl et Inge Aicher-Scholl.
Au cours de ma lecture, j’ai beaucoup appris sur le comportement du peuple allemand sous l’emprise du nazisme. Otl Aicher démonte minutieusement tout cet embrigadement, le fonctionnement de l’armée et le rôle des religions : « cet état essaie de briser les gens, de les briser avec son pouvoir. Il essaie de casser ce que l’homme a de meilleur, son assise. il ne se contente pas d’endoctriner, de manipuler, d’exercer des pressions ou de persuader, il veut briser les reins. »
L’auteur va très loin dans ses analyses, propose de longs développements impossibles à décortiquer ici. Si je ne suis pas toujours d’accord avec lui pour appliquer ses idées sur le rôle de l’état dans un pays comme la France, je suis bien obligé de reconnaître qu’il a raison à propos de l’Allemagne nazie et de la Russie stalinienne.
En dehors des considérations politiques, philosophiques et religieuses, Otl Aicher raconte sa guerre, son vécu. Il démontre là un véritable talent de conteur. Bien que fiché comme personne à surveiller, il a réussi à survivre malgré beaucoup d’épreuves, de blessures, de maladies, de vexations et d’humiliations.
Au passage, Otl Aicher n’épargne pas l’armée, ces généraux qui se retirent prudemment à l’arrière dès que ça chauffe trop, leurs veuves assurées de toucher une pension afin de pouvoir toujours rouler en Mercedes, même si le pays est vaincu. Il stigmatise aussi ces lieutenants, tout juste sortis du lycée et décidés à grimper en grade coûte que coûte. Enfin, il démontre qu’une armée en état de marche ne peut trouver son accomplissement que dans la guerre.
D’Allemagne au front russe, Otl Aicher a toujours imaginé fuir, espéré être capturé mais surtout pas par les Russes, beaucoup par les Ricains. Dans les derniers mois, en pleine bataille des Ardennes ou sur le Rhin, cela devient épique et donc passionnant à lire. Au passage, Otl Aicher n’oublie pas de dénoncer les crimes abominables commis par ses compatriotes.
chacun sa guerre a été, pour moi, une lecture fondamentalement instructive, une lecture poussant à la réflexion et surtout un témoignage comme je n’en avais encore jamais lu sur une période qui marque à jamais l’histoire de l’humanité et dont on ne pansera pas toutes les blessures.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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