L’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy poursuit l’exploration fantasmagorique de sa mémoire familiale...
J'ai écrit "Brins de Mémoire" pour que mon père disparu me revienne et j'y suis arrivée.
"Leur vie n'était pas conquête, elle était effritement et dispersion" d'après Georges Pérec. Celle de mon père l'était également.
La nouvelle "mon père s'est tu" est un baume ayant la douceur du pardon, une paix en devenir. Mais j'ai cru naïvement que j'en aurai fini avec la Shoah.
"Le juif est inéluctablement rivé à son judaïsme" d'après Lévinas et mon père le savait intimement. Pendant des années il s'est caché sous un châle de prières non pas en adéquation avec le "Père" mais avec lui-même. Il émanait de cet homme un Silence qu'il nous était impossible de briser et j'ai eu la faiblesse de croire que j'étais la seule qui aurait pu le rompre. Il a préféré disparaître que de se laisser amadouer, laissant un silence vrombissant comme le train qui l'a emporté.
Son comportement suicidaire a donné naissance à ma colère qui a nourri ma vie de femme.
La nouvelle "Mon père s'est tu" est la recherche de celui qui s'est éclipsé. Je l'ai retrouvé avant mon propre départ. Rencontre affectueuse et enfin intelligible.
Mon père n'a jamais été aussi vivant.
Dorénavant je suis là à son chevet. Enchaînée à son souvenir, celle d'une humanité exclue, je peux enfin partager avec lui, cet absent-présent, des brins de mémoire.
Décidément je n'en aurai jamais fini avec la Shoah.
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